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— Yes, sir, reconnut le colonel Hakim, plus mort que vif.

Le général Bhatti se pencha en avant.

— À votre avis, pourquoi cette femme a-t-elle été contactée par un agent de la CIA ?

— Pour la faire parler, avança le colonel Hakim.

Le général Bhatti frappa de nouveau le bureau du plat de la main, si fort que sa tasse de thé se renversa.

— Oui ! Pour la faire parler ! hurla-t-il. Il faut la faire revenir immédiatement ici. Qu’elle nous dise ce qu’elle sait. Envoyez un message à Londres tout de suite. Qu’elle saute dans le premier avion…

— Yes, général Sahib, promit le colonel Hakim en sortant de la pièce.

Resté seul, le général Bhatti alluma une cigarette. Il lui était indispensable de connaître l’implication pakistanaise dans cette histoire de fou. Sa carrière était en jeu.

*

*   *

Malko sonna à la porte du 45 Belgrave Mews North et le gigantesque chauffeur lui ouvrit, l’introduisant dans le salon. Il y fut rejoint quelques instants plus tard par Aisha Mokhtar. Elle avait échangé son tailleur noir contre une robe d’un rouge éclatant, très moulante, assortie de bas noirs, celle qu’elle portait lors de leur première rencontre. Mais son visage était blanc comme un linge.

— Chaudry, donne-moi un whisky, demanda-t-elle. Le chauffeur sortit une bouteille de Defender Very Classic Pale et en versa trois doigts dans un verre de cristal. Aisha Mokhtar en but une gorgée et se tourna vers Malko.

— Je viens de recevoir un coup de fil d’un fonctionnaire de l’ambassade. Le représentant de l’ISI. Il m’a appris que Sultan Hafiz Mahmood avait eu une attaque cérébrale et qu’il me réclamait d’urgence. Que je devais sauter dans le premier avion. Ce sont ses propres mots.

Les vrais problèmes commençaient.

— Je pense que si vous partez au Pakistan, rétorqua Malko, vous risquez vous aussi une attaque cérébrale. Ou un infarctus. Même si ce n’est pas vrai, le gouvernement pakistanais pense que vous en savez long sur cette affaire…

— Mais qu’est-ce que je vais faire ?

— Rappelez cet homme et dites-lui que Scotland Yard vous interdit de quitter le territoire britannique, à la demande des autorités américaines. Ce qui est d’ailleurs vrai. Je pense que c’est votre seule chance de rester en vie…

Aisha Mokhtar posa son verre, blême.

— Vous parlez sérieusement ?

— Tout à fait, assura Malko. Nous sommes dans une affaire où une vie humaine ne compte pas beaucoup…

CHAPITRE XIV

Le colonel Hussein Hakim raccrocha, un goût de cendre dans la bouche. Premier accroc aux contre-mesures réclamées par le général Bhatti : Aisha Mokhtar, maîtresse de longue date de Sultan Hafiz Mahmood, donc forcément au courant de ses activités, prétendait ne pas pouvoir quitter Londres. Retenue par Scotland Yard. Ce qui n’était pas totalement invraisemblable, mais pas forcément vrai… Elle pouvait aussi vouloir rester à l’écart d’une histoire qui risquait de connaître des développements ravageurs. Problème supplémentaire, il était impossible de vérifier auprès de Sultan Hafiz Mahmood ce qu’elle savait réellement.

Il n’y avait qu’une façon de fermer ce dossier : la liquidation physique d’Aisha Mokhtar. À Islamabad, cela n’aurait réclamé que quelques heures. À Londres, c’était un peu plus délicat, mais cela pouvait aussi être accompli. Il appuya sur l’interphone le reliant à sa secrétaire, et lança :

— Trouvez-moi « Cobra », d’urgence.

Ensuite, il se servit une tasse de thé et se mit à échafauder son plan. « Cobra » s’appelait en réalité Shapour Nawqui. C’était un Pachtoun de Peshawar qui avait rallié Al-Qaida, à la demande de l’ISI, dès 1998. Afin de surveiller les nouveaux amis du Pakistan. Infiltré dans les différents groupes inféodés à Bin Laden, il fournissait de précieuses informations, et, bien entendu, l’ISI le tenait par les couilles… En effet, si les gens d’Al-Qaida avaient connu ses liens avec l’ISI, ils l’auraient égorgé sur-le-champ.

Lorsqu’il avait fallu liquider la maîtresse de l’attaché de défense britannique, c’est à lui que l’ISI avait fait appel. Officiellement, on pouvait ainsi attribuer le meurtre à Al-Qaida. Pachtoun fruste, violent et peu éduqué, « Cobra » était le tueur idéal. Entre deux jobs, il gérait une boutique de tissus dans le marché de Sawan Road. En plus, il semblait particulièrement apte à éliminer Aisha Mokhtar : il utilisait très rarement des armes à feu, ce qui, pour Londres, était un avantage supplémentaire. Pas question d’en transporter une par avion, et dans la capitale britannique, il était extrêmement difficile de se procurer un pistolet.

Pour ce genre d’action, le colonel Hakim préférait rendre compte après. Il ne voulait pas d’interférence : la situation était assez complexe comme cela.

Trois tasses de thé plus tard, sa secrétaire lui apprit que « Cobra » venait d’arriver.

— Faites-le entrer, ordonna le colonel Hakim.

Dans ce bureau relativement modeste, la carrure de Shapour Nawqui impressionnait. C’était un colosse. Près de cent quatre-vingt-dix centimètres, des épaules de bûcheron, des mains d’étrangleur, un regard brûlant sous les énormes sourcils noirs, un nez important et l’inévitable moustache pachtoune, soigneusement taillée. Il fit le tour du bureau et vint baiser trois fois la main de l’officier de l’ISI. Chez les Pachtouns, on avait le sens de la hiérarchie.

Après avoir ôté son pacol afghan, vêtu d’un camiz-charouar marron et de sandales, il attendit, la tête baissée.

— As-tu déjà été à Londres, en Angleterre ? demanda le colonel Hakim.

Shapour Nawqui secoua la tête.

— Non, colonel Sahib.

— Tu vas y aller. Pour moi.

Le Pachtoun inclina la tête, obéissant, mais se permit de remarquer :

— Je n’ai pas de visa britannique, colonel Sahib.

— Tu disposeras d’un passeport britannique au nom d’un Pakistanais installé à Londres, précisa le colonel de l’ISI. Tu n’auras donc pas besoin de visa…

Le colonel de l’ISI avait dans son coffre une demi-douzaine de passeports authentiques appartenant à des Pakistanais naturalisés, qui venaient passer quelque temps dans leur pays. Liés à l’ISI pour d’obscures raisons, ils « prêtaient » leur passeport à l’agence de renseignements pour que celle-ci puisse infiltrer des agents sur le sol britannique. Il suffisait de changer la photo, ce que la division technique de l’ISI faisait parfaitement.

— Tu parles anglais ?

— Yes, colonel Sahib, mais pas très bien.

— Cela n’a pas d’importance.

Beaucoup de Pakistanais, fraîchement naturalisés, parlaient mal leur nouvelle langue. Le colonel Hakim précisa :

— Je vais m’occuper de ton billet d’avion et te préparer le dossier. Tu dois savoir qui tu es. Je te dirai également ce que tu dois faire à Londres. Et comment tu dois t’y prendre…

Le Pachtoun dodelina de la tête, pour acquiescer. Intimidé, il ne voulait pas poser trop de questions. Ses amis d’Al-Qaida lui fourniraient sûrement quelques indications sur l’Angleterre. Eux étaient bien implantés dans la capitale britannique, où il n’avait jamais mis les pieds. Mais Islamabad était une grande ville et il ne serait pas dépaysé.

— Je te convoquerai dans vingt-quatre heures, conclut le colonel Hakim. Qu’Allah veille sur toi…

Dès que le grand Pachtoun eut disparu, il se mit à préparer le côté technique de l’opération. « Cobra » apportait une sécurité supplémentaire : en cas de pépin, c’est Al-Qaida qui serait accusée, pas l’ISI. Il suffisait, pour verrouiller le tout, qu’une plainte pour vol soit déposée, antidatée, par le véritable propriétaire du passeport, pour dédouaner les autorités pakistanaises. Al-Qaida aussi utilisait des passeports maquillés. Moins bien que ceux de l’ISI, évidemment.