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Ces élucubrations n’étaient en fait pas nouvelles, mais Unnerby était un peu surpris de voir que Sherkaner laissait ses enfants étudier la pseudo-paléontologie de Khelm.

Brent, l’autre garçon de douze ans, ressemblait plus au stéréotype de l’enfant né hors phase : replié sur lui-même, un peu morose, arriéré, peut-être. Il ne savait apparemment pas quoi faire de ses mains et de ses pieds, et, bien qu’il ait abondance d’yeux, il préférait la vision antérieure, à croire qu’il était encore beaucoup plus jeune. Brent ne semblait pas s’intéresser à quoi que ce soit en particulier, hormis à ce qu’il appelait « les tests de papa ». Il avait des pleins sacs de tiges et de noyaux connecteurs en métal brillant. Trois ou quatre des tables étaient couvertes de structures complexes à base de tiges et de noyaux. En variant astucieusement le nombre de tiges par noyau, quelqu’un avait construit pour l’enfant diverses surfaces courbes.

— J’ai pas mal réfléchi aux tests de papa. J’arrête pas d’améliorer mon score.

Il s’attaqua à un volumineux tore et se mit à en disloquer l’armature minutieusement assemblée.

— Des tests ? dit Unnerby en foudroyant Sherkaner du regard. Qu’est-ce que vous faites avec ces enfants ?

Underhill ne sembla pas détecter la colère dans sa voix.

— Les enfants ne sont-ils pas des créatures étonnantes… je veux dire, quand ils ne vous font pas chier. En regardant un bébé grandir, vous pouvez voir les mécanismes de la pensée se mettre en place, étape par étape.

Il se passa doucement la main sur le dos et caressa les deux bébés, qui étaient revenus se mettre à l’abri.

— À certains égards, ces deux-là sont moins intelligents qu’un tarant de jungle. Certaines configurations de pensée sont carrément absentes chez les bébés. Lorsque je joue avec eux, je sens presque ces barrières. Mais, à mesure que passent les années, les esprits croissent ; des méthodes s’ajoutent.

Tout en parlant, Underhill marchait le long des tables de jeu. L’un des enfants de cinq ans – Gokna – dansait à un demi-pas devant lui en singeant ses gestes, jusqu’à son tremblement. Il s’arrêta devant une table couverte de gracieuses bouteilles en verre soufflé, d’une douzaine de formes et de teintes différentes. Plusieurs étaient pleines de jus de fruits et de glace, comme pour quelque bizarre goûter sur l’herbe.

— Mais même les enfants de cinq ans ont des œillères mentales. Ils ont de bonnes compétences langagières, mais il leur manque encore des concepts de base…

— Et c’est pas uniquement le fait qu’on comprenne pas la sexualité ! s’écria Gokna.

Pour une fois, Underhill se montra un peu gêné.

— Elle a entendu ce discours trop de fois, j’en ai peur. Et maintenant, ses frères lui ont déjà appris quoi répondre lorsque nous jouons sur questionnaire.

Gokna le tira par le jambage.

— Assieds-toi et joue avec nous. Je veux montrer à M. Unnerby ce que nous savons faire.

— D’accord. Nous pouvons essayer… où est ta sœur ?

Sa voix fut brusquement sèche et sonore.

— Viki ! Descends de là-haut ! C’est dangereux pour toi.

Victory Junior était montée sur le filet à grimper des bébés et courait de-ci, de-là, juste au-dessus de l’auvent.

— Oh, mais c’est pas dangereux, papa, puisque tu es là !

— Mais si ! Descends immédiatement.

Le retour de Junior s’accompagna de vigoureux ronchonnements, mais, quelques minutes plus tard, elle se distingua d’une autre manière.

Un par un, les enfants lui exposèrent toutes leurs activités. Les deux aînés participaient à une émission éducative de la radio nationale, qui expliquait la science aux jeunes. Apparemment, Sherkaner en était le producteur, pour des raisons qui restèrent obscures.

Hrunkner toléra le tout : il souriait, il riait, il faisait semblant. Et chaque enfant était une petite merveille. Brent excepté, chacun était plus intelligent et plus ouvert que presque tous les enfants dont Unnerby se souvenait. Ce qui rendait leur sort encore plus triste quand on songeait à ce que la vie serait pour eux le jour où ils seraient obligés d’affronter le monde extérieur.

La maison de poupée de Victory Junior était une construction démesurée qui débordait un peu sur les fougères. Lorsque vint son tour, elle accrocha deux mains sous l’un des avant-bras de Hrunkner et le traîna presque de force jusqu’à la façade à ciel ouvert de la maison.

— Regardez, dit-elle en lui montrant un trou dans le sous-sol qui ressemblait étrangement à l’entrée d’une termitière. Ma maison a même son propre profond. Et puis une cuisine, et une salle à manger, et sept chambres à coucher…

Hrunkner ne put se soustraire à la visite guidée de chaque pièce ni à l’explication de tous leurs aménagements. Junior ouvrit un panneau dans une chambre et révéla une intense agitation à l’intérieur du mur.

— Et j’ai même des locataires miniatures dans ma maison. Regardez les octopèdes.

L’échelle de la demeure était en fait idéale pour les petites créatures, du moins dans cette phase du soleil. Leurs pattes médianes finiraient par se transformer en ailes colorées. Elles deviendraient des fées des bois et seraient totalement déplacées ici. Mais, pour l’instant, elles ressemblaient vraiment à des habitants miniatures qui circulaient précipitamment d’une pièce à l’autre.

— Elles m’aiment beaucoup. Elles peuvent retourner dans les arbres quand elles veulent, mais je mets des petits morceaux de nourriture dans les chambres et elles viennent faire un tour tous les jours.

Junior tira sur de minuscules poignées en laiton et une section du plancher sortit en coulissant comme un tiroir. Elle contenait un labyrinthe complexe fabriqué avec de minces cloisons en bois.

— Je fais même des expériences avec elles, comme papa quand il joue avec nous, sauf que c’est beaucoup plus simple.

Ses yeux de bébé étaient tous les deux braqués vers le bas, si bien qu’elle ne pouvait voir la réaction d’Unnerby.

— Je mets des gouttes de miel près de cette issue, là, et puis je les fais rentrer de l’autre côté. Ensuite, je chronomètre combien de temps il leur faut pour… Oh, mais tu t’es perdue, hein, ma mignonne ? Ça fait deux heures que tu es bloquée ici. Je suis désolée.

Elle allongea sans grâce une main nourricière jusque dans la boîte et déposa doucement l’octopède sur une corniche près des fougères.

— Hé hé ! fit-elle avec un rire de gorge très sherkanien, y en a qui sont beaucoup plus bêtes que d’autres – ou alors, c’est une question de chance. Maintenant, qu’est-ce que je vais lui donner comme temps de parcours, puisqu’elle n’est même pas entrée dans le labyrinthe ?

— Je… je ne sais pas.

Elle se retourna pour le regarder en face et leva ses beaux yeux vers lui.

— Maman dit que mon petit frère s’appelle Hrunkner à cause de vous. C’est vrai ?

— Oui. Je crois bien.

— Maman dit que vous êtes le meilleur ingénieur du monde. Elle dit que vous pouvez tout réaliser, même les idées dingues de mon papa. Maman veut que vous nous aimiez.

Le regard d’un enfant était unique. Il était tellement directif. La cible n’avait pas la moindre possibilité de l’ignorer. Toute la gêne et la douleur suscitées par la visite semblèrent ce concentrer en cet instant.

— Je vous aime, dit Hrunkner.

Victory Junior le considéra un instant encore, puis son regard se détourna.

— D’accord.

Ils déjeunèrent avec les petits faucheux dans l’atrium, abrités sous l’auvent. La couverture nuageuse se délitait et il commençait à faire chaud, du moins pour une journée de printemps à Princeton dans la dix-neuvième année. Même sous l’auvent, la chaleur était assez forte pour vous faire transpirer par toutes les jointures. Les enfants ne semblaient pas en être affectés. Ils étaient encore captivés par l’inconnu qui avait donné son nom à leur petit frère. À part Viki, ils étaient plus bruyants que jamais, et Unnerby s’efforça de réagir de son mieux.