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— Je pars ce matin même, promit le général Bhatti, qui sentait que sa tête aussi était en jeu.

*

*   *

Depuis l’aube, Malko attendait des nouvelles de Musa Sude. Impuissant. À Mogadiscio, on était coupé du monde, mais si un attentat nucléaire avait eu lieu, on en aurait parlé. Le téléphone grésilla, presque inaudible, et il entendit le bredouillage incompréhensible du réceptionniste, d’où émergea le mot Omar… Malko se rua dans l’escalier. Omar était en bas, tout excité.

— Il nous envoie une voiture ! annonça-t-il. Juste vous et moi.

Le pouls de Malko grimpa en flèche. Son voyage ne serait pas inutile… Un quart d’heure plus tard, le « convoi présidentiel » déboula. Un 4 × 4 Porsche Cayenne qui portait encore le sigle de l’ONG à laquelle il avait été volé et les deux technicals bondés de miliciens. Il y en avait quand même trois en sus à l’avant du 4 × 4, serrés comme des sardines. À l’intérieur, cela puait le haschich. Malko commençait à connaître la route.

Musa Sude l’attendait, cette fois, dans un palais en ruine, hérissé de sacs de sable et entouré de barbelés, à la sortie de la ville, à côté du camp de réfugiés rackettés par sa milice, sous couvert de protection… Le chef somalien semblait d’excellente humeur.

— Il nous emmène à El-Ma’an, annonça Omar. Changement de véhicule, pour un 4 × 4 noir aux glaces totalement opaques. Blindé, celui-là… Entourés d’une douzaine d’autres véhicules, ils foncèrent à toute allure vers le nord. Le cœur battant, Malko se demandait si on n’allait pas le mener à l’objet qu’il recherchait… Mais ils s’arrêtèrent sur une dune et Musa Sude désigna une barge échouée sur le sable, d’où partaient une file d’hommes, en short et T-shirt, ployant sous le poids d’énormes caisses, sous la protection d’hommes armés, en turban et tenue vaguement militaire : ses miliciens.

— Il vient de recevoir un chargement de groupes électrogènes, expliqua Omar. Il va gagner beaucoup d’argent, avec la chaleur…

Déçu, Malko demanda :

— Et mon information ?

Omar posa la question. Aussitôt, d’un ordre sec, le chef de guerre fit descendre les trois hommes de l’avant, qui s’accroupirent dehors, sous le soleil inhumain. Il ôta ses lunettes de soleil et adressa un discours visiblement menaçant à Omar, qui traduisit en tremblant :

— Il dit que je suis le seul témoin. S’il y a une fuite, il me coupera la tête.

Désormais habitué au pays, Malko approuva d’un sourire cet accord parfaitement normal.

— Qu’a-t-il appris ?

Musa Sude sortit un papier de sa poche et le déplia, lisant ensuite d’une voix neutre. Omar traduisit à mesure.

— Il y a bien un bateau qui est arrivé du Baloutchistan à la date que vous avez mentionnée. Il a été accueilli par un groupe qui utilise le nord de la plage. Ce sont des Somaliens mêlés à des Arabes et à des Djiboutiens. Ils s’agit de la milice Al-Ittihad Al-Islamiyya, lié à Al-Quaida. Ils font souvent venir des armes, d’Iran ou de Dubaï.

— Comment le sait-il ?

— Ils paient des taxes. Ici, tout doit être déclaré.

— Qu’apportait ce bateau ?

— Ils ont parlé d’une cargaison de drogue et ont payé 10 000 dollars de taxes.

— Il a vu la cargaison ?

— Non.

— Et ensuite ?

— Le bateau est reparti et la cargaison a été débarquée. Ensuite, ils l’ont rechargée sur un navire mouillé là depuis quelque temps. Un cargo assez vieux, avec un pavillon de Malte.

— Comment s’appelait-il ?

Musa Sude jeta un coup d’œil sur le papier et épela : Anodad Naree.

Malko nota fiévreusement. Il avait envie de faire des bonds. Il en aurait embrassé l’effroyable voyou qui se trouvait à côté de lui.

— Où se trouve ce navire ?

Musa Sude eut un geste expressif de la main.

— Parti.

— Quand ?

— Il ne sait pas exactement… Parce qu’il ne touche pas de taxe sur les départs. Il pense une semaine ou un peu plus…

Malko était sur des charbons ardents.

— Et les hommes qui l’avaient accueilli ?

— Ils sont repartis aussi, dans leur zone vers le sud.

— C’est tout ce qu’il sait ?

— Oui.

— Dites-lui qu’il a peut-être gagné le million de dollars, dit Malko. Retournons en ville, je dois communiquer tout de suite avec Nairobi.

*

*   *

— L’Anodad Naree, criait Malko au milieu des crachotements du Thuraya. J’épelle…

À l’autre bout, Ellis MacGraw, chef de poste du MI6 à Nairobi, notait lettre par lettre. Quand Malko coupa la communication, il avait dû perdre deux kilos. La chaleur était effroyable dans la petite échoppe d’Omar. Il se tourna vers le Somalien.

— Je dois repartir le plus vite possible.

Omar se mit au téléphone. Au bout de vingt minutes, il annonça :

— Il y a un avion qui part pour Djibouti dans deux heures. Il y a de la place.

— C’est parfait, fit Malko.

Il avait pris ses affaires à l’hôtel et Aisha attendait, prête et docile.

Omar semblait préoccupé.

— C’est le moment dangereux, avertit-il. Il faut donner un supplément d’argent aux miliciens, sinon ils peuvent vous garder.

— Combien ?

— Mille dollars.

Il les avait. Cinq minutes plus tard, ils roulaient vers K.50, l’aéroport de Mogadiscio. Le bimoteur en partance pour Djibouti semblait sorti d’un cimetière d’avions. Les miliciens, comme des dogues affamés, se jetèrent sur les dollars, pendant qu’Aisha et Malko s’éclipsaient vers l’avion. Dans le cockpit, il y avait un grand blond aux yeux injectés de sang, qui mâchait du khat, lui aussi. Pourtant, le khat ne poussait pas en Ukraine… Il installa Malko à côté de lui, pelota Aisha en l’installant derrière eux et soupira en anglais :

— Hope we gonna make it[51]. Ces cons ont mis deux cents kilos de trop… Davai.

Les moteurs crachaient de l’huile comme un tuberculeux crache du sang. Les rivets frémissaient. Il fit demi-tour en bout de piste, les moteurs hurlèrent et l’avion se mit à rouler. Malko priait. Le bimoteur roulait, roulait, roulait, mais ses roues ne quittaient pas le sol. La tête dans ses mains, Aisha ferma les yeux. Enfin, le vieux Beechcraft s’arracha de quelques centimètres, frôla un épineux et se mit à grimper avec une lenteur terrifiante, comme un vautour gavé de sang… Malko ne respira qu’en apercevant au-dessous d’eux le bleu de la mer Rouge. Puis l’appareil vira, revenant au-dessus de la terre. Cap au nord-ouest. Il y avait environ deux heures et demie de vol entre Mogadiscio et Djibouti, en passant au-dessus de l’Ogaden éthiopien. Ils se traînaient à 5 000 pieds, le vieil appareil étant incapable de voler plus haut.

Enfin, le pilote ukrainien amorça son approche sur Djibouti. Il était un peu plus de seize heures à la Breitling de Malko. Celui-ci avait laissé à Omar le soin de prévenir Ellis MacGraw de sa destination. Djibouti était devenu une des bases les plus importantes de la CIA en Afrique. Effectivement, dès que le bi-moteur s’approcha de l’aérogare, Malko vit surgir un 4 × 4 blanc qui vint s’arrêter à côté de l’avion. Le temps pour deux Djiboutiens d’approcher une passerelle, Aisha et lui furent accueillis par un homme aux courts cheveux gris.

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51

J’espère qu’on va y arriver.