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— Tomas…

Elle se tourna pour le regarder en face.

— Tu crois que j’arriverai un jour à stabiliser ce tas de cailloux ?

De fait, cette préoccupation lui convenait très bien. Ritser Brughel – ou même un Tomas Nau plus jeune – n’aurait pas compris que la réaction correcte n’était ni la menace ni même la désapprobation.

— Oui, tu vas trouver la solution. Nous allons trouver la solution. Prends quelques jours de vacances, d’ac ? Le bonhomme Trinli est sorti de cryo pour cette Veille. Laissons-le équilibrer l’agglomérat pendant quelque temps.

Le rire de Qiwi la rendait encore plus jeune qu’elle ne le paraissait.

— Ah, oui ! Pham Trinli !

C’était le seul complice de Diem à qui elle témoignait plus de mépris que de haine.

— Tu te souviens de la dernière fois où il a fait l’équilibrage ? Il a une grande gueule, mais il était tellement timide, au début. L’agglomérat sortait déjà à trois mètres par seconde de l’orbite de L1, et il n’avait rien vu. Alors, il a surcorrigé et…

Elle se remit à rire. Cette jeune Fourgueuse éclatait de rire pour les prétextes les plus étranges. C’était l’une des énigmes que Nau n’avait pas encore élucidées.

Lisolet resta un instant silencieuse, puis, lorsqu’elle reprit la parole, le Subrécargue fut étonné.

— Ouais… peut-être que tu as raison ? Si c’est seulement quatre jours, je peux m’arranger pour que Trinli ne fasse pas trop de dégâts. Peut-être qu’on peut souder les blocs à l’eau après tout… En plus, papa est activé pendant cette Veille. J’aimerais bien passer un peu plus de temps avec lui.

Elle l’interrogea du regard, demandant implicitement à être dispensée de service.

Hum. Parfois, la manipulation ne réussissait pas comme il l’aurait espéré. Il aurait parié trois zombies qu’elle n’accepterait pas sa proposition. Je pourrais encore l’envoyer promener. Il pourrait lui dire oui avec suffisamment de mauvaise grâce pour qu’elle en ait honte. Non. Ça ne valait pas le coup, pas cette fois. Et si l’on n’interdit pas, il faut être totalement généreux en accordant sa permission. Il la pressa contre lui.

— Oui ! Même toi, tu dois apprendre à te détendre.

Elle soupira, sourit avec un soupçon d’espièglerie.

— Oh, oui, mais ça, je l’ai déjà appris.

Elle laissa descendre sa main, et ni l’un ni l’autre ne dirent mot pendant quelque temps. Qiwi Lisolet était encore une adolescente maladroite, mais elle était bonne élève. Et Tomas Nau avait des années devant lui pour faire son éducation. Kira Pen Lisolet avait disposé d’un temps bien plus limité, et puis c’était une adulte peu complaisante. Nau sourit en la revoyant. Eh oui. Chacune à leur manière, la mère comme la fille avaient bien servi ses desseins.

Ali Lin n’était pas né dans la Famille Lisolet. C’était une acquisition externe de Kira Pen Lisolet. Ali était unique – un génie en matière de gestion de parcs et d’écologie du vivant comme en trouve une fois sur un trillion. Et c’était le père de Qiwi. Kira et Qiwi l’aimaient beaucoup l’une et l’autre, même s’il ne pourrait jamais être ce qu’était Kira et ce que serait un jour Qiwi.

Ali Lin était important pour les Émergents, probablement aussi important que n’importe quel Focalisé. C’était l’un des rares à disposer d’un laboratoire en dehors des terriers de surface de Hammerfest. C’était l’un des rares à ne pas être surveillé en permanence par Anne Reynolt ou l’un des directeurs subalternes.

Qiwi et lui étaient maintenant assis à la cime des arbres du parc Qeng Ho et jouaient lentement et patiemment à un jeu impliquant les minuscules hôtes de ce lieu. Elle était là depuis dix Ksec, et son père depuis un peu plus longtemps. Il lui faisait relever des séquences d’ADN sur les nouvelles souches d’araignées recycleuses qu’il cultivait. Il semblait à présent lui faire confiance pour cette tâche, ne vérifiant les résultats que toutes les Ksec environ. Le reste du temps, il s’absorbait dans l’examen des feuilles et dans une sorte de rêverie contemplative sur la manière dont il pourrait mener à bien les projets que lui avait confiés Anne Reynolt.

Qiwi regarda sous ses pieds, vers le sol du parc. Les arbres étaient des amandors florifères, sélectivement cultivés pour la microgravité depuis des milliers d’années par des gens comme Ali Lin. Les feuilles descendaient en tortillons buissonnants qui rendaient leur observatoire presque invisible depuis le « bas » ombragé. Même en l’absence de pesanteur, le ciel bleu et la configuration des branches donnaient au parc une subtile orientation. Les plus gros animaux réels étaient les papillons et les abeilles. Qiwi entendait les abeilles, en apercevait à l’occasion qui volaient telles des balles perdues. Les papillons étaient partout. Les variétés microgravitiques s’orientaient sur le soleil simulé, si bien que leur vol fournissait au visiteur un indice psychologique de plus sur le haut et le bas. Le parc était pour le moment vide d’humains, officiellement fermé pour entretien. C’était un petit mensonge, mais Nau ne le lui avait pas reproché. En fait, le parc était carrément devenu trop populaire. Les Émergents l’aimaient au moins autant que les Qeng Mo. L’endroit attirait tellement de visiteurs que Qiwi y détectait les signes avant-coureurs d’une défaillance du système ; les petites araignées recycleuses n’arrivaient plus à tenir tout à fait la cadence.

Elle considéra le visage distrait de son père et sourit. C’était vraiment la pause entretien, pour ainsi dire.

— Voilà la dernière série d’allèles ; c’est ça que tu cherches, papa ?

— Hein ?

Il ne leva pas les yeux de sa besogne. Puis il sembla brusquement avoir entendu la question.

— Vraiment ? On va voir, Qiwi.

Elle lui passa la liste.

— Tu vois ? Là, et là. C’est le type de récurrence que nous cherchions. Les disques imaginaux vont évoluer exactement comme tu le souhaitais.

Son père voulait un métabolisme plus rapide sans dépassement des limites démographiques. Dans ce parc, insectes et arachnides n’avaient pas de prédateurs bactériens ; la lutte pour la vie se déroulait à l’intérieur de leur génome.

Ali lui prit la liste des mains. Il sourit doucement, presque comme s’il la regardait, presque comme s’il s’apercevait de sa présence.

— Ça va, tu t’en es bien tirée avec les coefficients.

Pareils compliments étaient à peu près tout ce qu’il restait à Qiwi Lin Lisolet pour essayer de retrouver le passé. Chez les Lisolet, les études se faisaient entre neuf et quatorze ans. Ç’avait été pour Qiwi une période de solitude, mais sa mère avait eu raison de la lui imposer. Qiwi avait fait un grand pas vers l’âge adulte, avait appris à être seule dans le grand vide noir. Elle avait appris le fonctionnement des systèmes de survie qui étaient la spécialité de son père, avait appris la mécanique céleste qui rendait possibles les constructions de sa mère et, par-dessus tout, elle avait appris à quel point elle adorait être avec les autres pendant leurs périodes d’éveil. Ses deux parents avaient passé plusieurs de ces années hors cryostase à partager les services d’entretien avec elle et les techs de Veille.