— Qu’est-ce qu’il fait chaud !
Comme une somnambule, elle fila sous la douche et revint s’allonger sans même s’essuyer, entièrement nue.
— Mais tu bandes ! s’exclama-t-elle.
C’était vrai et involontaire. Un simple mouvement réflexe, mais Aisha eut un sourire vorace.
— On va étrenner cette merde d’hôtel ! dit-elle en abaissant son visage sur son ventre.
Décidément, elle faisait une fixation sur les hôtels. Malko se laissa aller. À part attendre Omar, il n’avait strictement rien à faire. La bouche d’Aisha était en train de le mener doucement au plaisir, lorsqu’elle interrompit sa fellation.
— Il fait trop chaud, viens !
Elle gagna le balcon, peu visible dans l’obscurité, et s’y accouda, bien cambrée, regardant les quelques silhouettes qui déambulaient encore sur la place. En plus de ses autres qualités, elle était légèrement exhibitionniste… Lorsque Malko s’enfonça dans sa croupe, elle frémit, se cambra un peu plus et, le regard fixé sur la place sombre, gémit.
— Ah c’est bon. Viole-moi. Ce qu’il fit.
Ils eurent du mal à se décoller, tant la chaleur était poisseuse. Malko passa ensuite un polo et un pantalon et descendit. Shamo l’accueillit avec un sourire désolé.
— Le générateur est tombé en panne. Il sera réparé dans une heure. (Il baissa la voix, ajoutant :) Omar est passé. Il vous emmène demain matin à Ma’An. À huit heures.
*
* *
Omar avait troqué sa djellaba pour un polo rayé vert et blanc et un pantalon de toile. Il jeta un regard intéressé à Aisha, les cheveux cachés sous un turban noir, en pantalon et chemise kaki, et elle lui adressa brusquement la parole en arabe. Le visage d’Omar s’éclaira. Ils échangèrent quelques mots et l’atmosphère se détendit.
— Si votre amie est une croyante, c’est mieux, affirma-t-il. Ils seront plus respectueux. Là-bas, ils ne voient pas beaucoup de femmes…
C’est-à-dire qu’ils ne la violeraient qu’avec une exquise politesse…
De nouveau, ils s’entassèrent dans la cabine brûlante du pick-up et foncèrent à travers les ruelles défoncées. À un moment, des coups de feu éclatèrent devant eux et le chauffeur pila. Sur le plateau, la mitrailleuse lourde russe pivota. Il y eut des appels, un portable sonna et ils repartirent. Omar remarqua :
— Ce sont deux groupes qui se battent pour le quartier Notre-Dame. Il n’y a plus rien là-bas, pourtant…
Ils firent un détour et le bruit de la fusillade s’estompa Peu à peu, ils retrouvèrent la savane pelée, avec la mer à leur droite. Partout des bâtiments brûlés ou détruits. En passant devant ce qui ressemblait à un tas de pierres blanches, Omar annonça :
— C’était la villa Somalia, l’ancienne résidence du président Syad Barré. Il vaut mieux ne pas y aller, c’est plein de mines.
Les constructions s’espacèrent et bientôt il n’y en eut plus du tout. Ils longeaient une côte basse et sablonneuse, où de l’herbe poussait entre des plaques de sable. Ils croisèrent des camions et des véhicules bondés venant du nord. Sur la piste étroite, ce n’était pas évident. À l’arrière, le servant de la mitrailleuse s’accrochait aux poignées de sa douchka. Les poumons pleins de poussière, les vêtements collés à la peau par la chaleur, ils enduraient un calvaire. Seul le chauffeur du Toyota, broutant son khat, semblait parfaitement heureux.
Presque une heure de piste. Par moments, celle-ci s’éloignait de la mer, sinuait entre les épineux, passant devant des masures de bois au toit de tôle. Il y avait des réfugiés partout, de toutes les guerres voisines, sans compter ceux qui avaient tout perdu durant l’interminable guerre civile…
Enfin, Malko aperçut les premiers bateaux ancrés devant El-Ma’an. Avec le soleil en plus, cela ressemblait à une plage du débarquement de juin 1944. Au moins une vingtaine de boutres de toutes les formes et un vieux pétrolier étaient ancrés à quelque distance du rivage, immobiles comme des épaves. La plage était jonchée de bâtiments, de containers entassés, de baraques de fortune. Des barges faisaient la navette entre le rivage et les bateaux, comme de gros scarabées noirs.
— Le port international a été détruit pendant les événements, expliqua Omar, alors, tout arrive par ici.
— Il n’y a pas d’autre port ?
— Non. C’est le chef Musa Sude qui contrôle El-Ma’an, et il a découragé les concurrents…
Ils passèrent devant la carcasse d’un camion brûlé et Omar se tourna à nouveau vers Malko.
— Qu’est-ce que vous voulez voir exactement ? Bonne question. Malko regardait cette plage où avait transité l’engin nucléaire d’Oussama Bin Laden. Le problème, c’est qu’il n’avait pas la queue d’un indice…
— Il y a quelqu’un qui s’occupe de surveiller les opérations ?
Omar sourit.
— Des hommes de Musa Sude enregistrent tous les mouvements des marchandises, à cause des taxes. Les autres, ceux des barges, sont indépendants.
— Personne n’enregistre les bateaux ?
— Je ne crois pas, avoua le Somalien.
Cahotant sur la piste ensablée, ils passèrent devant un empilement de containers gardés par une douzaine de miliciens qui leur jetèrent des regards méfiants. Arrivé presque au bout de l’immense plage, Malko aperçut ce qui pouvait passer pour un restaurant. Un toit de tôle, un auvent de feuillage, quelques tables de bois avec des bancs.
Une demi-douzaine d’hommes étaient affalés çà et là, épuisés. L’équipage d’une barge à demi échouée sur le sable. Un peu plus loin, au-delà du sable, il aperçut des cabanes. Le pick-up se mit à patiner, puis cala.
— On ne peut pas aller plus loin, dit Omar.
Malko sauta à terre. Le vent de la mer rendait la température un peu plus supportable. Les miliciens de l’arrière le rejoignirent. Le chauffeur continua à mâcher son khat à son volant, indifférent à la chaleur et aux mouches, avec Aisha, écrasée par la chaleur, à ses côtés.
— Je voudrais savoir si quelqu’un se souvient d’un boutre qui serait arrivé du Pakistan, il y a six semaines environ, expliqua Malko. Et qui aurait déchargé sa cargaison ici.
L’œil d’Omar brilla.
— Quelle cargaison ? Des armes, de la drogue, du khat ?…
— Je ne sais pas.
— Je vais demander, promit le Somalien. Il vaut mieux que vous restiez autour du pick-up. Je ne connais pas les gens d’ici. Ils sont spéciaux.
Malko s’assit à l’ombre du véhicule, le dos appuyé au pneu brûlant, bientôt rejoint par Aisha, exsangue comme une méduse. Gentiment, un des miliciens leur tendit une bouteille d’eau minérale presque bouillante, dont ils s’arrosèrent le visage. On n’entendait que le bourdonnement des mouches et le teuf-teuf poussif des barges. La mer était plate comme la main, le ciel azur. Un paysage de rêve pour un endroit de cauchemar. On avait l’impression de mourir sur place…
Omar revint une heure plus tard. Même lui souffrait de la chaleur. Il s’accroupit en face de Malko, soucieux.