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Du temps s’écoula, la pensée s’agrégea et Sherkaner regarda dans le noir par le hublot fendu de son vaisseau. Il y avait du mouvement – un bouillonnement de vapeur ? Non, c’était plutôt comme un voile de cristaux tourbillonnant dans la pénombre sur laquelle ils flottaient.

Quelqu’un lui tapait sur les épaules gauches, l’appelait par son nom à plusieurs reprises. Sherkaner reconstitua un puzzle de souvenirs.

— Oui, sergent. Je suis loin… non, je veux dire, je suis là, je suis réveillé.

— Excellent.

La voix d’Unnerby rendait un son grêle.

— Vous êtes blessé ? Vous savez ce qu’il faut faire.

Sherkaner agita obligeamment ses jambages. Tous lui faisaient mal ; ça commençait bien. Ensuite les mains : médianes, antérieures, nourricières.

— Je ne suis pas sûr de sentir la médiane et l’antérieure droites. Peut-être qu’elles sont collées.

— Ouais. Gelées, probablement.

— Comment vont Gil et Amber ?

— Je suis en train de leur parler sur les autres câbles. Vous êtes le dernier à retrouver ses esprits, mais ils ont de plus gros morceaux de bidoche encore gelés.

— Passez-moi la prise du câble.

Unnerby lui donna le dispositif de transmission acoustique et Sherkaner communiqua directement avec les autres membres de l’Équipe. Le corps peut tolérer pas mal de dégel différentiel, mais si le processus n’est pas mené jusqu’à son terme, le pourrissement commence. Ici, le problème était que les sacs d’exothermes et de carburant s’étaient déplacés tandis que le bateau remontait à la surface en fondant la glace au-dessus de lui. Sherkaner réaligna les sacs et commença à y faire circuler de la boue et de l’air. La lueur verte au sein de la minuscule coque s’intensifia et Sherkaner profita de la lumière pour rechercher d’éventuelles fuites dans leurs tubes respiratoires. Les exothermes étaient essentiels pour la chaleur, mais si l’Équipe devait entrer en concurrence avec eux pour avoir de l’oxygène, l’Équipe perdrait la partie – et la vie.

Une demi-heure s’écoula ; la chaleur les enveloppait, libérait leurs membres. Les seuls dommages dus au froid furent localisés au bout des médianes de Gil Haven. C’était mieux que dans la plupart des profonds. Un large sourire illumina l’aspect de Sherkaner. Ils avaient réussi ; ils s’étaient réveillés tout seuls en Pleine Ténèbre.

Les quatre équipiers se reposèrent un moment encore, le temps de contrôler le flux d’air et d’exécuter le processus élaboré par Sherkaner pour brider les exothermes. Unnerby et Amberdon Nizhnimor épluchaient la liste récapitulative et remettaient à Sherkaner les articles suspects ou brisés. Nizhnimor, Haven et Unnerby étaient des gens très intelligents – une chimiste et deux ingénieurs. Mais c’était aussi des soldats de métier. Sherkaner trouvait fascinante la manière dont ils avaient changé en passant du labo au champ de bataille. Unnerby, surtout, avait pareille personnalité multicouches : le militaire endurci recouvrait l’ingénieur imaginatif, lequel cachait une moralité traditionnelle et puritaine. Sherkaner connaissait le sergent depuis sept ans déjà. Le mépris qu’il affichait au début pour les projets d’Underhill était de l’histoire ancienne ; ils avaient été amis. Mais lorsque leur Équipe avait finalement été transférée sur le Front de l’Est, Unnerby était devenu distant. Il s’était mis à donner du « Monsieur » à Underhill, et cette affectation de respect était parfois chargée d’impatience.

Sherkaner s’en était ouvert à Victory. C’était la dernière fois qu’ils étaient ensemble, dans une froide caserne enterrée sous le dernier aérodrome en opération sur le Front de l’Est. Elle éclata de rire en entendant sa question.

— Mon pauvre ventre mou, qu’est-ce que tu t’imagines ? Hrunk aura le commandement des opérations une fois que l’Équipe aura quitté le territoire ami. Toi, tu es le conseiller civil sans formation militaire, qu’il faut d’une manière ou d’une autre intégrer à la hiérarchie. Il a besoin de ton obéissance immédiate, mais aussi de ton imagination et de ta flexibilité.

Elle rit discrètement ; seul un rideau les séparait de la salle principale de la caserne exiguë.

— Si tu étais une recrue ordinaire, Unnerby t’aurait déjà grillé la carapace une douzaine de fois. Le pauvre faucheux a tellement peur qu’au moment crucial ton génie soit plongé dans un truc sans aucun rapport avec la situation – l’astronomie, par exemple.

— Hum.

En réalité, il s’était demandé à quoi ressembleraient les étoiles en l’absence d’atmosphère pour estomper leurs couleurs.

— Je vois ce que tu veux dire. Mais, si ton interprétation est correcte, je suis surpris qu’il ait laissé Greenval m’intégrer à l’Équipe.

— Tu rigoles, ou quoi ? C’est Hrunk qui a exigé que tu y sois. Il sait qu’il y a des imprévus que tu es le seul à pouvoir élucider. Comme je le dis toujours, c’est un faucheux avec un problème quelque part.

Sherkaner Underhill n’avait pas souvent l’impression d’être pris de court, mais cette fois-là, c’était le cas.

— Eh bien, je ferai mon possible.

— Ça, je le sais. Je voulais simplement que tu saches ce que Hrunk trouve intolérable… Hé, tu peux voir ça comme un mystère comportemental : comment des gens aussi radicalement cinglés peuvent-ils coopérer et survivre là où personne n’a encore jamais vécu ?

Victory plaisantait peut-être, mais c’était quand même une question intéressante.

Leur véhicule était sans aucun doute le plus bizarre de toute l’histoire : à la fois sous-marin, profond portatif et réservoir à boue. La coque de quinze pieds reposait maintenant dans une mare peu profonde vert lumineux et rouge tiède. L’eau était en ébullition dans le vide ; des tourbillons gazeux s’en échappaient, se refroidissaient en cristaux minuscules et retombaient. Unnerby ouvrit l’écoutille d’une poussée et l’équipe fit la chaîne pour sortir le matériel et les cuves à exothermes jusqu’à ce que tout ce qu’ils devaient transporter soit empilé sur le sol juste au bord de la mare.

Ils se relièrent par des câbles audio : Underhill à Unnerby, Unnerby à Haven, Haven à Nizhnimor. Sherkaner avait espéré jusqu’au bout pouvoir disposer de radios portatives, mais de tels appareils étaient encore trop volumineux et personne ne savait comment ils fonctionneraient dans ces conditions. Chacun ne pouvait à présent converser qu’avec un seul autre membre de l’équipe. De toute façon, ils avaient quand même besoin d’un encordement de sécurité ; le câble n’était donc pas du superflu.

Ils retournèrent au bord du lac, Sherkaner en tête, Unnerby derrière lui, tandis que Nizhnimor et Haven tiraient le traîneau. Loin du sous-marin, l’obscurité se refermait sur eux. Il y avait encore des rougeoiements d’émanations thermiques là où les exothermes s’étaient répandus sur le sol ; le sous-marin avait consommé des tonnes de carburant pour remonter à la surface en fondant la glace. L’énergie nécessaire au reste de la mission devait être produite par les seuls exothermes qu’ils pouvaient transporter et les combustibles qu’ils pourraient éventuellement trouver sous la neige.

Plus que toute autre chose, les exothermes avaient été le procédé magique qui avait permis cette promenade dans la Ténèbre. Avant l’invention du microscope, les « grands penseurs » prétendaient que ce qui distinguait les animaux supérieurs du reste du vivant était leur capacité à survivre à la Pleine Ténèbre. Les plantes et les animaux plus rudimentaires périssaient ; seuls survivaient leurs œufs enkystés. On savait à présent que de nombreux animaux unicellulaires survivaient très bien à la congélation, et sans avoir à se réfugier dans des profonds. Plus étrange encore – et cela avait été découvert par des biologistes de Kingschool quand Sherkaner était étudiant de licence – il existait des formes de bactéries inférieures qui vivaient dans les volcans et demeuraient actives tout au long de la Ténèbre. Sherkaner s’était passionné pour ces êtres microscopiques. Les doctes universitaires présumaient que de telles créatures devaient entrer soit en suspension soit en sporulation lorsqu’un volcan se refroidissait, mais il se demandait s’il n’existait pas des variétés qui puissent survivre aux glaciations en produisant elles-mêmes leur chaleur. Après tout, même pendant la Ténèbre, il y avait encore abondance d’oxygène – et dans la plupart des sites il y avait une couche de débris organiques sous la neige d’air. S’il y avait le moindre catalyseur pour démarrer l’oxydation à des températures superbasses, peut-être que les petites bestioles pourraient carrément « brûler » de la végétation entre les sursauts volcaniques. Pareilles bactéries seraient les mieux adaptées pour survivre à la Ténèbre.