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— Sir, ce que j’ai vu sur cette cassette ressemble à ce que les Sud-Africains avaient bricolé, à partir du modèle de la toute première bombe atomique, celle d’Hiroshima. Celle-ci, surnommée par les Américains « Little Boy », était extrêmement simple : un cylindre d’uranium enrichi 235 s’emboîtait dans un second cylindre creux, également en uranium 235. Le poids total de ces deux cylindres doit dépasser de 20 % la masse critique, afin de déclencher une explosion nucléaire. Le rapprochement des deux parties de l’engin est provoqué par la déflagration d’un explosif classique assez puissant pour projeter la première partie à l’intérieur de la seconde. Sa course est arrêtée par une plaque d’acier où se trouvent incorporés quelques éléments de polonium 210 et de béryllium. Ceux-ci, sous le choc, dégagent des neutrons qui vont « amorcer » instantanément l’explosion nucléaire. Tout ce mécanisme a été abondamment décrit dans le Projet Manhattan et appartient au domaine public. Les Sud-Africains avaient miniaturisé l’ensemble afin de pouvoir le transporter sous un Mirage IV. Ce concept a été décrit depuis une quinzaine d’années dans des livres comme ceux de Hansen, puis repris par plusieurs sites Internet anglo-saxons. Les dimensionnements essentiels y sont fournis ainsi que de nombreux détails, mais seul un homme de l’art est susceptible de déceler certaines incohérences qui y figurent et de fournir les détails essentiels qui permettent d’aboutir à une explosion nucléaire. Sa présence dans ce projet criminel constitue le paradigme indispensable, car il est à même de fournir et de contrôler les éléments indispensables pour un fonctionnement correct.

— Donc, conclut Sir George Cornwell, abasourdi, ce film montre vraiment un engin nucléaire artisanal, à même de fonctionner ?

— Il faut que l’ensemble soit enfermé dans un container de métal pour comprimer pendant un temps très court l’explosion, mais ce n’est qu’une sorte de coque facilement assemblée, un berceau si vous voulez. Il m’a semblé reconnaître sur ce film les morceaux d’un tel assemblage.

— Et ces neutrons, ils se créent obligatoirement ?

— Bien sûr ! Même s’il n’y en a qu’un, cela suffit, car il se multiplie rapidement.

— Qu’appelez-vous « rapidement » ?

— Une microseconde environ, précisa Mark Lansdale. Nouveau silence. Le patron du MI6 n’arrivait pas à imaginer ce qu’on lui décrivait.

— Vous voulez dire, insista-t-il, qu’avec quelques kilos d’uranium 235, un peu d’explosif et une coque de métal, on peut fabriquer une bombe atomique qui marche ?

— À tous les coups, sir, confirma le spécialiste en nucléaire. Il s’agit d’une réaction automatique très simple.

Je dirai que l’ensemble pèse moins d’une tonne. Bien sûr, la puissance de cette bombe n’est pas colossale…

— C’est-à-dire ?

Mark Lansdale caressa sa barbe blonde.

— Disons que dans un rayon de deux cents mètres, tout est vaporisé par la chaleur. Dans un rayon de mille mètres, la chaleur est telle que les vêtements s’enflamment spontanément. Jusqu’à mille deux cents mètres, les victimes meurent des suites des radiations et tout est ravagé par le feu. Jusqu’à mille cinq cents mètres, la dose d’irradiation sera mortelle pour environ la moitié des gens exposés. Les particules retombent dans un rayon de trois mille mètres, mais cela dépend du vent.

Un silence de mort accueillit son exposé. Tous ceux qui se trouvaient là avaient, en principe, les nerfs solides. Mais, depuis la fin de la guerre froide, le péril nucléaire était passé au second plan des préoccupations. D’abord, il n’y avait plus d’affrontement entre les deux puissances nucléaires, ensuite, contrairement aux craintes, le pays qui possédait le plus de têtes nucléaires et de matériel fissile, la Russie, avait veillé dessus. Depuis 1990, il n’y avait jamais eu un seul cas de contrebande de matériel nucléaire militaire, sauf pour quelques grammes, généralement des quantités destinées à l’étalonnage des appareils. Certes, c’était dangereux pour ceux qui les approchaient, mais sans plus.

Vers 1995, on avait beaucoup parlé du « mercure rouge », une mystérieuse matière devant paraît-il permettre de fabriquer des armes nucléaires, qui n’était, en réalité, qu’une poudre inoffensive. Quelques escrocs avaient gagné beaucoup d’argent avec des politiciens arabes crédules, avant que la mèche soit éventée.

Depuis, les problèmes de prolifération restaient, certes, à l’ordre du jour, mais il s’agissait de pays comme la Libye, la Corée du Nord ou l’Iran, qui cherchaient à se doter de l’arme nucléaire. Comme, avant eux, avaient procédé la Chine, l’Inde et le Pakistan. Sans parler d’Israël, la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient, grâce à l’aide de l’Afrique du Sud et au soutien tacite des États-Unis. Cependant, une arme nucléaire, même aux mains d’un pays comme la Corée du Nord, ne faisait pas trop peur. À partir du moment où l’auteur éventuel d’un bombardement nucléaire était identifié, il pouvait être l’objet de représailles quasi instantanées. Ce qui décourageait évidemment les vocations…

À ce jour, le terrorisme nucléaire, en dépit des prévisions catastrophistes, n’avait jamais pris forme. Sauf une fois, lorsqu’un membre d’Al-Qaida avait réussi, à partir du Canada, à faire entrer aux États-Unis une mine nucléaire soviétique vendue à des Tchétchènes par un officier russe. Heureusement, l’engin avait pu être intercepté à temps[29]. Les pays qui possédaient cette arme d’abord voulaient la garder pour eux, ensuite savaient qu’on pourrait remonter aux coupables… Spontanément, les Américains et les Russes avaient démantelé des armes nucléaires miniaturisées – mines ou « valises » – pouvant tomber entre de mauvaises mains.

Certes, on savait qu’Al-Qaida avait les plus mauvaises intentions à l’égard de l’Occident, mais l’organisation n’avait pas les moyens d’assouvir sa haine. Ce film semblait prouver qu’Oussama Bin Laden avait enfin trouvé ce qu’il cherchait… Les membres du MI6 étaient assommés par ce qu’ils venaient de découvrir.

Comme un disque usé, Sir George Cornwell reprit :

— Mark, d’après vous, il s’agit bien d’un engin nucléaire en cours de montage ?

— Tout à fait, sir.

— Well, je comprends parfaitement le système. Mais comment ces gens ont-ils pu se procurer le combustible nucléaire indispensable à la fabrication de cette bombe ? Je suppose que cela ne s’achète pas dans une épicerie ?

Son trait d’humour tomba complètement à plat. Personne n’avait envie de rire. Mark Lansdale prit son ton professoral.

— Sir, avoua-t-il, je ne peux pas dire comment ils se le sont procuré. Par contre, nous savons que le Pakistan possède environ 2 600 kilos d’uranium 235 enrichi et qu’il continue à en fabriquer par le procédé de la centrifugation. C’est donc une source possible.

— Mais ce matériel doit être sévèrement gardé ? objecta le patron du MI6.

— Sûrement, reconnut le savant, sans se compromettre, mais je ne peux me prononcer sur ce point. Il faudrait s’adresser à des spécialistes militaires.

— Comment se présente cet uranium enrichi ?

— Généralement, il est conservé sous forme de lingots de quelques kilos.

— Ils sont radioactifs ?

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29

Voir SAS n° 139, Djihad.