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— D’après la description, intervint Richard Spicer, il s’agit de la plage d’El-Ma’an, transformée en port de secours par un des clans qui contrôlent Mogadiscio.

— Donc, conclut Malko, cela confirme que l’engin nucléaire a bien été déchargé en Somalie. Mais nous ignorons tout de la façon dont il est reparti. À moins qu’il y soit toujours…

— C’est exact, reconnut Sir George Cornwell. Je vais passer la parole à Ellis MacGraw qui va vous parler de la situation en Somalie.

— Les neuf millions de Somaliens vivent depuis dix ans dans une autarcie absolue, expliqua le chef de poste du MI6 à Nairobi. Il n’y a plus de gouvernement ni d’administration, pas d’impôts, rien. C’est l’anarchie absolue, une jungle urbaine tenue par des groupes de miliciens extrêmement dangereux, qui marchent au khat et rackettent ou tuent tous les étrangers. Aussi, toute intrusion à Mogadiscio est fortement déconseillée. Quand on traverse le quartier de Bakara, au centre de la ville, on risque sa vie ou le kidnapping à chaque seconde. Les très rares Blancs sont des journalistes intrépides ou des membres d’ONG, mal vus de la population, qui survit tant bien que mal. Impossible de se déplacer seul : si vous n’avez pas une escorte de technicals[46], vous êtes enlevé ou tué en quelques minutes. Mais il arrive aussi que ceux qui sont chargés de vous protéger vous tuent ou vous dépouillent.

— Avez-vous des informations sur le sujet qui nous intéresse ? demanda Malko.

— Hélas non. Celles que nous obtenons ne sont pas en temps réel. Elles viennent à travers les contacts que nous entretenons avec le gouvernement somalien en exil, du président autoproclamé Abdullahi Youssouf Ahmed, qui réside à Nairobi avec ses quatre-vingt-neuf ministres… Il promet toujours de venir se réinstaller à Mogadiscio, mais le dernier voyage de son Premier ministre, il y a deux mois, a été marqué par un attentat qui a fait quinze morts et trente-huit blessés…

— Donc, il y a très peu de chances d’obtenir là-bas quelque chose sur notre problème ?

Ellis MacGraw opina.

— Très peu. Je n’obtiens que des renseignements politiques sur l’équilibre entre les différentes factions qui règnent sur ce pays de fous. Seule une enquête à Mogadiscio permettrait peut-être d’apprendre quelque chose.

— Vous n’avez personne là-bas ?

— Nous avons essayé, il y a quelques mois, d’envoyer une de nos field officers, sous couvert d’action humanitaire. Une certaine Kate Peyton. Elle avait des recommandations du gouvernement en exil et un contact sur place. Un homme qui travaille pour nous, un Somalien. Au début, tout s’est bien passé. Kate Peyton est arrivée de Nairobi sur un des avions qui apporte le khat cultivé au Kenya et s’est installée en ville. Évidemment, toutes les informations qu’elle pouvait recueillir étaient précieuses.

— Elle était protégée ?

— Bien sûr. Une équipe de miliciens escortait son 4 × 4, avec un technical muni d’une mitrailleuse lourde.

— Elle a fourni des informations importantes ? Ellis MacGraw baissa les yeux.

— Deux jours après son arrivée, quelqu’un lui a tiré deux balles dans le dos, en pleine ville, en face de l’hôtel Sahali, d’une voiture qui s’est perdue dans la circulation. Ses gardes du corps n’ont pas pu ou pas voulu riposter. On n’a jamais retrouvé ses assassins. D’ailleurs, dans une ville où il n’y a pas de police, ce n’est guère étonnant… Il y a une moyenne de cent blessés par balles par mois, et un seul hôpital : l’hôpital Medina, où il n’y a ni réanimation ni banque de sang, tout juste un anesthésiste. Tout le personnel est somalien. Il y a longtemps qu’il n’y a plus un Blanc en ville.

— Vous avez encore un contact ?

— Oui. Mohammed Kanyaré, le patron d’une des trois grandes milices qui tiennent Mogadiscio. Il possède un aéroport privé, à Daynile, près de Mogadiscio, qui concurrence celui de K.50, et qui est devenu une plaque tournante pour l’héroïne arrivant de Thaïlande, le khat du Kenya et des armes d’un peu partout.

— Il est susceptible de posséder des informations sur notre affaire ?

Ellis MacGraw eut un sourire froid.

— Il est au courant de tout ce qui se passe. C’est une question de survie. Imaginez que ses rivaux fassent venir un armement sophistiqué pour se débarrasser de lui ? Il a sûrement des yeux à El-Ma’an.

— Il parlerait ?

— Oui, je pense. Il a besoin de nous quand il veut voyager, sinon il est coincé comme un rat à Mogadiscio. Nous acceptons, de temps en temps, de lui remettre un laissez-passer pour venir à Londres.

— Vous ne l’avez pas interrogé ?

Cette question parut de l’humour britannique au chef de l’antenne de Nairobi.

— Il faudrait aller le lui demander en personne et en tête à tête… Si ses rivaux savaient qu’il travaille avec nous, ils le feraient liquider.

Un ange passa. Richard Spicer regardait obstinément la table. Malko se tourna vers lui.

— Richard, il semble que Mogadiscio soit in british turf[47]. Y avez-vous quelqu’un ?

Le chef de station de la CIA à Londres secoua la tête négativement et consentit à affronter le regard de Malko.

— Nope. Nous n’avons jamais été riches dans la région. Il y a quelques sous-traitants à Djibouti, mais ils ne sont pas très fiables.

L’ange repassa. On était au point mort, mais, vu la qualité du silence, Malko sentit qu’il y avait anguille sous roche. C’est Sir George Cornwell qui le brisa en s’adressant à lui.

— My dear Malko, nous avons un véritable problème, qu’il nous faut résoudre très vite. La bombe est très probablement repartie de Somalie. Hélas, nous ignorons sur quel bateau. Les services pakistanais ne peuvent plus nous être du moindre secours… Sultan Hafiz Mahmood est muré dans le silence pour un temps indéterminé. Et le temps passe… Il n’y a plus qu’une carte à jouer : aller à Mogadiscio pour essayer de savoir sur quel bateau cet engin de mort est parti. Accepteriez-vous cette mission ?

Silence pesant. Lisant probablement dans les pensées de Malko, le patron du MI6 ajouta aussitôt :

— Il m’est impossible d’expédier quelqu’un de chez nous là-bas après ce qui s’est passé en février. Une question d’éthique. Et, de plus, comme je ne peux utiliser qu’un volontaire, je risque de ne pas en trouver. La plupart de nos agents sont mariés et pères de famille.

Comme quoi le statut de célibataire de Malko le rendait taillable et corvéable à merci… Sans compter que le sang britannique semblait aussi précieux que l’américain. Tandis qu’un aristocrate, barbouze hors cadre, de la vieille Europe, cela portait moins à conséquence. Tous les regards étaient tournés vers lui, sauf celui de Richard Spicer, obstinément vissé sur la table. Malko pouvait évidemment se lever et partir, ou expliquer à Sir George Cornwell que ce n’était pas très élégant de l’envoyer au massacre… Il se contenta de demander :

— Qu’est-ce qui me vaut cet honneur douteux ?

Sir George Cornwell, sentant le poisson ferré, se permit un sourire radieux.

— Because you are the best[48]

— Je leur ai beaucoup parlé de vous, renchérit Richard Spicer et ils connaissent vos états de service. Je me suis entretenu avec M. Frank Capistrano à la Maison Blanche, c’est lui qui nous a suggéré de vous poser la question. Mais évidemment, il faut que vous soyez volontaire…

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46

4 × 4 munis d’un armement lourd.

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47

Zone britannique.

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48

Parce que vous êtes le meilleur.