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— Il faut absolument identifier le navire sur lequel se trouve désormais cet engin nucléaire, conclut Malko. Étant donné le timing, il y a une chance pour qu’il soit encore en mer.

— Pour cela, approuva Richard Spicer, il n’y a que deux moyens : ou retrouver le capitaine du boutre qui a livré l’engin, ou aller à Mogadiscio. Les Pakistanais recherchent ce boutre, mais il se promène entre l’Iran, Oman et le golfe Persique. Nous ne pouvons même pas les aider, car il n’a ni nom ni immatriculation. Même s’il est basé à Gwadar, il peut ne pas y revenir pendant plusieurs mois. Ou alors, il faut aller là-bas, conclut timidement l’Américain.

Malko lui expédia un sourire ironique.

— Vous aurez sûrement beaucoup de volontaires… À Mogadiscio, il n’y a pas d’ambassade américaine, donc pas de protection diplomatique, et les Américains ne sont pas vraiment bien vus…

— Je ne parlais pas d’un Américain, remarqua le chef de station, le regard fuyant.

Malko fit semblant de ne pas avoir entendu et se leva.

— Merci de m’avoir tenu au courant. Pour l’instant, je pense qu’il n’y a plus grand-chose à faire à Londres. Tant que nous ne saurons pas se trouve cet engin nucléaire, nous parlons pour ne rien dire.

— Et Aisha Mokhtar ? Elle a peut-être des informations supplémentaires.

— Cela m’étonnerait, dit Malko. Elle a dit tout ce qu’elle savait et ne se trouvait pas au Pakistan lorsque le boutre a quitté Gwadar. Mais je vais quand même lui demander.

Vingt minutes plus tard, il débarquait à Belgrave Mews North, transformé en camp retranché. C’est tout juste si on le laissa entrer au 45. Aisha Mokhtar était toujours pâle, mais son regard avait repris un peu de vie.

— Il y a du nouveau ? demanda-t-elle.

— Oui, fit Malko. La bombe a été expédiée à Mogadiscio.

— Ainsi, c’était vrai, Sultan ne bluffait pas ?

— Non, répliqua Malko. Il y a désormais un engin nucléaire en circulation, en route pour son objectif, dont nous ignorons tout. Essayez de vous rappeler. Sultan Hafiz Mahmood n’a jamais mentionné un objectif en particulier ? Un moyen de transport, un nom ?

Aisha Mokhtar secoua la tête.

— Non. Nous n’avons eu qu’une seule véritable conversation à ce sujet. Il avait bu beaucoup de whisky et était incroyablement fier d’avoir réussi à soustraire de l’uranium enrichi sans qu’on puisse s’en rendre compte. Mon Dieu, qu’est-ce que nous allons faire ?

— Prier ! dit Malko.

*

*   *

Le Salinthip Naree, devenu Anodad Naree, filait à onze nœuds plein est, en direction de la côte pakistanaise. À cause de la mousson d’été, la mer était assez houleuse pour le forcer à réduire sa vitesse. De son ancienne identité, il ne restait rien. En six jours, les embruns avaient vieilli la peinture des nouvelles inscriptions et, avec le livre de bord de son sistership, l’Anodad Naree, il pouvait faire face à n’importe quelle inspection en mer.

Les panneaux de cale étaient ouverts et, jour et nuit, les palans remontaient les sacs de riz pour vider la cale de ses 18 000 tonnes. Par palettes de deux cents sacs, le riz était remonté et jeté aussitôt à la mer. L’opération était aux trois quarts terminée. L’équipage, habitué à obéir, n’avait posé aucune question. Le capitaine Lankavi avait dit que le riz était avarié et que le navire retournait au Pakistan pour être désarmé. Comme il leur avait promis une prime substantielle pour ce déchargement impromptu en pleine mer, personne n’avait protesté. D’ailleurs, c’étaient de pauvres diables, hébétés de fatigue et totalement indifférents au monde extérieur… Le cargo ne se trouvait plus qu’à 800 milles des côtes du Baloutchistan. Encore deux jours et la cale serait vide, ce qui était plus normal pour un navire partant à la casse. Il avait été construit en 1982, ce qui rendait sa démolition parfaitement plausible. Les cours de l’acier avaient monté à cause de la demande chinoise et les armateurs préféraient acheter des bateaux neufs. En plus, son livre de bord montrait qu’il avait beaucoup bourlingué depuis son rachat par l’armateur maltais à la Precious Shipping Ltd.

Le capitaine Lankavi monta sur le pont pour surveiller la fin du déchargement. Les cinq Arabes embarqués en pleine mer étaient étalés dans différents coins du pont, malades pour la plupart. Heureusement, l’équipage n’y avait vu que du feu. Leurs Kalachnikov étaient planquées dans une des cales… Le capitaine Lankavi, installé dans la dunette, prit ses jumelles et son pouls s’accéléra. La silhouette d’un navire venait d’apparaître à l’horizon, à une vingtaine de milles nautiques.

Il semblait venir dans leur direction.

Le capitaine n’avait pas rabaissé ses jumelles que le radio surgit et annonça :

— Captain, j’ai sur le canal 16 un destroyer américain, le USS Galveston, appartenant à la Ve Flotte.

— Passez-le-moi ici, dit aussitôt le capitaine Lankavi. Il décrocha le récepteur de la radio VHF et s’annonça.

Aussitôt, une voix américaine lui demanda de changer de fréquence pour ne pas encombrer le canal 16 et commença son interrogatoire.

— D’où venez-vous ?

— Massaoua, en Érythrée.

L’Anodad Naree avait effectivement fait escale à Massaoua, avant El-Ma’an.

— Où allez-vous ?

— À Gaddani, Baloutchistan, pour y être démantelé.

— Vous avez une cargaison ?

— Non. Il nous reste quelques tonnes de riz, avarié.

— Bien. Restez à l’écoute.

Il y eut quelques minutes de silence, puis l’officier du quart du Galveston revint en ligne et annonça :

— Veuillez stopper vos machines. Nous allons vous inspecter.

— Roger, nous stoppons les machines, répondit le capitaine Lankavi.

Dès qu’il eut coupé la communication, il descendit sur le pont ordonner au quartier-maître chargé du déchargement des sacs de riz d’interrompre son travail et de refermer les panneaux de cale. Celle-ci était déjà aux trois quarts vide.

Ensuite, il alla prévenir les Arabes installés sur le pont pour leur dire de retourner à l’intérieur du navire. Heureusement, les inspections s’intéressaient rarement à la composition de l’équipage.

Remonté sur la dunette, il reprit ses jumelles et regarda le destroyer américain qui se rapprochait. Son livre de bord – celui de l’Anodad Naree – était parfaitement en règle. Seule l’escale de Mogadiscio n’était pas mentionnée… Paisible en apparence, mais priant Allah, il regarda le destroyer de la Ve Flotte US se rapprocher, puis stopper à un mille devant son étrave, se plaçant lentement dans le lit du vent. Dans ses jumelles, il distingua nettement la grosse chaloupe mise à l’eau par l’arrière, sur laquelle embarquaient des Marines en tenue de combat. De toute façon, les armes du destroyer étaient braquées sur l’Anodad Naree…

*

*   *

— Aisha Mokhtar ne sait rien de plus, annonça Malko, de nouveau en tête à tête avec le chef de station de la CIA. Et vous, avez-vous du nouveau ? Les Pakistanais ont-ils retrouvé le capitaine de ce boutre ?

— Non, fit sombrement Richard Spicer. Et du côté de Djibouti, ce n’est pas mieux : nos drones n’ont rien vu. Sinon qu’aucun gros navire n’est mouillé en face de la plage d’El-Ma’an, juste des boutres locaux dont aucun ne peut aller bien loin.

— Donc, il y a de très grandes chances pour que l’engin nucléaire ait déjà été exfiltré, déduisit Malko. Ce n’est pas une bonne nouvelle. Vous devriez, au moins, monter une opération coup de poing avec des Marines de la Ve Flotte pour tenter d’obtenir des informations sur place.