— Des sisterships ! s’exclama-t-il. C’est-à-dire que les deux navires sont identiques ! Qu’on a pu les intervertir en changeant simplement le nom… Il faut appeler d’urgence Precious Shipping Ltd à Bangkok et savoir où se trouve actuellement le Salinthip Naree.
— En ce moment, il est huit heures du soir en Thaïlande, objecta Richard Spicer après une courte réflexion.
— En ce moment, répliqua Malko, un navire ayant à son bord un engin nucléaire navigue avant d’aller faire exploser sa charge quelque part… Peut-être à Londres. Que la station de Bangkok se débrouille avec leurs homologues. Qu’ils interrogent le port de Bangkok.
— Je vous rappelle, fit simplement Richard Spicer. Malko se rassit, épuisé, sentant qu’il touchait au terme de son enquête. Le sang battait à ses tempes. Aisha Mokhtar retourna s’effondrer dans son fauteuil. Cette fois, l’attente fut plus longue. Presque une heure. Le téléphone sonna enfin.
— Le Salinthip Naree a quitté Bangkok il y a trois semaines environ, avec une cargaison de 18 000 tonnes de riz, à destination d’Israël, qui doit être débarquée dans le port de Haifa, annonça le chef de station de la CIA de Londres.
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* *
Israël ! Personne n’avait pensé à cet objectif. D’un coup, tout était clair. L’engin nucléaire était bien arrivé à Mogadiscio où il avait été chargé sur le sistership du Salinthip Naree, l’Anodad Naree, qui avait changé de propriétaire deux ans plus tôt. Ensuite, les deux navires s’étaient rejoints quelque part dans l’océan Indien et avaient échangé leurs identités, L’Anodad Naree continuant sa route vers Israël avec l’engin nucléaire dans ses cales, sous le nom de Salinthip Naree, tandis que ce dernier – le vrai – allait se faire découper au chalumeau à Gaddani.
Le crime parfait.
Évidemment, il avait fallu la complicité d’une partie de l’équipage du Salinthip Naree, mais c’était tout à fait possible. Quant à l’équipage du bateau pirate, ce devaient être des membres d’Al-Qaida ayant fait le sacrifice de leur vie, comme les pilotes du 11 septembre 2001, qui étaient quand même vingt…
La voix de Richard Spicer parvint à Malko comme dans un brouillard.
— D’après nos calculs, le faux Salinthip Naree n’a pas encore franchi le canal de Suez. Nous avons vérifié avec les Égyptiens, sans leur dire pourquoi. Il doit être quelque part en mer Rouge.
— Il faut agir sans précipitation, recommanda Malko. Nous ignorons tout de leur méthode de mise à feu. Il ne faudrait pas que, surpris, ils fassent exploser leur bombe, même en pleine mer. L’impact psychologique serait dévastateur.
— Nous serons extrêmement prudents, assura Richard Spicer. Heureusement, il y a le point de passage obligé du canal de Suez. Cela nous donne quelques heures de répit. Les autorités israéliennes vont être prévenues tout de suite. Pour le président Bush, c’est déjà fait. Je vous tiens au courant, et bravo !
Le téléphone raccroché, le silence retomba dans la pièce, troublé seulement par le chuintement du climatiseur. Malko croisa le regard d’Aisha, debout à côté de lui. Il pétillait.
— C’est merveilleux ! souffla-t-elle d’une voix altérée. Tu es merveilleux.
La seconde suivante, elle était collée-serrée contre lui, lui enfonçant une langue d’un mètre de long au fond du gosier. La victoire proche déchaînait sa libido. Sans même verrouiller la porte du bureau, elle tomba à genoux devant lui, l’enfonçant sauvagement dans sa bouche.
Malko voyait dix mille étoiles, gonflé de satisfaction, après tant de tensions. Lorsqu’il releva Aisha en la tirant par ses cheveux noirs, elle s’allongea d’elle-même à plat dos sur le bureau, après s’être débarrassée de son pantalon de toile et de sa culotte. Malko s’enfonça en elle d’un trait et se mit à la baiser comme un soudard. Explosant une minute plus tard, accompagné d’un cri aigu de la jeune femme.
Celle-ci avait à peine reposé les pieds à terre que la secrétaire du chef de station frappa à la porte et passa la tête.
— Vous avez appelé ? Voulez-vous un peu de thé ou des sandwichs ?
— Avec plaisir ! dit Malko, le pantalon sur les chevilles.
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* *
Aisha et Malko avaient gagné le Sheraton, emportant un portable sécurisé remis par le chef de station enfin revenu. La nuit était tombée. Deux heures s’étaient écoulées depuis le dernier coup de fil de Richard Spicer. Après avoir pris une douche, Malko et Aisha se reposaient, quand le portable sécurisé sonna enfin.
— Nous avons localisé le Salinthip Naree, annonça Richard Spicer. Les Égyptiens nous ont prévenus qu’il a demandé un pilote pour traverser le canal de Suez très tôt, demain matin.
— Enfin ! soupira Malko. Quand programmez-vous une intervention ?
— Nous ne ferons rien durant la traversée du canal, qui dure environ dix heures. Il faut attendre qu’il soit en Méditerranée. C’est-à-dire demain après-midi. Là, nous allons faire face à un autre problème.
— Lequel ?
— Les Israéliens. Ils sont évidemment en alerte maximale, et ont averti que si le Salinthip Naree approchait à moins de cinquante milles des côtes israéliennes, ils le détruiraient.
— Comment ?
— Ils ont des F-16 et des sous-marins. Mais ce n’est pas certain qu’ils le coulent du premier coup. Et alors…
— Bien, quel est votre plan ?
— La Navy y réfléchit. Tout sera prêt pour intervenir demain. Nous avons quelques heures de répit. La décision finale appartient à la Maison Blanche.
— O.K., conclut Malko, je crois que je vais dormir un peu. Rien ne se passera cette nuit. J’ai une faveur à vous demander.
— Ce que vous voulez.
— Je tiens à ce qu’un avion soit à ma disposition dès demain matin à la base de Djibouti.
— Vous voulez rentrer chez vous ? À Londres ?
— Non, je veux assister à la fin de cette histoire.
Richard Spicer eut un rire sans joie.
— Vous risquez de vous transformer en chaleur et en lumière s’il y a la moindre fausse manœuvre.
— Si cela se produisait, remarqua Malko, je ne partirais pas tout seul. Je vous rappelle que Le Caire compte près de quinze millions d’habitants et que les particules radioactives voyagent vite, portées par le vent.
Le Salinthip Naree venait de quitter Suez pour la traversée des 163 kilomètres du canal de Suez, guidé par un pilote égyptien monté à bord. Il n’était que six heures du matin, mais il faisait déjà grand jour. Yassin Abdul Rahman, de la dunette, regardait les dernières étoiles s’éteindre. À part le capitaine malais et le mécanicien, les membres d’équipage donnaient, sauf ceux affectés à la manœuvre dans le canal…
Le jeune Égyptien adressa une ultime prière à Allah. Il avait auparavant appréhendé cette traversée du canal, tout en connaissant le laxisme des autorités égyptiennes. Or, tout avait l’air de bien se passer. L’équipage d’une vedette de la douane égyptienne était monté à bord et avait vérifié les papiers et le manifeste du Salinthip Naree, ne faisant aucune observation… Désormais, il n’y avait plus d’obstacle avant leur objectif : Haifa.
Sauf un contrôle impromptu et peu probable en pénétrant dans la Méditerranée. Le prochain contrôle, prévu celui-là, serait celui de la marine israélienne, en veille à une vingtaine de milles des côtes, qui interrogeait systématiquement tous les navires se dirigeant vers un port israélien. Ce contrôle-là ne présentait pas de risque non plus. Les Israéliens n’allaient pas fouiller les sacs de riz et le manifeste du Salinthip Naree était parfaitement en ordre.