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Ritser sourit.

— D’accord. Il peut au moins servir de bouffon. Faut voir comme il nous lèche les bottes à vous comme à moi ! Et pompeux avec ça !

Il agita la main en direction des casiers à cercueils.

— C’est bon. On les réveille comme prévu. On a déjà eu trop d’« accidents » à expliquer comme ça.

Il se retourna vers Nau. Il arborait encore un sourire, mais l’éclairage en contre-plongée en faisait la grimace qu’il était réellement.

— Le vrai problème, ce n’est pas la Veille A. Subrécargue, j’ai découvert de la subversion manifeste ailleurs.

Nau le considéra avec un air modérément surpris. Il s’y attendait un peu.

— Qiwi Lisolet ?

— Oui ! Attendez. Je sais que vous avez vu comme elle m’a tenu tête l’autre jour. Cette suce-morve mériterait la mort rien que pour ça… mais ce n’est pas de cela que je me plains à vous. J’ai des preuves solides qui montrent qu’elle viole Votre Loi. Et elle a des complices.

Là, Nau fut quand même légèrement surpris.

— De quoi s’agit-il ?

— Vous savez que je l’ai surprise dans le parc des Fourgueurs avec son père. Elle avait fermé le parc pour se faire plaisir. C’est ça qui m’a mis en colère. Mais ensuite… je lui ai mis mes mouchards sur le dos. Une surveillance non systématique ne l’aurait peut-être pas remarqué avant plusieurs Veilles, mais cette petite garce est en train de piller les ressources de la base. Elle a volé des produits dans la distillerie des volatiles. Elle a détourné du temps de travail à l’usine. Elle s’est servie de la Focalisation de son père pour l’aider dans ses expériences personnelles.

Pestilence ! Qiwi ne lui en avait pas raconté autant.

— Et alors… qu’est-ce qu’elle fait avec ces ressources ?

— Ces ressources et d’autres, Subrécargue. Elle a toutes sortes de projets. Et elle n’est pas seule… Elle a l’intention d’échanger ces marchandises volées contre son propre avancement.

Un instant, Nau ne sut plus quoi dire. Bien sûr, pratiquer le troc avec les ressources de la communauté était un crime. Presque jusqu’au bout des Années Fléaux, on avait exécuté plus de gens pour troc et accumulation frauduleuse de ressources qu’il n’en était mort des suites du Fléau lui-même. Mais à l’époque moderne… bon, on ne pouvait totalement éliminer le troc. Sur Balacrea, il servait périodiquement de prétexte à de massives exterminations – mais restait un prétexte. Nau choisit ses mots pour mentir.

— Ritser. J’étais au courant de toutes ces activités. Elles contreviennent certes à la lettre de Ma Loi. Mais réfléchissez. Nous sommes à vingt années-lumière de chez nous. Nous avons affaire à des Qeng Ho. Une race d’authentiques trafiquants. Je sais que c’est difficile à accepter, mais toute leur existence se résume à escroquer la communauté. Nous ne pouvons espérer supprimer ce trait en un instant…

— Non !

Brughel s’élança depuis l’étagère à laquelle il se retenait et saisit la grille juste à côté de Tomas.

— C’est tous de la racaille, mais c’est seulement Lisolet et une poignée de conspirateurs agressifs – et je peux vous dire exactement de qui il s’agit – qui violent Votre Loi !

Nau n’avait pas de peine à s’imaginer comment tout cela s’était produit. Qiwi Lin Lisolet n’avait jamais obéi aux règles, même chez les Qeng Ho. Sa cinglée de mère avait eu beau la programmer pour avoir la mainmise sur elle, la petite échappait à tout contrôle direct. Plus que toute autre chose, elle adorait jouer. Une fois, Qiwi lui avait dit : « Il est toujours plus facile de se faire pardonner après que d’avoir la permission avant. » Cette simple affirmation révélait l’abîme entre la vision du monde de Qiwi et celle des Premiers Subrécargues.

Il lui fallut un effort de volonté pour ne pas battre en retraite devant Brughel. Qu’est-ce qui lui prend ? Il regarda l’autre droit dans les yeux, ignorant la matraque dans la main tremblante de Ritser.

— Je suis sûr que vous pourriez les identifier. C’est votre travail, Vice-Subrécargue. Et ma part de travail, c’est d’interpréter Ma Loi. Vous savez que Qiwi ne s’est jamais débarrassée du sida mental ; si nécessaire, elle peut facilement être… bridée. Je veux que vous continuiez à m’informer de ces infractions possibles, mais, pour l’instant, je choisis de fermer les yeux.

— Vous choisissez de fermer les yeux ? Vous choisissez ? Moi, je…

Brughel resta muet une seconde. Lorsqu’il reprit la parole, sa voix était plus contrôlée, sa rage plus mesurée.

— Oui, nous sommes à vingt années-lumière de chez nous. Nous sommes à vingt années-lumière de votre famille. Et votre oncle ne règne plus.

La nouvelle de l’assassinat d’Alan Nau était parvenue alors que leur expédition était encore à trois ans de voyage du système MarcheArrêt.

— Chez nous, peut-être que vous pourriez violer n’importe quelle règle, et protéger des criminelles simplement parce qu’elles seraient bonnes à baiser.

Il fit doucement claquer sa baguette contre la paume de sa main.

— Mais ici, et en ce moment, vous êtes très isolé.

Une violence fatale entre Subrécargues était au-delà de toute loi. C’était un principe qui remontait aux Années Fléaux – mais c’était aussi une vérité naturelle fondamentale. Si Brughel lui fendait le crâne à cet instant, c’est Kal Omo qui succéderait au Vice-Subrécargue. Mais Nau dit tranquillement :

— Vous êtes encore plus seul, mon ami. Combien de Focalisés sont configurés sur vous ?

— J’ai… j’ai les pilotes de Xin, j’ai les mouchards. Je pourrais demander à Reynolt d’en transférer d’autres, si nécessaire.

Ritser chancelait au bord d’un précipice dont Tomas n’avait pas soupçonné l’existence, mais, au moins, il se calmait.

— Je crois que vous connaissez mieux Anne que cela, Ritser.

Et, brusquement, la flamme assassine s’éteignit chez Brughel.

— Ouais, vous avez raison. Vous avez raison.

Il sembla s’effondrer.

— Monsieur…, c’est simplement que cette mission n’a pas du tout tourné comme je me l’imaginais. On avait les ressources pour vivre comme les Hauts Subrécargues, ici. On avait la perspective de découvrir une planète pleine de trésors. Maintenant, la plupart de nos zombies sont morts. On n’a pas le matériel nécessaire pour rentrer chez nous sans problème. On est coincés ici pour des dizaines d’années…

Ritser semblait au bord des larmes. La transition entre la menace et la faiblesse était fascinante. Tomas parla doucement, d’une voix rassurante.

— Je comprends, Ritser. Nous nous trouvons dans la situation la plus extrême que personne ait jamais connue depuis les Fléaux. Si c’est douloureux pour un homme de votre trempe, j’ai très peur pour le tout-venant de l’expédition.