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L’occupation de l’Afghanistan avait mis fin aux activités de l’ONG de Sultan Hafiz Mahmood et, après avoir encaissé le choc de la défaite, il avait conçu son grand projet, celui qui montrerait d’une façon éclatante qu’Al-Qaida était toujours aussi puissante.

Un projet de longue haleine, auprès duquel le 11 septembre n’était qu’une action modeste. Puisant son énergie dans la lecture de ses propres écrits, il voulait en quelque sorte maîtriser la force de ces djinns que l’on retrouve partout dans la culture arabe, pour rendre l’oumma maître du monde. Il n’en était pas encore là, mais, à force de ténacité, et grâce à l’appui de plusieurs de ses amis qui pensaient comme lui, il avait entrepris de tenir la promesse faite à Oussama Bin Laden.

Au départ, en y réfléchissant froidement, son projet semblait impossible à réaliser, mais la foi soulève des montagnes. Sultan Hafiz Mahmood s’était mis au travail avec une patience de fourmi et dans le secret le plus absolu.

Il avait mis des mois avant d’arriver à un premier résultat, qui n’avait rien de spectaculaire. Cependant, la pompe était amorcée et il avait repéré quelques sympathisants, placés à des postes stratégiques, qui pensaient comme lui et obéissaient aux mêmes motivations. Ce projet n’était pas une occasion de gagner de l’argent et l’ingénieur pakistanais en avait écarté tous ceux qui auraient eu tendance à en réclamer : ceux qui se laissent acheter peuvent toujours céder à une surenchère.

Il n’était resté que les purs qui, comme lui, poursuivaient un idéal.

En cours de route, il avait même été obligé d’étrangler de ses propres mains un homme qui menaçait de révéler son secret aux autorités pakistanaises, si Sultan Hafiz Mahmood ne lui versait pas un million de roupies. Ce dernier lui avait donné rendez-vous dans une zone déserte des Margalla Hills, au nord d’Islamabad. Il s’y était rendu avec deux amis sûrs et, pendant que le traître en puissance était maintenu par eux, il l’avait étranglé en priant Dieu.

Plus de deux ans s’étaient écoulés depuis son engagement : Sultan Hafiz Mahmood maintenait un contact irrégulier avec Oussama Bin Laden, mais avait décliné plusieurs invitations du Cheikh à venir lui rendre visite dans une de ses planques du Waziristan. Il ne voulait pas perdre la face, persuadé que le chef d’Al-Qaida avait passé par pertes et profits sa promesse, née probablement du lyrisme religieux courant dans cette région du monde. Cela n’avait sans doute aucune importance à ses yeux, d’ailleurs. Sultan Hafiz Mahmood étant l’un de ses plus anciens fidèles. S’il s’était engagé à l’impossible et n’avait pu l’accomplir, ce n’était pas un péché. Seulement un excès d’exaltation.

Les autorités pakistanaises ne s’occupaient guère de Sultan Hafiz Mahmood. À la suite de découvertes compromettantes dans les locaux de son ONG à Kaboul, les Américains, le considérant comme un suppôt de Bin Laden, avaient exigé de l’interroger, mais les autorités pakistanaises avaient toujours fait la sourde oreille. Sultan Hafiz Mahmood savait trop de choses sur le programme nucléaire militaire secret du Pakistan. Aussi, depuis 2002, il lui était interdit de se rendre à l’étranger à cause des menaces que faisaient peser sur lui les services israéliens et américains. Cependant, à l’intérieur du Pakistan, il jouissait d’une grande liberté. Même s’il était entouré, à Islamabad, d’une protection discrète, les agents de l’ISI[2] ne pouvaient le suivre partout, dans ses innombrables promenades en montagne, dans les zones tribales pakistanaises. Les tribus locales n’appréciaient guère les étrangers. Ce qui permettait à l’ingénieur nucléaire d’accomplir quelques voyages bien utiles… À Islamabad, il donnait le change en recevant beaucoup et en multipliant les aventures féminines… Personne ne pouvait soupçonner sa véritable occupation.

Enfin, un jour, il avait pu envoyer un messager sûr au Cheikh, lui fixant rendez-vous dans un village isolé du Baloutchistan nord, Ziarat, tout près de la frontière afghane, là où les tribus locales avaient toujours combattu le pouvoir central pakistanais. Lors de ce voyage, il avait pris des précautions extraordinaires, afin d’être certain de ne pas avoir été suivi par des agents de l’ISI.

Ceux-ci avaient décroché dans la région de Dahra, le village où, depuis des centaines d’années, les Baloutches fabriquaient des armes artisanales. Ensuite, Sultan Hafiz Mahmood avait pu gagner, par différents moyens, à pied, à dos de mulet et en 4 × 4, le lieu du rendez-vous.

Il était volontairement arrivé plusieurs heures avant le Cheikh, en profitant pour envoyer des hommes inspecter les environs, afin de s’assurer qu’il n’avait pas été suivi. Heureusement, dans cette zone perdue, à part les drones Predator américains, il n’y avait aucune surveillance. Oussama Bin Laden avait surgi d’un sentier de chèvre, à cheval, escorté d’une quinzaine d’hommes, sa garde personnelle, en tenue afghane. Depuis des années, il n’utilisait plus aucun moyen électronique de transmission, ne recourant qu’à des messagers sûrs.

Après avoir embrassé trois fois Sultan Hafiz Mahmood, sa première question avait été :

— Pourquoi m’avoir donné rendez-vous ici ?

— Cheikh, je voulais vous montrer quelque chose, avait répondu d’un ton mystérieux l’ingénieur pakistanais.

Tandis que ses hommes prenaient position pour surveiller les accès du minuscule village, Oussama Bin Laden avait suivi son guide. L’accompagnaient, Ayman Al-Zawahiri, son bras droit et médecin personnel, un grand jeune homme en djellaba blanche au regard brûlant, Yassin Abdul Rahman, un des fils du cheikh aveugle Omar Abdul Rahman, emprisonné à vie aux États-Unis pour le premier attentat contre le World Trade Center, en 1993, et Noor, le taleb cinéaste. Le reste de ses hommes, armés de fusils à lunette, de RPG et de trois SAM 16 achetés à prix d’or, missiles sol-air destinés à neutraliser d’éventuels hélicoptères, était réparti à un kilomètre à la ronde.

Pour Sultan Hafiz Mahmood, c’était le plus beau jour de sa vie ! Sa voix tremblait d’émotion lorsqu’il avait commencé la visite guidée d’un petit atelier installé dans une maison de pierres sèches, à l’écart du village, qui avait servi auparavant d’entrepôt à un marchand de ferraille qui parcourait la montagne à la recherche de carcasses de véhicules militaires revendables.

Oussama Bin Laden n’était pas un technicien, aussi Sultan Hafiz Mahmood s’était-il contenté d’explications très simples. Évidemment, ce n’était pas spectaculaire, mais à la flamme dans le regard du Cheikh, l’ingénieur nucléaire avait senti qu’il le croyait. À la fin de la visite, Oussama Bin Laden avait simplement demandé :

— Ça marchera ?

— Inch’ Allah, cela marchera ! avait promis Sultan Hafiz Mahmood. C’est à toi de me dire où tu souhaites frapper.

Oussama Bin Laden, Ayman Al-Zawahiri, Yassin Abdul Rahman, et lui s’étaient accroupis près des chevaux, autour d’un plateau de thé, et avaient longuement discuté. Pour cette fois, Noor avait été tenu à l’écart. Il s’agissait de détails opérationnels que nul ne devait connaître.

Si ce que venait de montrer Sultan Hafiz Mahmood à Oussama Bin Laden était le cœur de ce projet, il y avait d’autres aspects presque aussi importants, une logistique compliquée qui devait rester totalement secrète et fonctionner comme un mécanisme d’horlogerie.

Cela demandait de l’argent aussi. Plusieurs millions de dollars. Le recrutement de gens sûrs, une organisation s’étendant sur plusieurs pays. Ayman Al-Zawahiri avait été le plus enthousiaste. Il voyait là, enfin, un projet à sa taille. C’est lui qui avait minutieusement organisé les attentats du 11 septembre 2001 et, depuis, il était resté un peu sur sa faim. Cette opération, par sa complexité et ses objectifs, le ravissait. Il allait pouvoir faire la preuve qu’en dépit des revers, Al-Qaida était toujours à même d’organiser une action qui ferait trembler le monde.

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Services de renseignements pakistanais (InterServices Intelligence).