D’autres combattants se trouvaient à l’extérieur de la madrasa et trois autres cercles concentriques de guetteurs prolongeaient l’ensemble du dispositif. Les chevaux et les mulets chargés de l’équipement se trouvaient dans un bâtiment couvert, un peu plus loin.
Oussama Bin Laden rayonnait. Après des semaines d’anxiété, il avait enfin reçu le message qu’il attendait, grâce à un courrier sûr qui avait parcouru une centaine de kilomètres à cheval pour le lui remettre en mains propres.
Un message qui lui apprenait que l’opération « Aurore Noire » était entrée dans sa phase terminale, après avoir surmonté tous les obstacles d’une opération complexe et quasi impossible à mener à bien…
Désormais, c’était une question de jours et Oussama Bin Laden, qui avait toujours suivi les choses de très près, voulait visualiser le résultat de ce qui allait faire paraître le 11 septembre 2001 comme une répétition maladroite.
— Explique-moi, demanda-t-il d’un air gourmand à Ayman Al-Zawahiri.
Ce dernier posa l’index sur un point, au centre de plusieurs cercles concentriques dessinés sur un calque.
— Voici le port de Haifa, annonça-t-il. Il se trouve au fond d’une baie assez profonde, d’environ cinq kilomètres. Nous espérons que le navire pourra accoster au quai de déchargement situé au sud de la baie. Mais même si pour une raison quelconque il était stoppé avant, le capitaine a prévu de lancer les machines à fond pour le rapprocher le plus possible du rivage.
— Qui va déclencher l’explosion ? demanda Bin Laden.
— Le frère Yassin Abdul Rhaman. Grâce à un téléphone portable. Mais, un millième de seconde plus tard, il aura rejoint le paradis d’Allah le Tout-Puissant.
Oussama Bin Laden n’exprima aucune tristesse. Au contraire.
— Je lui serai reconnaissant toute ma vie d’avoir choisi cette fin glorieuse de martyr, dit-il. Dis-moi maintenant ce qui va se passer ensuite.
— Dans un rayon de mille mètres, expliqua Al-Zawahiri, le souffle de l’explosion va détruire les gens du port, la gare, les immeubles de la ville basse. Les vêtements des gens s’enflammeront spontanément à cause de la chaleur. Normalement, aucun être vivant ne peut survivre. Évidemment, du côté de la mer, il y aura peu de victimes, mais tout le centre de la ville sera anéanti. Ensuite, cette vague de feu balayera les collines rocheuses qui encerclent Haifa. Jusqu’à mille deux cents mètres, tout sera ravagé par le feu. Des doses énormes d’irradiations condamneront à une mort certaine tous ceux qui y seront exposés, dans un délai très rapide.
Oussama Bin Laden buvait ses paroles, les yeux fixés sur la carte à grande échelle de Haifa et de sa banlieue. Le calque en plastique portait les cercles concentriques permettant d’apercevoir le plan fixé dessous.
— Et ensuite ? insista Oussama Bin Laden.
— Dans un rayon de mille cinq cents mètres, continua Ayman Al-Zawahiri, la dose d’irradiation sera mortelle pour la moitié des gens qui y seront exposés. Ils mourront dans un délai d’un mois. Là aussi, la chaleur déclenchera de nombreux incendies, qui eux-mêmes causeront d’autres pertes… Ensuite, entre mille cinq cents et trois mille mètres, la chaleur aura baissé, mais le danger viendra des particules radioactives emportées par le vent. Dans le cas d’Haifa, le vent vient de l’ouest, donc de la mer. Le nuage radioactif sera donc entraîné au-delà du premier cercle de collines et balayera toute la zone où se trouve concentrée l’industrie pétrochimique des Juifs. Même si les destructions matérielles ne sont pas spectaculaires, les usines seront inaccessibles pour de longs mois. Les Juifs seront à genoux.
Penché en avant, Oussama Bin Laden semblait imaginer ce qui allait se passer. Extatique, les mains croisées devant lui, il avait l’impression de sentir la chaleur des incendies.
— Combien de Juifs périront ? demanda-t-il.
— Impossible à dire, répondit l’Égyptien. Peut-être cent mille, peut-être deux cent mille. Peut-être plus. Cela dépend du vent et d’éléments que nous ne contrôlons pas.
— Quand le navire doit-il arriver ? demanda le chef d’Al-Qaida, émergeant de son rêve.
— Dans cinq jours.
Le Cheikh hocha la tête puis dit d’une voix grave :
— Frère, il ne faut pas cesser de prier Allah durant ces cinq jours, pour que Sa Protection n’abandonne pas nos martyrs. Mais, ce soir, prions pour que notre frère Sultan Hafiz Mahmood, sans qui rien n’aurait pu être accompli, émerge de sa maladie. Qu’Allah le Tout-Puissant et le Miséricordieux dissipe les brumes de son cerveau.
Imités par les gardes du corps, les deux hommes se prosternèrent longuement, face au nord-ouest où se trouvait La Mecque. Oussama Bin Laden aurait préféré faire exploser la bombe dans le port de New York, mais Ayman Al-Zawahiri avait choisi Haifa, pour punir les Juifs de leur arrogance et parce qu’il en avait eu l’opportunité, grâce aux livraisons de riz signalées par leur cellule thaïlandaise.
Le ciel s’obscurcissait. Oussama Bin Laden but un peu de thé, croqua quelques dattes et partit se reposer dans la madrasa. Il ne vivait plus que pour le jour béni où il montrerait au monde que le glaive d’Allah était plus puissant que jamais.
CHAPITRE XVIII
Mohamad Khushal somnolait à l’arrière de son boutre, abruti par l’excellent haschich iranien dont on lui avait fait cadeau, et laissant son second tenir la barre en direction du port de Gwadar, lorsqu’un de ses marins se mit à gesticuler en montrant un point vers bâbord arrière. La nuit tombait, mais le Baloutche reconnut la silhouette grise d’un patrouilleur de la marine pakistanaise, qui fonçait à toute vitesse dans sa direction.
Instantanément, il fut réveillé. Que voulait ce navire de guerre, à plus de cinquante milles de la côte ? La réponse était évidente. Le racket. On allait prétendre que son bateau n’était pas aux normes ou qu’il se livrait à un trafic quelconque, pour lui piquer quelques milliers de roupies. Il descendit dans sa minuscule cabine et se hâta de dissimuler derrière une planche de la boiserie la plus grosse partie de l’argent du bord. En ce qui concernait la cargaison, il était tranquille : sa cale était vide, à part quelques jarres de miel. Lorsqu’il remonta sur le pont, le patrouilleur était tout près et un projecteur braqué sur le boutre en train de stopper. La voix puissante d’un haut-parleur hurla de stopper complètement et le patrouilleur se rapprocha encore pour, finalement, s’immobiliser à tribord tandis que les marins lançaient des bouts afin d’amarrer les deux navires l’un à l’autre. À peine les deux navires furent-ils à couple qu’un officier pakistanais sauta sur le pont du boutre, et vint droit sur Mohamad Khushal.
— C’est toi le capitaine ?
— Oui.
— Tu t’appelles bien Mohamad Khushal ?
— Oui, confirma, surpris et inquiet, le capitaine du boutre.
— Tu viens avec nous, ordonna d’un ton sans réplique l’officier pakistanais.
Joignant le geste à la parole, il le poussa vers une échelle de corde jetée du patrouilleur. Houspillé, terrifié, le vieux marin atterrit sur le pont du patrouilleur, et fut immédiatement menotte.
— Mais qu’est-ce que vous voulez ? protesta-t-il.
La seule réponse fut une grêle de coups. Tassé sur le pont, il décida d’attendre la suite. Sans comprendre. Déjà, le patrouilleur repartait, en direction de la côte, sans même fouiller le boutre. Ahuri, Mohamad Khushal entendit soudain le bruit caractéristique d’un hélicoptère, et bientôt les feux de position de l’engin s’immobilisèrent au-dessus du patrouilleur qui ralentit son allure. Du coin de l’œil, Mohamad Khushal vit descendre du ciel un objet étrange. Une nacelle en filet suspendue à un câble. À peine eut-elle touché le pont que des marins se ruèrent sur lui et l’enfournèrent dans le filet, comme un animal. Aussitôt, la corde se tendit et il s’éleva dans l’air.