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- Pour nous peut-être pas, mais pour la future reine d’Angleterre ? Car si Georges-Louis accède au trône, Sophie-Dorothée l’y accompagnera. Quelques-uns de ces princes pourraient se soucier de son sort ?

Cela semblait logique, pourtant il n’en fut rien. Même l’empereur fit savoir à la comtesse de Koenigsmark qu’il ne souhaitait pas intervenir dans une affaire familiale concernant seulement les duchés de Hanovre et de Celle, autrement dit deux frères. En réalité il n’avait pas la moindre envie d’indisposer le Hanovrien qui lui fournissait de si bons soldats lui permettant d’économiser le sang de ses sujets…

Au fil des jours, l’horizon s’assombrit…

L’arrivée soudaine de Loewenhaupt dans les premiers jours de septembre apporta une éclaircie en ressuscitant l’espoir. Frédéric-Auguste de Saxe, dès qu’il avait été mis au courant, écrivit en personne à son « cousin » une lettre fort sèche, réclamant le retour à Dresde de son major-général… Il en reçut une réponse qui le mit en fureur. Après les formalités d’usage, l’Electeur demandait avec grossièreté « qu’on ne lui cassât pas la tête avec cette histoire, que ledit gentilhomme était un libertin fieffé habitué à vivre dans la débauche et qu’on ne savait pas en somme ce qu’il était devenu ».

- Cette réponse a mis le prince hors de lui, expliqua l’époux d’Amélie. Il faut avouer qu’on n’est pas rustre à ce point ! Aussi a-t-il envoyé à Hanovre l’un de ses conseillers, le général Banner, pour exiger en son nom le « général de cavalerie saxonne comte de Koenigsmark » sous peine de représailles. Nous en sommes là pour l’instant. Banner est toujours à Hanovre où il se fait de plus en plus menaçant, réclamant au moins une enquête poussée sur une disparition aussi inexplicable.

- Dieu soit loué ! soupira Aurore en se laissant tomber dans un fauteuil. Nous avons enfin un défenseur !

C’était un tel soulagement que famille et serviteurs se rendirent ensemble à la chapelle pour chanter des psaumes à la gloire du Seigneur. Il ne restait qu’à attendre, avec confiance, le résultat de l’intervention saxonne. Frédéric-Auguste n’était-il pas, avec l’Electeur de Prusse et celui de Bavière, le plus puissant des princes allemands ? Et de tous il était le plus riche. Le spectre de la future couronne britannique ne l’impressionnait pas.

Une semaine durant ce fut la détente, le retour aux occupations préférées. Aurore retrouva son écritoire, mais pour le seul plaisir de laisser courir son imagination. Son clavecin aussi dont elle jouait en artiste. Un automne précoce s’installait, charriant des nuages et de la pluie, mais les deux sœurs n’en firent pas moins de longues promenades à cheval dans la campagne ou à pied dans le parc et au bord de la rivière. Puis le froid vint et des feux flambèrent dans les grandes cheminées de marbre auprès desquelles il faisait bon s’attarder, un ouvrage ou un livre dans les mains, en écoutant crépiter les bûches et en savourant ces derniers jours à Agathenburg où les Koenigsmark séjournaient seulement l’été. La mauvaise saison, les deux sœurs la passaient à Hambourg dans la belle demeure que leur avait léguée leur mère. Ses dimensions moins imposantes que celles du palais de Stade permettaient d’y vivre plus confortablement. Les fils d’Amélie y étaient nés et y avaient passé leur enfance avant d’être envoyés, avec serviteurs et gouverneurs, dans les domaines paternels de Suède selon la coutume des grandes familles. D’où ce désir de leur mère d’avoir une fille qu’on lui aurait laissée. Quant à Dresde, la comtesse de Loewenhaupt n’y séjournait pas souvent, son époux, comme presque tous les soldats au service d’un prince étranger, n’y possédant qu’une sorte de pied-à-terre convenant aussi bien à son besoin de se sentir libre qu’à une avarice certaine. Marié à une Koenigsmark fortunée, il trouvait normal qu'elle vécût les trois quarts du temps sur les domaines de la famille et en compagnie de sa sœur.

La bienheureuse semaine s’achevait à peine quand, un soir, alors que les deux sœurs s’apprêtaient à passer à table, le majordome vint annoncer qu’un cortège de quatre chariots bâchés et de trois cavaliers se présentait à la porterie du château, mais il n’eut pas le loisir d’en dire davantage : Michel Hildebrandt trempé comme une soupe surgit sur ses talons. Il faisait en effet un temps épouvantable. Le vent froid de la Baltique proche soufflait en tempête et l’on venait de fixer à un jour prochain le départ pour Hambourg :

- Je demande votre pardon, nobles dames, d’arriver ainsi sans avoir prévenu, mais on m’a contraint de quitter Hanovre dès que tout a été emballé et, vu le temps, j’ai pensé qu’il fallait marcher au plus vite. Nous ne sommes que trois pour protéger le convoi contre une mauvaise rencontre toujours possible.

- Vous n’avez pas à vous excuser, dit Aurore. Nous ramenez-vous les biens de notre frère ?

- Ses affaires personnelles. Heureusement que l’on m’a permis de les enlever avant la mise en vente !

- Comment cela, la mise en vente ? protesta Amélie. En admettant qu’il soit arrivé malheur au comte Philippe, c’est à nous qu’il appartient d’en décider ?

Une boule se noua dans la gorge d’Aurore :

- Cela veut-il dire qu’on le considère comme… mort ?

- Oui et non. Le bruit - discret ! - court d’un duel qui l’aurait opposé à un officier, le comte de Lippe, où il aurait eu le dessous…

Une série d’éternuements lui coupa la parole et apitoya la jeune fille :

- Mon pauvre ami ! Vous coulez comme une gouttière et l’on vous tient là à vous interroger ! Dépêchez-vous d’aller vous sécher, vous changer et boire quelque chose de chaud puis revenez ! Nous vous attendrons pour souper…

- Oh merci, merci infiniment ! Soyez tranquille pour le chargement, vos gens et les miens doivent l’avoir mis à couvert…

Quand il revint, sec et impeccable, les deux sœurs le laissèrent se restaurer avant le jeu des questions. Ce fut Aurore qui commença :

- Cette histoire de Lippe ne tient pas debout. Je le connais parfaitement : il était l’un des amants de la Platen, ce qui ne l’empêchait pas de me faire la cour. Il n’a jamais eu le moindre mot avec mon frère. En outre, un duel n’a jamais été un sujet de mystère. Si Philippe avait été tué on l’aurait rapporté chez lui et son vainqueur n’aurait pas pris la fuite. Et puis à quel propos, cette querelle ?

- Mme de Platen. Le comte Philippe lui serait revenu et la chose aurait déplu à Lippe.

- A cause de cette vieille garce ? s’insurgea Aurore. Mais si tous ceux qui l’ont eue devaient s’entretuer, la population mâle du Hanovre serait diminuée de moitié !

- Quoi qu’il en soit la cour de Herrenhausen s’en tient à cette explication. Le comte de Lippe a tué son adversaire et pris la fuite…

- … en emportant le cadavre ? Comme c’est vraisemblable !

- De toute façon, le comte Philippe n’aurait jamais dû revenir à Hanovre où il n’était plus souhaité. Ce qui est étrange, c’est que l’on ait su ce retour tant il a été discret : j’en suis témoin. Mais il fallait bien répondre quelque chose au général Banner qui montrait les dents au nom de l’Electeur de Saxe en train de perdre patience.

- Et il s’en est contenté ? s’étonna Amélie à son tour. Il aurait pu exiger que l’on cherche… et que l’on trouve Eberhardt de Lippe. Ce n’est pas un homme à se cacher. Surtout pour un duel.

- On s’en occupera plus tard, coupa Aurore. La maison maintenant ! De quel droit l’avoir vendue sans nous prévenir ?

- Les créanciers, Mademoiselle ! Et Dieu sait s’il y en avait !