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Il alla ensuite se recoucher, priant de toutes ses forces pour qu’on lui vienne en aide avant qu’on l’égorge.

CHAPITRE VII

Jonathan Hood tournait depuis sept heures du matin dans le quartier d’Upton Park sur sa mobylette, une grande carte routière fixée sur son guidon. Il s’arrêtait fréquemment, prenait des notes, feuilletait un atlas des rues londoniennes et repartait. Tous les jours, Londres était ainsi parcouru par des apprentis chauffeurs de taxi, qui préparaient un examen où ils devaient connaître un nombre incalculable de rues.

Quittant Neville Road, il tourna dans Green Street, à un bloc de la mosquée située au 88, et s’arrêta le long du trottoir, vérifiant quelque chose sur son plan, juste en face d’un marchand de légumes.

Personne ne prêtait attention à lui, la valse des apprentis chauffeurs de taxi étant habituelle, et pourtant Jonathan Hood était un agent de la Division D du MI5 en mission. Une puissante radio était dissimulée dans une des sacoches de sa mobylette, le reliant à un « sous-marin », une camionnette d’une entreprise de plomberie qui tournait elle aussi dans le quartier et rendait compte à la centrale de Millbank. Exceptionnellement, Jonathan Hood était armé. Un pistolet automatique Glock 9 mm dissimulé sous son chandail de laine bleu. Il repartit et s’arrêta un peu plus loin, presque en face de la mosquée du 88, un bâtiment de deux étages faisant le coin de Green Street et de Strudley Road. Un Pakistanais en camiz-charouar était en train de téléphoner d’un taxiphone installé contre le mur de la mosquée et il crut d’abord que c’était son « client ». Un rapide coup d’œil sur la photo posée sur sa carte routière lui révéla qu’il n’en était rien. D’ailleurs, ce numéro – 02084707808 – avait été placé sur écoutes depuis la veille au soir. Le rôle de Jonathan Hood était simple : observer la mosquée et ses alentours et, éventuellement, porter secours au « client » désigné, un informateur du MI6 dont il ignorait même le nom.

Il cala sa machine contre le mur et pénétra dans la cafétéria voisine, commandant un kebab et un Coca. Accoudé au comptoir, il pouvait surveiller l’entrée de la mosquée dans le miroir du bar. Il prévoyait une journée fastidieuse : ce genre de planque ne débouchait d’habitude sur rien de concret…

*

*   *

Chawkat Rauf n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Après une toilette succincte, il décida de descendre, faisant pour le moment l’impasse sur le caméscope. Sa décision était prise : dès qu’il serait dehors, il fausserait compagnie à son mentor et courrait jusqu’à ce qu’il rencontre un bobby.

La barbe bien peignée, comme ses cheveux et sa moustache, il s’engagea dans l’escalier. L’homme qui avait dormi sur le palier du premier avait disparu, ainsi que son matelas. Il déboucha au rez-de-chaussée. La porte du local utilisé pour les repas était ouverte et trois « frères » s’y trouvaient déjà avec Sambal Chahan, le responsable de la mosquée. Ils accueillirent chaleureusement Chawkat Rauf qui prit place à la table et remplit un bol de lait pour y jeter des céréales.

— Tu as passé une bonne nuit, mon frère ? demanda affectueusement Sambal Chahan. Je dors en dessous de toi et j’ai entendu grincer ton charpoi toute la nuit. Tu étais malade ?

— C’est le décalage horaire, répliqua Chawkat Rauf, cela ira bientôt mieux.

Il plongea le nez dans son bol, s’attendant à chaque seconde à ce qu’on lui parle du caméscope. Il avait préparé une explication : son cousin le lui avait donné pour le faire réparer à Londres.

Il avait presque fini le bol de lait quand Sambal Chahan plongea la main dans la poche de son charouar et en sortit un objet qu’il posa devant lui.

— Un frère nous a apporté ceci ce matin, dit-il d’une voix égale. Il l’a trouvé de l’autre côté de la rue.

Chawkat Rauf demeura sans voix en reconnaissant son appel au secours enveloppant la pierre jetée par sa fenêtre. Il se sentit inondé de sueur en quelques secondes, incapable d’articuler un mot. Avec l’impression qu’une main invisible vissait ses pieds au sol. Il émit une sorte de croassement sans parvenir à articuler une réponse normale. Croisant le regard plein de haine de son vis-à-vis, le jeune Awaz, il parvint enfin à retrouver sa voix et demanda :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Regarde, mon frère…

Chawkat Rauf déplia la feuille de papier, le cerveau en compote. Les lignes écrites de sa main dansaient devant ses yeux. Il posa la feuille sur la table, gardant la pierre dans la main. En tournant la tête, il aperçut la porte ouverte, donnant sur la salle de prière qui elle-même donnait sur la rue. Entre la première porte et lui, il n’y avait que Sambal Chahan. Sans réfléchir, il lui jeta de toutes ses forces la pierre en plein visage. Le lourd projectile frappa le barbu sur la bouche, lui faisant éclater la lèvre supérieure, et rebondit à terre. Il porta les deux mains à sa bouche avec un cri de douleur.

Chawkat Rauf enjambait déjà son banc. Il frôla Sambal Chahan, s’engouffra dans la salle de prière encore vide et la traversa en courant. Ouvrant la porte donnant dans Green Street, il détala comme un lapin.

*

*   *

Jonathan Hood était en train de remonter sur sa mobylette quand il aperçut un homme surgir de la mosquée, juste en face de lui, de l’autre côté de la rue, et s’éloigner en courant en direction de la station de métro Upton Park. Avant même d’avoir comparé avec la photo, il sut que c’était son client.

Celui-ci s’éloignait, coudes au corps, comme s’il avait le diable à ses trousses ! Quelques secondes plus tard, trois barbus jaillirent à leur tour de la mosquée, par la même porte. Celui qui courait en tête brandissait un couteau de cuisine de trente centimètres, en vociférant des imprécations.

Le sang de l’agent du MI5 ne fit qu’un tour. Enfourchant sa mobylette, il se mit à remonter Green Street à la poursuite de son client, se faufilant entre les voitures. En même temps, il lança un appel pressant dans son micro :

— Code one, code one, Green Street, going south.

La voix du contrôleur, dans le sous-marin, répondit aussitôt :

— Code one. We proceed[23].

Code One signifiait qu’il allait y avoir une intervention physique dangereuse. Jonathan Hood ignorait où se trouvait le sous-marin et ne pouvait compter sur lui, dans un premier temps. Les trois barbus s’étaient rapprochés du fugitif, vociférant toujours. Hélas pour Jonathan Hood, c’était de l’urdu.

Soudain, deux passants qui arrivaient en sens inverse, alertés par les cris, barrèrent la route au fugitif.

Ce dernier se débattit, leur échappa et, voyant les barbus se rapprocher, s’engouffra dans une boutique de saris. Une minute plus tard, ses poursuivants y pénétraient. Jonathan Hood abandonna sa mobylette au bord du trottoir, dégaina son pistolet, le tenant bien à la verticale comme le règlement l’exigeait, et se précipita à son tour dans la boutique, lançant dans son micro :

— Dress shop, n° 67. Three armed men[24].

*

*   *

John Gilmore était en train de terminer son early morning tea lorsqu’un voyant clignota sur le téléphone le reliant au MI5. Il décrocha et une voix tendue annonça :

— Sir, nous avons un problème dans Green Street. Votre client s’est enfui de la mosquée, il est poursuivi par trois hommes, munis d’armes blanches.

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23

Code un, on arrive.

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24

Magasin de vêtements, n° 67. Trois hommes armés.