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Le deuxième point était plus controversé. Les Émergents voulaient que leurs unités de temps soient utilisées dans toute l’escadre.

— Je ne comprends pas, dit Vinh devant les regards malheureux des autres. La seconde émergente est la même que la nôtre – et, pour les opérations à l’échelon local, le reste est une question de calendrier. Nos logiciels tiennent compte en permanence des calendriers émergents.

Cela ne posait certainement guère de problèmes dans la conversation ordinaire. Le jour balacrien n’était pas très éloigné du « jour » de cent Ksec utilisé par les Qeng Ho. Et l’année émergente était suffisamment proche des trente Msec pour que la plupart des expressions à base annuelle ne suscitent aucune confusion.

— Bien sûr que nous pouvons traiter les calendriers exotiques, mais c’est dans les applications frontales.

Arlo Dinh avait été apprenti-programmeur ; il était maintenant responsable des modifications des logiciels.

— Nos nouveaux, euh… employeurs utilisent les outils Qeng Ho internes. Il y aura des effets indésirables.

Arlo entonna ce mantra d’une voix lugubre.

— Ça va, ça va. Je vais en parler…

Ezr s’arrêta sous l’effet d’une soudaine intuition administrative.

— Arlo, pourquoi n’iriez-vous pas en parler à Reynolt vous-même ? Lui expliquer les problèmes ?

Ezr baissa les yeux sur son ordre du jour et évita le regard gêné d’Arlo.

— Point suivant. Nous allons avoir de nouveaux locataires. D’après le Subrécargue, nous devons nous attendre à trois cents Émergents de plus, suivis de cinquante Qeng Ho. Apparemment, le système de survie peut le tolérer. Qu’en est-il des autres systèmes ? Gonle ?

Lorsque leurs grades avaient encore un sens, Gonle Fong était quartier-maître deuxième classe sur la Main invisible. L’esprit de Fong n’avait pas encore assimilé les changements. Elle était d’un âge indéfinissable et, n’eut été l’embuscade, elle aurait pu terminer sa vie comme quartier-maître deuxième classe. Peut-être était-elle l’une de ces personnes dont l’ascension professionnelle s’était opportunément arrêtée là où leurs aptitudes coïncidaient exactement avec ce qu’on attendait d’elles… Mais à présent…

Fong hocha la tête.

— Ouais, j’ai quelques chiffres à vous montrer.

Elle pianota lourdement sur le clavier émergent posé devant elle, commit quelques fautes de frappe, tenta de les corriger. Sur la fenêtre de l’autre côté de la salle, divers messages d’erreur signalèrent ses carences.

— Comment on enlève ces machins ? marmonna-t-elle en jurant tout bas.

Elle se trompa de touche une nouvelle fois et sa fureur devint audible.

— Bordel de merde, j’en ai marre de ces saloperies !

Brandissant le clavier, elle tenta de le fracasser sur le bois miroitant de la table. Le vernis se craquela, mais le clavier demeura intact. Elle réitéra son geste ; l’affichage des erreurs à l’autre bout de la pièce protesta dans un chatoiement frissonnant et disparut. Fong commença à se lever de son siège et à agiter le clavier bizarrement incurvé sous le nez d’Ezr.

— Ces enculés d’Émergents ont enlevé tous les périphs qui fonctionnent. Je peux pas avoir de commande vocale, je peux pas avoir d’afficheur tête haute. Tout ce qu’on a, c’est des fenêtres et ces gadgets de mes deux !

Elle jeta le clavier sur la table. Il rebondit en spirale et percuta le plafond.

On l’approuva à la ronde, en termes un peu plus mesurés tout de même :

— On ne peut pas tout faire avec un clavier…

— On a besoin d’ATH…

— On est handicapé même quand les systèmes sous-jacents sont fonctionnels.

Ezr leva les mains en attendant que la mutinerie se calme.

— Vous savez tous pourquoi il en est ainsi. Les Émergents ne font pas confiance à nos systèmes, un point c’est tout. Ils se sentent obligés de contrôler la périphérie.

— C’est ça ! Ils veulent des mouchards sur toutes les interactions. Moi non plus, je ferais pas confiance à de l’automatisation capturée. Mais ce truc, c’est pas possible ! Je veux bien me servir de leurs E/S, mais qu’ils nous donnent des afficheurs tête haute, des viseurs à guidage pupillaire et des…

— Je vais vous dire un truc, annonça Gonle Fong. Il y a des gens qui vont carrément continuer d’utiliser leur vieux matériel.

— Ça suffit !

C’était cet aspect de son personnage de lèche-bottes qui le gênait le plus. Ezr s’appliqua à foudroyer Gonle du regard.

— Vous comprenez au moins ce que vous êtes en train de dire, miss Fong ? D’accord, c’est un handicap majeur, mais le Subrécargue Nau considère la désobéissance en la matière comme une trahison. C’est une attitude que les Émergents interprètent comme une menace directe.

Donc, gardez vos vieux périphériques, mais soyez consciente des risques. Il se garda de le dire tout haut.

Fong était recroquevillée sur la table. Elle leva les yeux et hocha la tête d’un air lugubre.

— Écoutez, poursuivit Ezr. J’ai demandé à Nau et à Reynolt qu’on nous livre d’autres périphériques. Il se peut qu’on nous en donne quelques-uns. Mais n’oubliez pas que nous sommes échoués à des années-lumière de la civilisation industrielle la plus proche. Tous les nouveaux gadgets nécessaires devront être fabriqués avec ce dont les Émergents disposent ici en L1.

Ezr doutait qu’il y ait beaucoup d’espoir de ce côté-là.

— Il est suprêmement important pour vous de bien expliquer à vos gens l’interdiction des périphériques. Dans leur propre intérêt.

Il fixa chaque participant l’un après l’autre. Presque tous lui opposèrent un regard mauvais. Mais Vinh devina qu’ils étaient secrètement soulagés. Lorsqu’ils retrouveraient leurs amis, les membres du comité pourraient désigner Vinh du doigt comme le mollasson qui leur imposait les exigences des Émergents – et leur propre impopularité en serait un peu atténuée.

Ezr resta un instant immobile sur son siège, frappé par un sentiment d’impuissance. Pourvu que ce soit bien ce que le maître d’équipage Diem attend de moi. Mais le regard de Jimmy était aussi vide et dur que celui des autres. Une fois sorti du bactério, il jouait son rôle jusqu’au bout. Finalement, Ezr se pencha en avant et dit tranquillement à Fong :

— Vous alliez me parler des nouveaux venus. Quels sont les problèmes ?

Fong grogna en se rappelant ce dont ils discutaient avant qu’elle explose. Mais, contre toute attente, elle dit :

— Ah ! laissons tomber les chiffres. En résumé, nous pouvons prendre encore plus de gens. Et merde, si nous pouvions maîtriser correctement notre automatisation, nous pourrions caser trois mille personnes dans ce ballon. Ce que je pense des gens eux-mêmes ?

Elle haussa les épaules, mais sans grande animosité.

— Des Schnocks typiques. Du genre que j’ai vu dans pas mal de tyrannies. Ils se font appeler « gestionnaires », mais c’est des larbins. En fait, ils ont beau rouler des mécaniques, ils ont un tantinet peur de nous.

Un sourire narquois s’épanouit sur sa face grossière.

— Nous avons des gens qui savent comment traiter des Clients comme eux. Des gens à nous qui commencent à copiner avec eux. Il y a des tas de trucs dont ils ne sont pas censés parler – par exemple, le danger que représente réellement leur saloperie de « sida mental »… Mais je vais vous dire une chose : si leurs patrons ne crachent pas le morceau en vitesse, on trouvera bien nous-mêmes.