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Ensuite, ils reprirent une position plus classique. Malko, vidé par les émotions de cette journée, finit par s’assoupir, bercé par le chuintement des réacteurs. Il restait un menu détail à régler, avant l’arrivée à Nairobi : dire la vérité à Aisha Mokhtar.

Le soleil se leva sur la gauche de l’appareil. Un festival de couleurs à couper le souffle. Apaisée sexuellement, Aisha Mokhtar était d’une humeur de rêve.

— C’est génial de voyager comme ça, dit-elle. À propos, qu’est-ce qu’on va faire à Nairobi ?

— Moi, rien, répondit Malko, qui avait décidé de crever l’abcès. Je ne fais que passer.

Elle sursauta.

— Où allez-vous ?

— À Mogadiscio.

Elle mit quelques secondes à réaliser, puis s’exclama :

— En Somalie ! Mais c’est très dangereux là-bas. Qu’est-ce que vous allez y faire ?

— Vous ne vous en doutez pas ? On y a retrouvé la trace du passage de l’engin nucléaire. Je vais essayer d’en savoir plus. J’ai un contact à Mogadiscio, grâce aux services britanniques. Vous pourriez m’attendre à Nairobi, il y a de très bons hôtels et vous serez sous la protection des Brits.

Aisha Mokhtar contempla longuement le tapis vert qui se déroulait 30 000 pieds plus bas. L’Afrique. Dans une heure au plus, ils atterriraient à Nairobi. Le temps pour Malko de récupérer ses credentials, grâce à Ellis MacGraw, et il repartirait pour la Somalie. Aucune ligne régulière n’y allait, mais des tas d’avions partaient tous les jours de Wilson Airport, pour amener le khat. Tous prenaient des passagers. Il suffisait d’être attendu à l’arrivée par une escorte de mercenaires et ensuite, on plongeait dans l’inconnu…

— Quand je pense que je vous ai pris pour un play-boy mondain, à notre première rencontre ! soupira Aisha. Vous m’avez bien eue. Vous êtes un aventurier ! (Elle se tourna vers lui et ajouta :) Je ne veux pas rester toute seule à Nairobi. J’aurais peur…

Malko sourit intérieurement. Préférer Mogadiscio à Nairobi, où régnait certes une certaine sécurité, c’était une politique de gribouille… Il se félicita : son approche psychologique avait fonctionné. Sinon, il aurait été obligé de menacer Aisha, ce qui n’eût pas été élégant. Pourtant, il s’en voulait un peu.

— Vous savez, précisa-t-il, Mogadiscio est très dangereux. Il n’y a ni loi ni police. Rien. Urban jungle.

Elle eut un sourire ironique.

— Il y a quelques jours, en plein Londres qui est une ville sûre, on a voulu m’assassiner à coups de hache… Alors, vous me protégerez…

Ému de cette confiance, il l’embrassa chastement.

— La seule chance de stopper cet attentat qui peut causer des centaines de milliers de morts est de retrouver cet engin nucléaire à temps, dit-il. Sultan Hafiz Mahmood est muet pour longtemps. Il faut aller là-bas. Vous parlez arabe, donc peut-être pouvez-vous m’être d’un grand secours.

— Je ferai de mon mieux, promit-elle.

Le petit jet avait commencé sa descente sur Nairobi. La journée allait passer vite, même avec l’aide d’Ellis MacGraw. Qu’allait-il trouver à Mogadiscio ? Est-ce que les terroristes allaient le repérer ? L’expérience de l’agente du MI6 n’était pas encourageante.

Il avait beaucoup plus de chance de repartir de Mogadiscio dans un cercueil qu’en première classe.

CHAPITRE XIX

C’était Mad Max !

Le pick-up Toyota orange équipé d’une mitrailleuse lourde russe sur son plateau, autour de laquelle s’entassaient une demi-douzaine de miliciens en tenues disparates, bandanas et lunettes de soleil de femmes, torse ceint de cartouchières, une bouteille d’eau minérale dans la ceinture, se frayait un chemin sur la piste menant à Mogadiscio, tracée en pleine savane, piquetée de quelques maigres épineux. Les rares piétons marchaient sur le bas-côté poussiéreux, beaucoup de femmes en grandes coiffes noires, moulées dans des cotonnades multicolores, et s’écartaient docilement devant les coups de klaxon impérieux. Une demi-douzaine de véhicules similaires suivaient dans un nuage de poussière, emportant les autres passagers du vol des Al-Jazirah Airlines en provenance de Wilson Airport, à Nairobi. Abrutis de chaleur, inquiets mais soulagés d’être sortis vivants d’un avion hors d’âge, piloté par un Ukrainien entre deux vodkas, ils écarquillaient les yeux devant ce qui ressemblait à un décor de film…

À l’avant du pick-up orange, Malko, Aisha Mokhtar en sobre tenue de brousse – T-shirt et pantalon kaki –, un foulard sur la tête, et Omar, un jeune Somalien noir comme du charbon qui était venu les chercher à l’arrivée, se tassaient à côté du chauffeur en train de mastiquer paisiblement son khat, entrecoupé de gorgées d’eau minérale, sortie d’une petite bouteille glissée dans sa ceinture. Sa conduite se faisait de plus en plus floue. « Khatés » à mort, certains Somaliens en oubliaient de tourner dans les virages et partaient vers un monde meilleur, euphoriques…

Aisha et Malko avaient failli partir sur un vol des Djibouti Airlines, piloté par un Ukrainien pété comme un Petit Lu, mais avaient finalement pu trouver deux sièges sur un des avions du « khat », qui reliaient quotidiennement Nairobi à K.50, un des aéroports de fortune, au sud-ouest de Mogadiscio. Le vieux Beechcraft, bourré jusqu’à la gueule de ballots de khat produit par le Kykuyus du Mont Kenya, s’était posé lourdement sur l’« aéroport » de K.50, une piste tracée au bulldozer dans la savane, dont tout l’équipement consistait en une manche à air plantée sur une vieille Range Rover sans roues, montée sur clés, transformée en tour de contrôle. Deux épaves d’avions écrabouillés en bout de piste signalaient la fin de la zone aéroportuaire… Lorsque le Beechcraft s’était posé, une demi-douzaine de pick-ups, chargés d’hommes armés jusqu’aux dents, attendaient sagement, alignés comme à la parade. Le vol des Djibouti Airlines arrivant quelques minutes plus tard. La protection des visiteurs étrangers était une des principales sources de revenus des milices. Un milicien ne gagnait que deux ou trois dollars par jour et une protection « sérieuse » en coûtait trois cents, cela laissait une marge confortable aux chefs de bande. D’autant qu’une stupide rumeur de réconciliation nationale avait fait baisser le prix des armes et des munitions. Dès l’arrivée, chaque passager avait été délesté de 25 dollars comme taxe d’aéroport. Ensuite, les différents technicals s’étaient abattus sur eux pour discuter tarifs. Ce stade-là avait été épargné à Malko, grâce à Omar, le correspondant de Ellis MacGraw, qui avait déjà conclu un deal avec l’équipage du Toyota orange. Pour éviter les mauvaises pensées, Malko avait discrètement versé d’avance cinq jours de protection en billets de cent dollars.

D’autres passagers étaient encore sur place, entourés de « miliciens » qui devenaient facilement menaçants…

Le racket commençait dès que les roues de l’appareil touchaient la poussière. La milice en charge de la piste prélevait 200 dollars auprès de l’équipage pour qu’on ne brûle pas son avion, plus 600 ou 700 de taxe d’atterrissage et un forfait variable selon la cargaison, le plus souvent du khat, de l’héroïne arrivée du fin fond de l’Asie ou des armes… La plupart du temps, les pilotes restaient dans leur cockpit, armés jusqu’aux dents de grenades et de Kalach, au cas où le khat provoquerait des débordements…

— My God ! Quelle chaleur ! On arrive bientôt ? demanda timidement Aisha Mokhtar.

La chaleur lourde, humide, oppressante, pesait comme une chape de plomb. Malko essuya son front, aspirant une goulée d’air brûlant. Il était dix heures du matin et le soleil était déjà torride.