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Ezr leva les yeux de la mosaïque d’écrans, essaya de prendre un ton anodin.

— Euh… ça veut dire quoi, l’icône à côté de certains noms ?

À côté du nom de Trixia.

— Focalisé.

— Ce qui veut dire ?

Il y avait dans la voix d’Ezr un tranchant indésirable.

— Qu’ils sont encore sous traitement médical. Tout le monde ne s’est pas rétabli aussi vite que vous.

Le regard de Reynolt était dur et sans expression.

Le lendemain, Nau réapparut.

— C’est le moment de vous présenter à vos nouveaux subordonnés, annonça-t-il.

Ils flottèrent dans une interminable coursive rectiligne jusqu’à un sas véhiculaire. Cet habitat n’était pas le lieu où s’était tenu le banquet. Il y avait une infime trace de pesanteur, comme s’il était installé sur un petit astéroïde. Plus vaste que toutes celles que les Qeng Ho avaient amenées, la navette en attente derrière le sas était luxueuse à sa manière baroque et primitive. Il y avait des tables basses et un bar qui servait tous azimuts. De grandes fenêtres à l’aspect naturel les entouraient. Nau lui accorda un instant pour regarder dehors.

La navette s’élevait au milieu de la structure porteuse d’un habitat implanté au sol. L’édifice était inachevé, mais semblait aussi vaste que le temp’ d’une légation Qeng Ho. Ils étaient à présent au-dessus de l’infrastructure. Le sol s’incurvait jusqu’à un horizon de mastodontes gris. C’était les montagnes diamantifères, toutes rassemblées. Bizarrement vierges de cratères, ces blocs étaient cependant aussi sombres et aussi ternes que de vulgaires astéroïdes. Çà et là, la chiche lumière du soleil signalait les endroits où le graphite superficiel avait été éraflé, émettant un chatoiement irisé. Nichés entre deux des montagnes, il aperçut de pâles champs de neige, un volumineux amoncellement de roches et de glace fraîchement découpés : ce devaient être les fragments d’océans et de fonds marins que les Émergents avaient prélevés sur Arachnia. La navette continua son ascension. Au tournant des montagnes, les silhouettes de vaisseaux spatiaux montèrent dans leur champ de vision. Les engins avaient beau avoir plus de six cents mètres de longueur, ils étaient écrasés par la masse des rochers amoncelés. Ils étaient amarrés très près les uns des autres, à la manière d’engins abandonnés dans un cimetière d’épaves. Ezr fit de rapides calculs mentaux, évalua ce qu’il ne pouvait pas voir directement.

— Alors, vous avez tout ramené ici… en L1 ? Vous voulez vraiment pratiquer une stratégie d’attente masquée ?

Nau hocha la tête.

— Je crois bien. Autant vous le dire franchement : notre affrontement nous a tous poussés jusqu’à la limite de nos forces. Nous avons suffisamment de ressources pour rentrer chez nous, mais les mains vides. Au lieu de quoi, si nous pouvions ne serait-ce que coopérer… voyez-vous, d’ici, en L1, nous pouvons surveiller les Araignées. Si elles sont vraiment sur le point d’entrer dans l’Ère de l’information, nous finirons par mettre leurs ressources à profit pour nous ravitailler. Quoi qu’il en soit, nous risquons d’obtenir une bonne partie de ce que nous étions venus chercher.

Hum. Une planque prolongée, en attendant que les clients soient assez mûrs pour être plumes. C’était une stratégie que les Qeng Ho avaient pratiquée en quelques occasions. Parfois, cela avait même marché.

— Ce ne sera pas facile.

— Pour vous, peut-être, dit une voix derrière Ezr. Mais les Émergents vivent bien, mon petit bonhomme. Il vaudrait mieux que vous l’appreniez dès aujourd’hui.

Vinh reconnut cette voix, celle qui avait protesté contre une embuscade Qeng Ho alors même que commençait le massacre. Ritser Brughel. Le grand blond lui adressait un large sourire. Plus question de nuances subtiles.

— En plus, nous jouons pour gagner. Les Araignées vont l’apprendre elles aussi.

Il n’y avait pas bien longtemps qu’Ezr Vinh avait passé une soirée assis à côté de cet individu, l’avait écouté faire la morale à Pham Trinli. Le blond était un mufle et une brute, mais ça n’avait alors pas eu d’importance. Le regard de Vinh balaya rapidement les murs moquettés pour s’arrêter sur Anne Reynolt. Elle observait attentivement la conversation. Physiquement, Brughel et elle auraient pu être frère et sœur. Il y avait même des reflets roux dans la tignasse blonde du type. Mais la ressemblance s’arrêtait là. Brughel avait beau être odieux, ses émotions étaient claires et intenses. Le seul état d’âme que Vinh ait détecté chez Anne Reynolt était l’impatience. Elle observait cette conversation comme elle aurait observé des insectes dans le terreau.

— Mais ne t’inquiète pas, mon petit Fourgueur. Ton logement est d’une discrétion à ta mesure.

Brughel montra du doigt la fenêtre avant. Il y avait un point verdâtre – à peine un disque. C’était le temp’ Qeng Ho.

— Nous l’avons garé sur une orbite de huit jours autour de l’amas principal.

Tomas Nau leva la main poliment, comme s’il demandait la parole, ou presque, et Brughel se tut.

— Nous n’avons qu’un moment, monsieur Vinh. Je sais qu’Anne Reynolt vous a fait faire un tour d’horizon, mais je veux m’assurer que vous compreniez vos nouvelles responsabilités.

Il tripota sa manche et l’image du temp’ Qeng Ho grossit. Vinh avala sa salive ; bizarre, ce n’était qu’un vulgaire temp’ de campagne, d’à peine cent mètres de côté. Ses yeux fouillèrent l’enveloppe bosselée et capitonnée. Il y avait passé moins de 2 Msec, avait maudit mille fois son exiguïté spartiate. Mais maintenant, c’était tout ce qui lui restait comme patrie ; il y avait là beaucoup de ses amis survivants. Un temp’ de campagne est très facile à détruire. Pourtant les alvéoles avaient l’air complètement gonflés et il n’y avait pas de rapiéçages. Le commandant Park avait placé celui-ci loin de ses vaisseaux, et Nau l’avait épargné.

— Votre nouvelle fonction est importante. En tant qu’administrateur de mon escadre, vous avez des responsabilités comparables à celles du défunt commandant Park. Vous aurez mon soutien constant. Je veillerai à ce que mes gens le comprennent.

Un coup d’œil à Ritser Brughel.

— Mais je vous prie de garder à l’esprit ceci : notre succès, voire notre survie, dépendent maintenant de notre coopération.

Dix

Ezr savait qu’en matière de gestion de personnel il avait l’esprit un peu lent. Ce que Nau avait derrière la tête aurait dû lui être immédiatement évident. Vinh avait même étudié ces sortes de situations à l’école. Lorsqu’ils atteignirent le temp’, Nau se fendit d’un petit discours mielleux, présentant Vinh comme le « nouvel administrateur Qeng Ho » de l’escadre. Nau insista tout spécialement sur le fait qu’Ezr Vinh était le plus ancien en grade des membres de Familles d’armateurs encore présents. Les deux vaisseaux interstellaires Vinh avaient survécu à la récente embuscade sans trop de dégâts. S’il fallait trouver un maître légitime pour les vaisseaux Qeng Ho, c’était Ezr Vinh. Et si tout le monde coopérait avec l’autorité légitime, il allait y avoir de la richesse pour tous. Puis Ezr fut poussé sur le devant de la scène pour bredouiller en quelques mots combien il était heureux d’avoir retrouvé ses amis et combien il comptait sur leur aide.

Les jours suivants, il finit par apercevoir le coin que Nau avait enfoncé en douce entre le devoir et la loyauté. Ezr était chez lui, et pourtant il n’y était pas. Chaque jour, il voyait des visages familiers. Benny Wen et Jimmy Diem avaient survécu l’un et l’autre. Ezr connaissait Benny depuis qu’ils avaient six ans ; il était devenu une sorte d’étranger, un étranger coopératif.