— Au sujet d’Aisha Mokhtar ?
— Non. Simplement des nouvelles de gens qu’il connaît, comme l’ancien chef des services de renseignements des talibans qu’on croyait mort. Seulement, ce que cet homme ignorait, c’est que le « 6 » a retourné Abu Qutada. Ce dernier informe désormais les services britanniques, tout en conservant une auréole de martyr. Ce qui a déjà contribué à de multiples arrestations. Il est insoupçonnable, en raison de son passé.
— Pourquoi trahit-il ?
— Bonne question : les Brits lui assurent une vie agréable, certes un peu contrôlée, mais ses enfants peuvent faire de bonnes études. Tous ses contacts sont surveillés et ceux qui échappent à cette surveillance, il les balance au « 6 ».
— Que s’est-il passé exactement ? demanda Malko, intrigué par cette histoire tordue.
Finalement, les organisations politiques nourrissent toujours des traîtres dans leur sein.
— Ce Pakistanais l’a abordé en donnant son nom. Or, Abu Qutada le connaît de réputation. C’est un tueur surnommé « Cobra », pour la rapidité avec laquelle il liquide ses victimes. Un certain Shapour Nawqui.
— Un membre d’Al-Qaida ? demanda Malko.
— Un sympathisant, mais il est lié aussi à l’ISI. On le soupçonne d’avoir commis plusieurs meurtres pour leur compte.
— Puisqu’il a donné son nom et qu’on sait qu’il vient d’arriver, cela doit être relativement facile de le retrouver.
Richard Spicer secoua la tête.
— Évidemment, Scotland Yard et le « 5 » ont peigné tous les vols en provenance d’Islamabad, les hôtels, les quartiers pakistanais, mais sans résultat jusqu’ici. Les recherches continuent, mais les Brits pensent qu’il a utilisé un passeport à un nom différent. Il n’y avait personne à son nom sur aucun vol en provenance du Pakistan.
— Abu Qutada n’a pas pu obtenir d’information ?
— Non, l’autre est resté très vague. Seulement, Abu Qutada a remarqué qu’il se promenait avec une hache, qu’il venait d’acheter dans ce supermarché.
— Une hache ?
— Oui. Il n’utilise jamais d’arme à feu. Doté d’une force prodigieuse, il tue ses victimes à coups de hache… Or, d’après ce qu’a compris Abu Qutada, il est venu à Londres pour commettre un meurtre.
— Pourquoi Aisha Mokhtar ?
— Parce que les dates correspondent, répliqua le chef de station de la CIA. Les services pakistanais lui ont demandé de revenir là-bas. Elle a répliqué que cela lui était impossible. Donc, ils ont pris des mesures. D’ailleurs, on va savoir très vite s’il s’agit bien de votre « protégée »… Ce tueur ne va pas s’éterniser.
— Donc, vous voulez la mettre à l’abri. Richard Spicer eut un sourire rusé.
— Non. Nous allons prendre un risque calculé. La seule chance de faire parler Aisha Mokhtar, si elle a quelque chose à dire, c’est qu’elle ait très peur. Nous pouvons la protéger, mais elle aura quand même le temps de voir son probable assassin.
Le risque calculé était pour la Pakistanaise… Malko n’approuvait pas trop, mais ce n’était pas lui qui décidait.
— Avez-vous une photo de ce « Cobra » ? demanda-t-il.
— Non. Juste une description : un mètre quatre-vingt-dix, barbu, style bûcheron. Il était vêtu à l’européenne.
— Bien, quel est le Kriegspiel ?
— Scotland Yard a mis en place une souricière à l’entrée de Belgrave Mews North. Un « sous-marin » avec plusieurs agents du S.O. 19[44] armés de MP 5 qui pourront réagir très vite. Le tueur doit se déplacer à pied… Je voulais vous avertir.
Malko eut un sourire ironique.
— M’avertir, c’est bien, mais je préférerais quelque chose de plus concret.
— Quoi ?
— Une arme. Je n’ai pas envie de servir de pigeon d’argile. Vos agents de Scotland Yard vont d’abord protéger la « cible ». Or, je n’ai pas envie de prendre un coup de hache…
Richard Spicer faisait grise mine.
— Il faut que je demande aux Brits, avança-t-il. Nous sommes chez eux, à Londres.
— Vous ne demandez rien du tout, trancha brutalement Malko. Je connais les Britanniques. Ils ont horreur des armes à feu. Ils vont mettre huit jours à se décider. Moi, je veux quelque chose tout de suite.
Le silence qui suivit fut tendu. Enfin, avec un soupir, Richard Spicer se leva et dit :
— Je vais voir ce que je peux trouver.
Il sortit de la pièce et revint quelques instants plus tard avec une boîte qu’il tendit à Malko.
— Voilà. Cela fait partie des armes de secours des Marines de garde à l’ambassade. De grâce, ne faites pas d’imprudence.
— Je suppose que je ne dis pas un mot à Aisha Mokhtar.
— Bien sûr.
Ils se quittèrent sur une poignée de main presque froide. Les fonctionnaires ne possédaient pas le même logiciel que les hommes de terrain. Malko, qui avait prévu de dîner avec une jeune Britannique extrêmement séduisante, rencontrée jadis au Népal, décida de changer ses plans. À peine sorti de l’ambassade, il appela Aisha Mokhtar, qui avait décidé de dîner chez elle.
— Mon dîner s’est décommandé, annonça Malko. Je vous emmène Chez Momo.
— Chez Momo ! Superbe !
C’était un restaurant marocain en vogue depuis plusieurs années, situé dans une impasse donnant dans Regent Street. On y mangeait une cuisine vaguement marocaine, les bons soirs on dansait sur les tables et les Londoniens raffolaient de cet endroit exotique.
— Je viens vous prendre dans une heure, promit Malko.
*
* *
Le Salinthip Naree filait toujours ses douze nœuds dans une mer agitée, selon le même cap qui lui faisait traverser l’océan Indien avec un cap nord – nord-ouest de 325°. La plus grande partie de l’équipage dormait ou se reposait.
Dans sa cabine, le capitaine Lankavi, penché sur une carte, vérifiait ses calculs de trajectoire. De tout l’équipage, il était le seul à savoir ce qui allait se passer. Grâce à son GPS, il contrôlait sa course au mètre près, afin de se préparer au seul moment vraiment dangereux de son équipée : la rencontre avec le vraquier parti de Mogadiscio, son sistership sorti du même chantier japonais en 1982 et revendu deux ans plus tôt par Precious Shipping Ltd à un armateur maltais, et qui portait le nom d’Anodad Naree.
Leurs routes devaient se croiser quelque part au milieu de l’océan Indien, à environ 800 milles au sud-est de la Somalie. Afin d’éviter tout risque d’interception radio, les deux cargos ne communiqueraient pas. Leurs navigations respectives avaient été établies au début de l’opération, compte tenu de leur vitesse, des courants et du vent. Le seul paramètre imprévisible était le temps, mais en cette saison il était relativement stable.
L’Anodad Naree avait été repeint à Mogadiscio et s’appelait désormais Salinthip Naree. Les deux sisterships étant strictement identiques, l’opération ne posait aucun problème. En ce moment, deux navires portant le même nom naviguaient donc dans l’océan Indien : le Salinthip Naree, parti de Bangkok, et L’Anodad Naree, parti de Somalie, repeint aux couleurs du Salinthip Naree.