— Quelle est leur conclusion ? interrogea Malko.
— Toute cette histoire est un coup de bluff d’Al-Qaida pour embarrasser le Pakistan.
Un ange vola lourdement à travers la pièce, alourdi par ses bombes, et s’enfuit vers l’est. Sir George Cornwell enchaîna :
— Nos amis pakistanais mentionnent également leur production de plutonium, produite à l’usine de Kushab, qui n’est pas contrôlée par l’Agence de l’énergie atomique. Ce complexe, qui possède un réacteur de type NRX, est capable de produire environ dix kilos de plutonium militaire par an. Alors ? fit-il en se tournant vers Mark Lansdale, qu’en pensez-vous ?
Mark Lansdale ôta ses lunettes et effleura sa barbe de son geste fétiche.
— Tout cela me paraît cohérent avec ce que nous savons déjà. Je pense que les Pakistanais surveillent leurs stocks de très près et que la disparition de soixante kilos de combustible nucléaire ne passerait pas inaperçue, même si cela ne représente pas un gros volume. L’offre d’une vérification in situ prouve deux choses : ils sont très ennuyés et de bonne foi. Ils ne peuvent pas s’amuser à mentir sur un sujet aussi sensible.
— Donc, comme ils le concluent, souligna Malko, il n’y aurait pas d’engin nucléaire mais seulement un bluff de la part de Sultan Hafiz Mahmood. N’oubliez pas que sur cette vidéo, il n’y a pas de son… Peut-être Sultan Hafiz Mahmood expliquait-il à Bin Laden qu’il savait construire une bombe nucléaire et qu’il ne manquait plus que le combustible ? Peut-être s’était-il engagé à se le procurer et n’y est-il pas arrivé ? En tout cas, je pense que les autorités pakistanaises ne sont pas impliquées. Et les U-2 ? Qu’a donné l’exploration de la zone par les drones ?
— Elle continue, précisa Richard Spicer. Jusqu’ici sans résultat, mais nous ne savons même pas ce que nous cherchons ! Des locaux comme celui qui a été filmé, il y en a des centaines. Nous avons déjà procédé à des vérifications avec des hélicos, sans résultat. Si, nous avons déniché un laboratoire d’héroïne dont les propriétaires nous ont accueillis à la mitrailleuse lourde.
Mark Lansdale secoua la tête et dit d’une voix ferme :
— Nous avons étudié ce film avec soin. Je suis certain qu’il s’agit d’un véritable engin à rapprochement. Opérationnel. Pas d’une maquette. Tout concorde. Évidemment, j’ignore d’où vient le combustible.
Un lourd silence tomba sur le bureau. C’était l’impasse. Richard Spicer alluma une cigarette et conclut :
— Nous sommes au point mort ! Il n’y a aucune piste à suivre.
— Aucune, fit en écho Sir George Cornwell, à part cette Aisha Mokhtar que vous « traitez ».
— Les Pakistanais ont tenté de la faire revenir au Pakistan, observa Malko. Mais j’ignore si eux-mêmes sont au courant de ce qu’elle sait réellement. De toute façon, la question-clé est celle du combustible. Quelqu’un doit se rendre à Kahuta vérifier les dires pakistanais et tenter d’interroger Sultan Hafiz Mahmood.
— Pour ce dernier point, c’est déjà fait, répondit Richard Spicer ; le médecin de l’ambassade américaine d’Islamabad lui a rendu visite à l’hôpital où il est soigné. Il ne peut communiquer avec personne et le seul signe qu’il soit vivant est un léger tremblement de sa main gauche. Cela peut prendre des mois avant qu’il retrouve l’usage de la parole. Et on ignore de quoi il se souviendra… Nous ne pouvons rien faire de plus.
— Si Mark a raison, un engin nucléaire artisanal est en train d’être acheminé vers son objectif et nous n’avons aucun moyen de le localiser.
— Eh bien, il n’y a plus qu’à prier ! conclut Malko. Je vais continuer à tenter d’extraire d’Aisha Mokhtar ce qu’elle sait, mais c’est un très long shot…
*
* *
Shapour Nawqui n’avait pratiquement pas fermé l’œil durant le trajet Islamabad-Londres. C’était la première fois qu’il prenait l’avion et il n’aimait pas ça. Cela lui avait permis d’apprendre par cœur sa nouvelle identité, celle de son passeport d’emprunt. Théoriquement, il rentrait tout simplement chez lui, à Hounslow, dans la banlieue ouest de Londres, où vivait une importante communauté pakistanaise. En plus, il se sentait mal à l’aise dans son costume, ayant dû abandonner son camiz-charouar un peu trop voyant… Il fit la queue comme tout le monde à l’Immigration et tendit son passeport britannique. Le fonctionnaire le feuilleta rapidement, compara la photo à son visage et le lui rendit.
— Thank you, sir.
Un Pakistanais qui rentrait chez lui, cela n’était pas un événement. La plupart appartenaient à la seconde génération d’immigrés. Shapour Nawqui, avec sa petite valise, se dirigea vers la sortie et la station de métro de Heathrow.
Avant son départ d’Islamabad, deux agents de l’ISI l’avaient briefé longuement sur les us et coutumes londoniens. Entre les innombrables caméras et les bobbies à qui rien n’échappait, il fallait être vigilant.
Son billet avait un retour open, pour ne pas le stresser. Une opération comme la sienne pouvait prendre deux jours ou huit jours. Heureusement, il ne serait pas seul à Londres. Avant de quitter Islamabad, il s’était adressé à un vieil ami, membre d’une cellule d’Al-Qaida qui, lui, était allé fréquemment dans la capitale britannique. Ce dernier lui avait conseillé de prendre contact avec un frère très connu, en qui on pouvait avoir toute confiance, Abu Qutada. Depuis longtemps, les autorités britanniques le considéraient, avec raison, comme un des relais importants d’Al-Qaida à Londres.
Mieux, l’équipe d’Al-Qaida qui avait commis les attentats de Madrid avait eu de nombreux contacts avec Abu Qutada, pour une sorte de bénédiction. Jordanien de naissance, il disposait d’un passeport émirati, entièrement fabriqué, qui lui avait servi à entrer en Grande-Bretagne des années plus tôt.
Après plusieurs mois de prison, Abu Qutada avait été placé en résidence surveillée dans l’ouest de Londres, après avoir vécu dans un appartement non loin de Scotland Yard. Shapour Nawqui grillait de connaître ce saint homme et d’obtenir sa bénédiction pour sa mission à Londres… Son ami d’Al-Qaida lui avait transmis, sous le sceau du secret, une méthode sûre pour l’approcher, en déjouant la surveillance des Britanniques. Tous les jours, Abu Qutada allait faire quelques courses dans un supermarché de son quartier. Il n’était pas suivi, portant un bracelet électronique relié à un système GPS qui enregistrait tous ses déplacements. Shapour Nawqui se dit que ce serait une bonne occasion d’acheter une hache. Il aurait aimé emporter celle dont il se servait habituellement pour ses meurtres commandités, affûtée comme un rasoir, avec un manche qu’il avait bien en mains, mais il aurait risqué d’attirer l’attention durant le voyage…
CHAPITRE XV
Abu Qutada sortit de son petit cottage de Forty Lane, dans le quartier de Wembley, et fit le tour de sa voiture, une Toyota Yaris offerte par ses militants. Il vivait là depuis deux ans, avec sa femme et ses quatre enfants, grâce à la Cour européenne de justice qui avait exigé du gouvernement britannique qu’il cesse de le maintenir en détention, sans jugement. Le quartier était très musulman, mais avec de nombreuses nationalités : des Algériens, des Saoudiens, des Marocains et des Jordaniens et, bien sûr, des Pakistanais. Les rues étaient propres, les cottages coquets, bien entretenus, et souvent leurs propriétaires roulaient dans de luxueux 4 × 4.