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— Qu’est-ce que vous avez ? demanda Aisha Mokhtar qui n’avait rien vu.

Malko n’eut pas le temps de répondre. La silhouette avait accéléré. Un homme de grande taille, qui avait quelque chose à la main… Chaudry venait juste d’ouvrir la porte de l’hôtel particulier et de s’effacer pour laisser entrer le couple. Malko, sentant le danger, expédia violemment Aisha à l’intérieur, d’une poussée dans le dos. Elle trébucha avec un cri de surprise et s’étala dans son entrée.

Il s’était déjà retourné. À la lueur du réverbère, il distingua un colosse barbu qui fonçait dans leur direction, brandissant une hache. Malko leva son arme, le bras tendu, et cria :

— Stop !

Chaudry, courageusement, voulut s’interposer, barrant la route à l’assaillant. Celui-ci ne dévia pas sa course, balayant simplement l’air de sa hache, avec un grognement sauvage. Il y eut un bruit mou, affreux, et, horrifié, Malko vit distinctement la tête de Chaudry se détacher presque entièrement de son torse, dans un jaillissement de sang. L’homme à la hache fonçait toujours, vers la porte ouverte. Aisha Mokhtar se releva, furieuse, et surgit en glapissant :

— Vous êtes fou !

Elle n’eut pas le temps de mettre le nez dehors. Malko venait d’ouvrir le feu : l’heure n’était plus aux sommations… Le Beretta 92 claqua quatre fois. À cette distance, il ne risquait pas de rater sa cible. Les quatre projectiles s’enfoncèrent dans la poitrine de l’homme à la hache.

Celui-ci eut encore assez de force pour frapper de toutes ses forces, ratant Malko mais brisant une vitre de la porte d’entrée. La hache fit jaillir d’énormes éclats de bois, mais ne lui échappa pas. Malko pensa à ces buffles qui, le cœur éclaté par une balle, continuent à charger… Le barbu à la hache, avec quatre projectiles dans le corps, pivota et aperçut Aisha Mokhtar. Il avança encore dans sa direction.

À l’entrée de l’impasse, des portières claquaient et plusieurs silhouettes couraient vers la Bentley. Trop tard pour intervenir. Malko se retrouva derrière le barbu, qui lui était face à Aisha Mokhtar et esquissait le geste de frapper de nouveau, la hache tenue à deux mains.

— Aisha, reculez ! hurla-t-il.

Presque à bout touchant, il visa la nuque du colosse et appuya deux fois sur la détente du Beretta.

L’impact des projectiles projeta le barbu en avant. Il s’effondra enfin, lâchant sa hache, entraînant dans sa chute la Pakistanaise qui hurlait. Le pouls à 200, Malko vit arriver les policiers armés de pistolets-mitrailleurs. Aisha Mokhtar hurlait de plus belle, le barbu enfin foudroyé effondré en partie sur elle, sa tête pratiquement entre ses cuisses, dans une mare de sang. Malko contourna les deux corps et prit Aisha sous les aisselles, la tirant en arrière.

— Vous n’avez rien ? demanda-t-il.

Incapable de répondre, elle tremblait comme une feuille, en proie à une véritable crise d’hystérie. Le sang maculait ses vêtements, avait même éclaboussé son visage.

Le barbu, lui, ne bougeait plus, extrêmement mort.

Les policiers de Scotland Yard appelaient des renforts et fouillaient l’impasse à la recherche de complices. L’un d’eux s’accroupit près de ce qui restait du chauffeur, mort depuis longtemps. Un carnage. Malko réussit à mettre debout Aisha Mokhtar, mais elle se débattit en hurlant.

— Je suis blessée, je vais mourir !

Elle prenait le sang du barbu pour le sien. Malko décida de recourir aux grands moyens. La prenant dans ses bras, il la porta dans la salle de bains du rez-de-chaussée et la déposa dans la baignoire, puis il ouvrit la douche à fond… Les cris cessèrent rapidement et la jeune femme se mit à souffler comme un phoque. Du sang coulait partout dans la baignoire, c’était très spectaculaire. Un des policiers l’appela et annonça :

— Nous n’avons trouvé personne. Des renforts arrivent. Nous sécurisons le périmètre.

Mieux vaut tard que jamais. Sans Malko, Aisha Mokhtar aurait subi le même sort que son chauffeur… Il retourna dans la salle de bains. La crise de nerfs terminée, la jeune femme tremblait, le regard vide. Elle s’était déshabillée et enroulée dans une serviette. S’accrochant à Malko, elle balbutia :

— Ils vont revenir, ils vont revenir…

— Non. Dans cinq minutes, il y aura ici la moitié de la police britannique, jura Malko.

Brusquement, elle vomit, cassée en deux. Son maquillage avait coulé, elle avait piteuse allure…

— Vous êtes sauvée, assura Malko. Pour le moment.

*

*   *

Richard Spicer, Sir George Cornwell et le chef de la section antiterroriste de Scotland Yard étaient accourus à Belgrave Mews North et s’étaient installés dans le petit salon du rez-de-chaussée. La police avait fouillé toutes les maisons de l’impasse, déclenchant l’incrédulité de leurs paisibles occupants qui n’avaient jamais vu une histoire pareille…

Un des hommes de Scotland Yard apparut, un passeport à la main. Celui trouvé sur le barbu.

— Nous venons de vérifier, annonça-t-il. Il s’agit d’un document appartenant à un citoyen britannique d’origine pakistanaise, qui se trouve en ce moment au Pakistan… On le lui a volé ou il l’a prêté. Seule la photo a été changée.

— On va savoir où habitait cet homme à Londres, dit Malko. Vous n’avez rien trouvé d’autre ?

— Un billet d’avion avec un retour open pour Islamabad.

— Allons voir Aisha Mokhtar, dit Malko.

La jeune femme avait regagné sa chambre, au premier étage. Très pâle, dans une chemise de nuit en satin et dentelles noires, démaquillée, elle ressemblait à une jeune fille. Dès que Malko s’approcha d’elle, elle lui prit la main et la serra de toutes ses forces.

— Vous m’avez sauvé la vie ! murmura-t-elle. C’est horrible, je reverrai cet homme toute ma vie. Il avait des yeux de fou. J’ai cru qu’il allait me tuer. Il a essayé de me mordre le ventre.

Ça, c’était de la conscience professionnelle…

Le Superintendant de Scotland Yard affirma que désormais des policiers armés veilleraient en permanence devant l’hôtel particulier et accompagneraient Aisha Mokhtar dans tous ses déplacements. Visiblement ailleurs, elle remercia d’un sourire et ferma les yeux, murmurant à Malko :

— Restez là.

Il redescendit pour raccompagner les trois hommes. Des policiers avaient pris position devant la maison.

— Sans le tuyau d’Abu Qutada, soupira Richard Spicer, vous y passiez tous les deux. Décidément, les gens du « 6 » sont des bons.

*

*   *

Le colonel Hussein Hakim, à peine arrivé à son bureau, regarda rapidement les papiers déposés par sa secrétaire. Sur le dessus de la pile, elle avait placé un message tamponné « Flash-Urgent-Secret », en provenance de Scotland Yard. Le colonel de l’ISI le parcourut, le cœur serré.

C’était le compte rendu succinct d’une tentative de meurtre commise par un certain Shapour Nawqui, utilisant le passeport n°45412878 d’un certain Ahmed Nursus Shaban se trouvant actuellement au Pakistan. Scotland Yard demandait un complément d’information. Le colonel Hakim appela sa secrétaire et lui tendit le message.

— Répondez et joignez à la réponse le récépissé de déclaration de perte du passeport.

Resté seul, il se servit un thé. Dans une autre pile de papiers, il avait trouvé le récit de l’attaque sauvage de Belgrave Mews North, qui s’étalait à la une de tous les quotidiens britanniques, avec une photo prise dans une manifestation officielle d’Aisha Mokhtar. Celle-ci avait échappé de la tentative de meurtre, elle était indemne. En gros plan, la hache de « Cobra » était impressionnante. Le colonel but une gorgée de thé. Impossible de recommencer : les Britanniques étaient désormais sur leurs gardes. Comment avaient-ils pu empêcher cette opération ? Il ne le saurait peut-être jamais. Il n’avait plus qu’à prier très fort pour qu’Aisha Mokhtar ne soit en possession d’aucun secret. Parce que maintenant, elle n’hésiterait plus à parler. La journée allait être encore dure.