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… S’ils ne gelaient pas sur place en essayant de descendre ce plan incliné. Il y avait des volutes de neige d’air sur les marches et, par-ci, par-là, un lambeau de végétation qui avait poussé entre les pavés, mais c’était tout. Lorsqu’ils s’arrêtaient à présent, c’était pour faire passer des seaux de boue emplis au traîneau que tiraient Nizhnimor et Unnerby. L’obscurité se referma sur eux, seulement éclairée par la lueur occasionnelle d’exothermes répandus sur le sol. Les rapports des Renseignements prétendaient que la rampe ne se prolongeait pas au-delà de deux cents verges…

Droit devant montait une clarté ovale. La fin du tunnel. L’Équipe quitta la rampe en titubant et aborda un champ, jadis à ciel ouvert, à présent isolé du ciel par des volets solaires argentés. Une forêt de piquets de tentes s’étendait tout autour d’eux. Les chutes de neige d’air avaient par endroits tordu la structure, mais celle-ci était en grande partie intacte. Dans les flaques de pénombre hachurées, ils discernaient les silhouettes de locomotives à vapeur, de machines à poser les rails, de wagons à mitrailleuses et d’automobiles blindés. Même dans cette semi-obscurité, il y avait des reflets de peinture argentée dans la neige d’air. Lorsque le Nouveau Soleil s’embraserait, tout ce matériel serait prêt à servir. Tandis que la glace fondrait à gros bouillons et que des torrents couleraient par les canaux qui nervuraient ce champ, les combattants tiefiens sortiraient des profonds avoisinants et courraient se mettre à l’abri dans leurs véhicules. Les eaux seraient détournées dans des citernes de capture et les pulvérisations réfrigérantes seraient déclenchées. Il y aurait quelques heures d’inventaires frénétiques et de vérifications d’état mécanique, quelques heures de plus pour combler les lacunes de deux siècles de Ténèbre plus les heures de nouvelle chaleur. Ensuite, ils s’élanceraient sur les voies ferrées dont leurs commandants jugeaient qu’elles les mèneraient à la victoire. C’était la culmination de générations de recherche scientifique sur la nature de la Ténèbre et du Nouveau Soleil. Les services de renseignements estimaient que cette recherche était à maints égards plus avancée que la propre science de la Couronne, ciblée sur l’intendance militaire.

Hrunkner rassembla les membres de l’Équipe pour qu’ils puissent tous l’entendre.

— Je parie qu’ils auront des guetteurs en position là dehors dans l’heure qui suivra le Premier Soleil, mais maintenant, on a les mains libres… Compris ? Donc, on regarnit nos sacoches et on se répartit les tâches comme prévu. Gil, tu es dans le coup ?

Gil Haven avait descendu les marches en zigzaguant comme un ivrogne aux pieds fracturés. Sherkaner avait l’impression que le défaut d’étanchéité de sa combinaison s’était étendu à ses ambulatoires. Mais Gil se redressa en entendant Unnerby, et sa voix semblait presque normale.

— Sergent, j’ai pas fait tout ce chemin pour vous regarder le cul par terre, vous autres faucheux. Je peux faire ma part de boulot.

Ils étaient donc arrivés au terme de toute cette entreprise. Ils débranchèrent leurs câbles audio et chacun récupéra les explosifs et le colorant noir qui lui avaient été assignés. Ils avaient répété l’opération assez souvent. S’ils se dépêchaient entre chaque action ponctuelle, s’ils ne se cassaient pas de jambages en tombant dans quelque fosse de drainage et si les cartes qu’ils avaient apprises par cœur étaient exactes, ils auraient le temps de tout faire avant de commencer à geler. Ils se dispersèrent dans quatre directions. Les engins qu’ils logèrent sous les volets solaires n’étaient guère plus que des grenades à main. Elles explosèrent en lançant des éclairs silencieux et firent s’effondrer des sections stratégiques de la voûte. Les mortiers à colorant noir leur succédèrent. S’ils n’étaient absolument pas spectaculaires, ils fonctionnèrent en revanche exactement comme les spécialistes des Matériaux l’avaient prédit. Le dépôt était intégralement revêtu de noir moucheté en attendant le premier baiser du Nouveau Soleil.

Trois heures plus tard, ils étaient environ à un mille au nord. Unnerby les avait durement menés après leur départ du dépôt, les avait forcés d’atteindre un objectif final bien qu’accessoire : leur survie.

Ils y étaient presque parvenus. Presque. Gil Haven délirait dans une étrange frénésie lorsqu’ils avaient terminé leur travail au dépôt. Il tenta de quitter les lieux par ses propres moyens.

— Faut que je trouve un endroit pour m’enterrer.

Il répéta maintes fois cette phrase en se débattant tandis que Nizhnimor et Unnerby le rattachaient à sa place dans la cordée de sécurité.

— C’est là qu’on va, maintenant, Gil. Tiens bon.

Unnerby libéra Haven et le remit à Amber et, pendant un moment, Hrunkner et Sherk furent les seuls à pouvoir s’entendre.

— Il a plus le moral qu’avant, remarqua Sherkaner.

Haven rebondissait comme un faucheux sur des jambages en bois.

— Je ne crois pas qu’il sente encore la douleur.

La réponse de Hrunk lui parvint assourdie, mais distincte :

— Ce n’est pas ça qui m’inquiète. Je crois qu’il est en train de sombrer dans le Délire Fouisseur.

C’était la terreur panique qui s’emparait des faucheux quand le noyau interne de leur cerveau s’apercevait qu’ils étaient piégés à la surface du sol. L’esprit animal prenait le relais, poussant la victime à chercher un endroit, n’importe lequel, qui puisse servir de profond.

— Zut !

Le mot fut étouffé et tronçonné lorsqu’Unnerby rompit le contact et essaya de leur faire presser le pas. Ils n’étaient qu’à quelques heures d’un salut probable. Et pourtant… regarder Gil Haven se débattre réveillait chez chacun d’eux des réflexes primitifs. L’instinct était une chose merveilleuse, mais s’ils lui cédaient maintenant, il les conduirait à une mort certaine.

Au bout de deux heures, ils avaient tout juste atteint les collines derrière le dépôt. À deux reprises, Gil s’était échappé, à chaque fois plus frénétique, pour se précipiter vers la promesse trompeuse des défilés escarpés le long de leur chemin. À chaque fois, Amber l’avait ramené de force, avait essayé de le raisonner. Mais Gil ne savait plus où il était et ses violents sursauts avaient déchiré sa combinaison en plusieurs endroits. Des portions de son corps étaient raidies et gelées.

La fin arriva lorsqu’ils atteignirent la première des pentes raides. Ils durent abandonner le traîneau ; le reste du chemin se ferait avec rien que l’air et les exothermes qu’ils pourraient transporter dans leurs sacoches. Une troisième fois, Gil s’arracha à la cordée de sécurité. Il s’enfuit avec une démarche bizarre, mi-titubant, mi-bondissant. Nizhnimor se lança à sa poursuite. Amber était une femme de haute stature et, jusque-là, elle n’avait eu guère de peine à maîtriser Gil Haven. Cette fois, ce fut différent. Gil avait atteint le désespoir final du Délire Fouisseur. Au moment où elle le ramenait au milieu du chemin, il se retourna contre elle et l’attaqua du saillant de ses mains. Amber chancela et recula, le libérant. Hrunk et Sherkaner étaient juste derrière elle, mais il était trop tard. Les bras de Haven firent des moulinets, il culbuta par-dessus la corniche et dégringola dans les ombres en contrebas.

Les trois autres restèrent un instant pétrifiés ; puis Amber commença à franchir de biais le rebord, les jambages tâtonnant dans la neige d’air à la recherche de prises sur la roche sous-jacente. Unnerby et Underhill l’empoignèrent et la ramenèrent.