Non loin d’eux, un groupe d’Arabes arrosait un anniversaire avec des flots de Taittinger en magnums, dégustés à la chaîne.
— Vous croyez à l’hypothèse de Richard Spicer ? demanda Malko.
Gwyneth Robertson hocha la tête affirmativement.
— C’est possible. Sultan à beaucoup d’argent et flambe comme un fou. Il m’a dit qu’Aisha dépensait l’argent comme de l’eau. Par moments, il semblait amer de n’avoir pas de retour sur son investissement, à cause de sa résidence surveillée à Islamabad. Mais il est très discret sur l’origine de sa fortune. L’Agence pense qu’il a participé au système clandestin de transfert de technologie de son chef, Abdul Qadeer Khan, vers la Libye, l’Iran et la Corée du Nord. La Libye à elle seule a payé cent millions de dollars… Tout l’argent transitait par Dubaï et les organisateurs, Abdul Qadeer et Sultan Hafiz Mahmood, conservaient ce qu’ils voulaient pour eux. Comme Aisha vivait à Dubaï et connaît Sultan depuis sept ans, elle doit savoir beaucoup de choses.
— Donc, cela vaut la peine, conclut Malko.
— Of course, fit Gwyneth en étouffant un bâillement.
— Fatiguée ?
Elle tourna vers lui ses yeux porcelaine pleins d’innocence.
— Non, mais toute cette fumée m’indispose. Pourquoi n’irions-nous pas chez vous pour que je vous briefe sur la meilleure façon d’attaquer la belle Aisha ?
Gwyneth Robertson pratiquait la fellation comme on l’enseigne dans les finishing schools britanniques : avec retenue, délicatesse, technique et persévérance.
À peine Malko avait-il poussé la porte de sa chambre qu’elle lui avait dardé une langue impérieuse au fond de la gorge, tout en jouant du bassin avec l’art d’une danseuse orientale. Elle n’avait interrompu son baiser profond que pour lâcher :
— This is stricly business. Richard m’a demandé de vous aider à mettre toutes les chances de notre côté…
Ensuite, glissant silencieusement à terre, elle était passée au stade suivant, jusqu’à ce que Malko sente sa semence prête à jaillir de ses reins. Gwyneth l’avait deviné aussi. Elle arracha sa bouche de lui et se redressa, disant simplement :
— Elle n’aime pas qu’on jouisse dans sa bouche. Vieux reste d’éducation religieuse, probablement.
Gwyneth enchaîna aussitôt :
— Maintenant, baisez-moi. Elle adore ça.
Relevée, elle ôta rapidement sa culotte et fit face à Malko, ironique. Celui-ci sentit qu’il y avait un hic. Il aperçut le bureau et prenant Gwyneth par la taille, l’y courba. D’elle-même, elle s’y appuya des deux mains et se cambra, lui offrant sa croupe. Il n’eut qu’à relever la microjupe pour l’embrocher d’un trait. Gwyneth rythma son assaut de brefs coups de reins, jusqu’à ce qu’il explose dans son ventre. La première leçon était terminée. À la satisfaction générale. La jeune case officer alla s’allonger sur le lit et lança d’un ton espiègle :
— C’est pas mal, mais si vous arrivez à ce stade avec notre amie, il ne faut pas tout à fait procéder de cette façon…
— Ah bon ?
Les yeux bleus pétillaient d’innocence. D’une voix précise, Gwyneth annonça sur le ton de la confidence :
— Il n’y a qu’une chose qu’Aisha aime vraiment. Qui la fait grimper au mur…
Elle se pencha à l’oreille de Malko et le lui dit. En dépit de son expérience des femmes, il sursauta légèrement.
— La première fois ?
— Surtout la première fois.
— Comment savez-vous tout cela ?
Gwyneth Robertson ressortit son sourire plein d’innocence.
— Je vous ai dit que Sultan était fou amoureux d’Aisha. Il m’a baisée comme il la baisait. Je vous fais profiter de mon expérience…
Malko la regarda, se demandant si elle était née salope ou si sa vie professionnelle l’avait révélée. Déjà, elle se relevait. Elle remonta sa culotte accrochée à sa cheville et soupira.
— J’avais entendu parler de vous à l’Agence. Je suis ravie de cette rencontre. Si vous voulez me joindre, voilà mon portable.
Après un chaste baiser, elle s’éclipsa, laissant Malko perplexe. Cette préparation d’objectif était digne de la Division des Opérations. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il puisse se rapprocher suffisamment de sa cible pour la mettre à exécution.
*
* *
Encore endormi, Malko décrocha à tâtons le téléphone qui sonnait. Les aiguilles lumineuses de sa Breitling indiquaient 9 h 10.
— Prince Malko Linge ?
La voix de femme grave et sensuelle lui expédia une giclée d’adrénaline dans les artères, qui le réveilla instantanément.
— Oui.
— C’est Aisha Mokhtar. Vous savez, vous avez renversé du champagne sur ma robe, hier après-midi…
Comme s’il avait pu l’oublier…
— Je suis ravi que vous m’appeliez. Je voudrais…
— Je vous appelais pour vous dire que la tâche a complètement disparu. C’était sûrement du très bon champagne. Ainsi pas de teinturier…
Donc, elle n’avait officiellement aucune raison de lui téléphoner. Malko plongea dans cette faille.
— Laissez-moi au moins vous inviter à déjeuner, proposa-t-il, pour me faire pardonner.
— Aujourd’hui ?
— Oui, bien sûr. Elle soupira.
— Bien, je vais décommander un de mes soupirants. Ce n’est pas très gentil : il est venu du fin fond de l’Angleterre pour me voir.
— Moi, je viens du fin fond de l’Europe, argumenta Malko. J’ai la priorité.
Elle rit.
— Well. Je passe vous prendre à une heure au Lanesborough. Vous aimez le Dorchester ?
— J’adore, jura Malko, qui n’y avait pas mis les pieds depuis dix ans.
— J’adore aussi, confirma Aisha Mokhtar.
Il fonça vers la douche, euphorique. Les conseils éclairés de Gwyneth Robertson risquaient de servir.
*
* *
Chawkat Rauf se glissa discrètement dans une des allées du Bara Market, le plus grand marché de contrebande de Peshawar, qui s’étendait sur une dizaine de kilomètres carrés le long de Jamrud Road, menant à la Khyber Pass, juste avant le début de la zone tribale. On y trouvait tous les produits détaxés arrivant d’Afghanistan, plus d’innombrables contrefaçons et un marché des voleurs où l’on pouvait se procurer armes, drogue et à peu près n’importe quoi.
Après avoir traîné devant les téléviseurs, les vélos, les couvertures chinoises, les pots d’échappement, les pneus, Chawkat Rauf arriva devant la modeste échoppe d’un vieux Sikh au turban impeccable, qui se spécialisait, lui, dans les fausses Rolex. Toutes venaient de Chine, fonctionnaient parfaitement et pouvaient s’acquérir pour le prix modique de 20 dollars… Les deux hommes se saluèrent : Chawkat Rauf était un client fidèle. Pas pour les montres, mais ce Sikh avait une autre spécialité. Depuis 2001, d’innombrables rabatteurs de la zone tribale pakistanaise et d’Afghanistan lui apportaient tout ce que les talibans ou les gens d’Al-Qaida abandonnaient dans leur fuite ou leurs déplacements.
Bien entendu, les différents représentants des services de renseignements présents au Pakistan ne l’ignoraient pas et venaient régulièrement faire leur marché, achetant à prix d’or documents, objets divers, armes trouvés dans les caches. Cela allait du manuel de guerre chimique à des organigrammes de cellules d’Al-Qaida. Certains n’avaient aucune valeur, d’autres pouvaient donner de précieux renseignements, mais le vieux Sikh vendait tout à la tête du client, empochant des centaines de dollars. Neutre, étant donné sa religion, il se contentait de faire du business et personne ne songeait à s’attaquer à lui. Les Sikhs, une communauté très soudée, tenaient presque toutes les échoppes du Bara Market.