Malko avait dormi tout habillé à côté d’Aisha Mokhtar. Celle-ci ne s’était pas encore réveillée et il en avait profité pour prendre une douche. Elle ouvrit les yeux quand il sortit de la salle de bains, le regard voilé de sommeil et encore affolé.
— Je n’oublierai jamais ! murmura-t-elle. Qui a envoyé cet homme pour me tuer ?
— Ceux qui veulent que vous ne puissiez pas parler, dit Malko. L’ISI ou les gens d’Al-Qaida. Heureusement, nous avions pris nos précautions.
— Et Chaudry ?
— Il est mort. Le barbu l’a pratiquement décapité…
— Pauvre homme ! soupira-t-elle, il était tellement dévoué… Je me sens fatiguée. Et j’ai peur.
— Ici, vous ne craignez rien, affirma Malko.
— Mais il faudra bien que je sorte… je ne peux pas vivre en prison…
— Certes, reconnut Malko, mais on ne peut protéger personne à 100 %. Même Ronald Reagan, président des États-Unis, l’homme le mieux gardé du monde, a été victime d’un attentat.
— Voulez-vous me faire du thé ? demanda Aisha. Je n’ai pas la force de bouger.
Lorsqu’il revint avec un plateau, la jeune femme fumait une cigarette, le regard dans le vague. Elle but quelques gorgées de thé et fixa Malko.
— Si je vous apprenais quelque chose de très important, cela m’aiderait ?
Le pouls de Malko grimpa. Il allait peut-être toucher le jackpot. Il dit d’une voix égale :
— J’ai toujours pensé que vous connaissiez certains des secrets de cette affaire. Sultan Hafiz Mahmood était fou amoureux de vous, il a dû vous dire ce qu’il préparait.
— Il ne m’a pas dit grand-chose, corrigea Aisha Mokhtar. Il était très discret sur ce projet, mais je savais qu’il voulait donner à Bin Laden de quoi fabriquer une bombe atomique.
— Et cela ne vous semblait pas horriblement dangereux ? objecta Malko.
Elle eut un sourire embarrassé.
— À vrai dire, je pensais qu’il n’y arriverait pas, que c’était très difficile de fabriquer une bombe atomique dans les montagnes du Baloutchistan. Par moments, Sultan est un rêveur, un utopiste… bien qu’il soit ingénieur nucléaire. La seule chose qu’il m’a confiée un jour et dont il était très fier, c’est d’avoir réussi à soustraire de l’uranium enrichi aux stocks stratégiques du Pakistan, sans que personne ne s’en aperçoive.
Malko avait l’impression de ramener un très gros marlin au bout d’une ligne très mince qui pouvait casser à tout moment. Il réussit à demander d’une voix calme :
— Et comment s’y est-il pris ?
— Il a remplacé des lingots d’uranium enrichi par des lingots d’uranium naturel qui ont le même poids spécifique, la même apparence, mais qu’il est très facile de se procurer pour un prix très bas. Il m’avait parlé de 40 dollars l’once soit environ 1 300 dollars le kilo…
Soixante kilos à 1 300 dollars, cela faisait 78 000 dollars. Pas très cher pour l’apocalypse. Malko ne tenait plus en place. Ainsi, les Pakistanais étaient de bonne foi ! Pour eux, leurs stocks étaient intacts. Il faudrait examiner les lingots d’uranium enrichi un par un pour trouver ceux qui avaient été substitués. L’idée était géniale. Un homme comme Sultan Hafiz Mahmood devait avoir accès aux réserves d’uranium 235 stockées à Kahuta. Comme ce métal très lourd tenait peu de volume, la substitution était facile. Il pouvait arriver avec un lingot d’uranium naturel et repartir avec un de 235…
Malko se pencha sur Aisha et l’embrassa légèrement sur les lèvres.
— Vous venez de rendre un grand service à votre pays, dit-il. Et de diminuer sérieusement les risques sur votre vie.
*
* *
— Les Pakistanais sont déchaînés ! annonça Sir George Cornwell. Ils ont arrêté des dizaines de personnes travaillant à Kahuta et recherchent tous les complices éventuels de Sultan Hafiz Mahmood. Le président Musharraf en personne a appelé George Bush et notre Premier ministre, promettant de coopérer pleinement. Ils ont déjà retrouvé un des lingots d’uranium naturel substitué aux autres…
Malko, Richard Spicer et le directeur du MI6 déjeunaient dans la salle à manger du Service, jouxtant le bureau de Sir George Cornwell, au dernier étage de l’immeuble futuriste, avec une vue magnifique sur la Tamise. Vingt-quatre heures s’étaient écoulées depuis la révélation d’Aisha Mokhtar et les communications entre Londres et Islamabad avaient été particulièrement intenses. La première réaction des Pakistanais avait été l’incrédulité. Mais ils avaient procédé à des vérifications d’urgence et, désormais conscients de la gravité de la situation, ils se démenaient comme des fous…
— C’est très bien ! reconnut Malko. Nous savons désormais qu’il existe bien un engin nucléaire entre les mains d’un groupe terroriste, que le gouvernement pakistanais n’y est pour rien, mais où cela mène-t-il ? Je pense que cette bombe a quitté le Pakistan depuis belle lurette… En route pour où ?
— Nous mettons en place l’alerte rouge aux États-Unis, dit Richard Spicer, mais cela n’aura qu’un effet limité. Cette bombe voyage par bateau ou par la route. Nous ne pouvons pas fouiller tous les bateaux ni tous les camions du monde. En plus, d’après les spécialistes, elle ne dégage aucune radioactivité. Vous pouvez coller un compteur Geiger dessus, il ne frémira même pas…
— J’ai parlé tout à l’heure au général Ahmed Bhatti, le patron de l’ISI, annonça Sir George Cornwell. Il m’a dit qu’ils épluchaient la vie de Sultan Hafiz Mahmood et qu’ils espéraient trouver quelque chose rapidement. Une piste qui nous permette de retrouver la trace de cet engin.
— Notre Ve Flotte de l’océan Indien est en état d’alerte, renchérit le chef de station de la CIA. Nous allons arraisonner tous les navires suspects. Mais, hélas, cette bombe n’est pas très volumineuse… On ne peut pas vider les soutes de tous les navires.
Cela ressemblait à une victoire à la Pyrrhus.
Aisha Mokhtar avait repris figure humaine. Malko l’avait emmenée déjeuner au Dorchester, son restaurant favori. Cette fois, même la salle à manger grouillait de policiers. La Pakistanaise avait aussi repris goût au Taittinger, ce qui était plutôt bon signe.
— Votre information s’est révélée exacte, annonça Malko. On a retrouvé les lingots d’uranium naturel et on sait qu’il manque bien soixante kilos de « combustible ». Assez, d’après les spécialistes, pour confectionner une bombe de 10 kilotonnes.
— C’est beaucoup ? demanda Aisha.
— Assez pour tuer quelques dizaines de milliers de personnes, précisa sombrement Malko. Et, pour l’instant, nous ignorons où cette bombe se trouve. Vous n’avez aucune idée de la destination ?
— Aucune. Sultan ne m’en a jamais parlé. J’espère que ce n’est pas Londres, ajouta-t-elle avec un rire nerveux…
Elle se pencha sur la table et dit soudain, sur le ton de la confidence :
— J’ai envie de faire l’amour avec vous comme la première fois. J’ai cru, hier soir, que je n’aurais plus jamais envie d’un homme. Je sens encore le poids de la tête de cet horrible barbu entre mes cuisses. Si nous prenions une chambre ici ?