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— Vous êtes certain de le couler ? Absolument certain ? insista le Premier ministre israélien.

Durant la guerre des Six-Jours, les Israéliens avaient tenté de couler un navire espion américain et n’étaient parvenus qu’à l’endommager sérieusement. Dans un cas semblable, ceux qui étaient à bord du Salinthip Naree pouvaient changer de cap et tenter de se rapprocher d’Ashdod, un autre port israélien, au nord de la bande de Gaza. Les dégâts seraient moindres qu’à Haifa, mais l’impact psychologique tout aussi dévastateur.

— Quel est la direction du vent ? demanda Ariel Sharon.

— Au-dessus de 5 000 pieds, il souffle du sud. Au niveau de la mer, de l’ouest.

Autrement dit, même si le Salinthip Naree faisait exploser sa charge nucléaire de 10 kilotonnes devant les côtes israéliennes, le vent emporterait les particules radioactives jusqu’à la côte et elles baladeraient ensuite le pays…

Ariel Sharon but quelques gorgées d’eau et posa la question qui les taraudait tous depuis le début de l’alerte :

— Faisons-nous évacuer les villes de la côte, Haifa surtout ?

La population israélienne n’avait pas encore été prévenue. En ce mois de juin, toutes les plages étaient noires de monde. Ariel Sharon se tourna vers le spécialiste du nucléaire.

— Avez-vous effectué une simulation pour Haifa ?

— Oui. La ville et ses environs comptent environ 400 000 habitants dont 15 % d’Arabes. Des collines dominent le centre, occupées par de multiples industries pétrochimiques. Même si nous pouvons les évacuer, elles seront rendues inutilisables pour une très longue durée, à cause de la pollution radioactive.

— Si cet engin explosait à l’entrée du port, interrogea le Premier ministre, quelles seraient les pertes ?

— Dans une fourchette de 40 000 à 150 000, répondit le spécialiste. Les plus gros effets ont lieu dans un rayon de mille cinq cents mètres à partir du point de l’explosion.

Il mit une carte sous les yeux du Premier ministre, où différents cercles avaient été tracés, avec trois points de départ : dix kilomètres des côtes, l’entrée du port et le quai de déchargement.

Un téléphone sonna et un des adjoints du Premier ministre répondit, annonçant aussitôt :

— Monsieur le Premier ministre, il y a un élément nouveau : la visibilité se détériore en raison d’un violent vent de sable. Nous risquons de ne plus pouvoir repérer ce navire que par des moyens électroniques…

Ariel Sharon ferma les yeux. Il n’était pas particulièrement croyant, mais ne put s’empêcher de penser au Khamsin, le vent brûlant qui soufflait parfois deux ou trois jours, venant du désert. Souvent, cela se produisait après le grand nettoyage de Pessah[52] et certains rabbins invoquaient une malédiction divine. Si ce navire, chargé d’une bombe nucléaire, parvenait jusqu’en Israël, ce serait une malédiction autrement grave…

— Donnez l’ordre d’évacuation de Haifa, décida-t-il. Essayez qu’il n’y ait pas trop de panique. Que les gens se munissent de leur masque à gaz. Parlez d’attaque possible sans citer le nucléaire.

*

*   *

Le Learjet était en train d’effectuer un virage au large de la ville de Tripoli, au Liban nord. Le ciel avait brusquement changé et semblait chargé de particules ocre qui formaient, en dessous d’eux, une sorte de mur à travers lequel on distinguait de plus en plus difficilement la mer. Le pilote se retourna vers Malko.

— La visibilité se détériore, sir, nous allons être obligés de changer de palier, de descendre à 1 500 pieds. Nous risquons alors de nous faire repérer.

— Quelle est la situation ? demanda Malko.

— No news. Silence radio absolu. Nous pensons que les contre-mesures sont en train de se mettre en place.

C’est-à-dire que les sous-marins US se mettaient en position de tir.

— Où est le Salinthip Naree ?

— Il suit toujours le même cap et sa vitesse est de 13 nœuds.

— Et les Israéliens ?

— Leurs navires sont déployés en arc de cercle, à partir du sud de Gaza. Ils observent également le silence radio et j’ai l’impression que nous n’avons plus de contact avec eux.

Autrement dit, comme d’habitude, les Israéliens n’en faisaient qu’à leur tête. Ce qui pouvait avoir des conséquences gravissimes… Le Learjet perça l’étrange brouillard orange et ils découvrirent à nouveau la mer d’un magnifique bleu turquoise, piquetée de plusieurs navires. La côte israélienne, sur leur gauche, était à peine visible.

— Sir, je crois que voilà le Salinthip Naree, à onze heures devant nous, annonça le pilote.

Malko regarda dans la direction indiquée, légèrement sur la droite, et aperçut le vraquier qui semblait immobile mais c’était une illusion d’optique, due à leur énorme différentiel de vitesse…

Ils le survoleraient dans cinq minutes.

Soudain, une voix éclata, inconnue, dans les écouteurs de Malko.

— Action !

Le pilote se retourna vers Malko et lança :

— Les torpilles viennent d’être lancées.

Le Learjet se rapprochait à toute vitesse du cargo. Ils étaient désormais assez proches pour distinguer le pont, quasi désert. Malko aperçut à l’avant une silhouette blanche, un homme en dichdacha. Son pouls fit un bond. Depuis le début de cette longue traque, c’était le premier signe concret de l’existence du complot d’Al-Qaida : le cargo en dessous de lui était bien celui chargé d’un engin nucléaire artisanal qui s’apprêtait à frapper Israël.

Une pensée le traversa à la vitesse de l’éclair. Les torpilles tirées par les sous-marins de la VIe Flotte étaient en train de filer vers leur objectif. L’homme chargé de la mise à feu aurait-il le temps de déclencher la bombe ? Le Salinthip Naree pouvait exploser et couler, mais il fallait une fraction de seconde pour déclencher la bombe et un millième de seconde pour que la déflagration nucléaire démarre. Si la bombe explosait maintenant, les radiations et l’onde de chaleur atteindraient le Learjet, le faisant exploser instantanément… Le pilote devait avoir tenu le même raisonnement car il vira brusquement sur l’aile, s’éloignant à 800 à l’heure du vraquier. La dernière vision de Malko fut l’homme en blanc, à la proue du Salinthip Naree, levant le poing dans leur direction.

Yassin Abdul Rahman avait vu surgir l’avion au dernier moment. Un jet privé civil. Mais lorsqu’il aperçut sur son flanc la lettre N, signalant une immatriculation américaine, il eut une brusque flambée d’angoisse. Pourquoi cet appareil le survolait-il si bas ?

Instinctivement, il plongea la main dans sa poche et jura. Il avait oublié dans sa cabine le déclencheur électronique avec lequel il devait activer la charge propulsive du mortier de l’explosion. Bien sûr, il était trop tôt, le jet s’éloignait sur leur bâbord, mais il devait être prêt. À grandes enjambées, il se précipita vers la trappe menant aux couchettes.

Il n’en était plus éloigné que d’une dizaine de mètres lorsque le pont se souleva sous ses pieds. Il eut l’impression que le Salinthip Naree venait de passer sur un volcan sous-marin. Une suite d’explosions sourdes qu’il n’eut pas le temps de compter, quatre ou cinq, retentirent presque en même temps. Le cargo se souleva de l’eau, comme poussé par une main géante, et se disloqua instantanément, déchiré par plusieurs charges puissantes explosant sous la ligne de flottaison. Des flammes jaillirent de tous les côtés, enveloppant Yassin Abdul Rahman, le grillant comme un poulet à la broche. C’était déjà une torche vivante lorsqu’il fut projeté à la mer.

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52

La pâque juive.