Выбрать главу

- Cela, j’en réponds, coupa la duchesse. J’admets qu’il ait un air quelque peu empaillé, mais il pourrait vous réserver des surprises. Fiez-vous à lui.

Les choses étant ainsi réglées, la duchesse allait se retirer quand Aurore demanda la permission de poser une dernière question. Ce qui lui fut accordé.

- Votre Altesse sait-elle ce qu’il est advenu de Mlle de Knesebeck ? Je l’ai connue lorsque je tenais la maison de mon frère et… j’avais de l’amitié pour elle.

Elle n’ajouta pas qu’elles avaient servi, l’une comme l’autre, de boîtes aux lettres à ce grand amour que l’on venait de briser, mais il y avait une chance pour que la duchesse s’en doutât. Son regard, d’ailleurs, s’attarda un instant sur la jeune fille avec une immense tristesse :

- Ma pauvre filleule ! C’est bien à vous, comtesse, de vous en souvenir parce que c’est elle qui va payer le plus cher. Les juges de Hanovre l’ont chargée au maximum. Tout est sa faute Alors, détenue jusqu’à présent dans l’une des geôles de Leineschloss, elle doit être en route à cette heure pour la forteresse de Scharfeld où elle est condamnée à finir ses jours au secret.

- Scharfeld ? Où est-ce ?

- Dans le Harz. Non loin du mont Brocken sur lequel on dit que durant la nuit de Walpurgis se rassemblent les sorcières. C’est de cela qu’on a fini par l’accuser. Elle aurait empoisonné l’esprit de ma fille avec ses conseils perfides. Elle est le serpent qui, dans le jardin d’Eden, a incité Eve à la désobéissance fatale…

- C’est idiot ! remarqua la baronne. Jamais fille n’a eu besoin de conseils pour tomber amoureuse d’un beau garçon. Et ces gens ont vu de la sorcellerie là-dedans ? Ce serait à mourir de rire si ce n’était à pleurer !

- Ne riez pas ! Elle a échappé de justesse au bûcher ! Raccompagnez-moi à la voiture, baronne ! Je suis très lasse. Quant à vous, comtesse, j’espère vous revoir bientôt. Peut-être parviendrons-nous, en nous alliant, à adoucir le sort de ma pauvre enfant !

- Il n’y a qu’un seul remède à son mal : retrouver mon frère vivant ! Aidez-moi dans ce sens, Madame, et vous n’aurez pas de plus fidèle servante que moi…

- Dieu nous entende toutes deux !

Elle se signa rapidement puis, reprenant les fourrures qu’elle avait abandonnées en entrant, Eléonore de Celle s’en alla, raccompagnée jusqu’à sa voiture par Charlotte Berckhoff.

Quand celle-ci revint, ce fut pour annoncer à Aurore qu’Asfeld viendrait la chercher peu avant sept heures, lorsque s’ouvraient les portes de la ville. Puis elle demanda à sa visiteuse si elle souhaitait un chocolat chaud avant de se mettre au lit. Aurore refusa :

- En revanche, ajouta-t-elle, il me semble qu’un verre de cette eau-de-vie qui a si bien réussi à Son Altesse me ferait plaisir.

- Combien vous avez raison ! approuva la baronne en riant. Et si vous désirez le savoir j’en bois quelques gouttes chaque soir. Je n’en dors que mieux ! En outre, c’est un excellent moyen de sceller une amitié toute neuve. J’espère en effet que vous voudrez bien considérer à l’avenir cette maison comme la vôtre. En souvenir de cette chère Christine, votre mère !

Cette nuit-là, Aurore dormit comme un ange. Nécessité de réparer sans doute la fatigue d’une longue chevauchée mais aussi par cette qualité de sommeil que procurent la confiance et la certitude de s’abandonner entièrement au confort d’un lit amical… C’était tellement appréciable.

Le soleil levant - si l’on pouvait appeler ainsi la curieuse lumière jaunâtre étendue sur la triste campagne - la trouva trottant au côté de Nicolas sur la route de Hanovre. L’atmosphère, sans être franchement cordiale, s’était détendue entre eux. Visiblement, Asfeld était enchanté de servir de mentor « sine die » à son ami d’enfance Hugo de Mellendorf qui avait entrepris de visiter les diverses cours allemandes pour retrouver un cousin fantôme et se construire un destin convenant à un jeune homme de bonne souche mais de petite santé ce qui, surtout à Hanovre, représentait la meilleure parade contre les recruteurs d’Ernest-Auguste toujours prêts à enrichir leur cheptel d’une nouvelle unité. Aussi, sur le conseil de Charlotte Berckhoff, les belles couleurs d’Aurore se cachaient-elles à présent sous une couche de crème jaunâtre qui avec ses cheveux noirs et ses longs yeux qu’elle tenait à demi fermés lui conférait un curieux air asiatique. Cette fois, elle était à peu près méconnaissable.

Le vent soufflant dans le bon sens et le temps ayant consenti à rester sec, on atteignit Hanovre peu avant l’heure du souper mais, cette fois, Aurore n’hésita pas sur le chemin à prendre et les mena tous deux à la maison Stohlen où l’hiver étaient hébergées les troupes de comédiens assez courageux pour braver le froid, la neige et les mauvaises routes. Le plus souvent des Allemands qui, s’ils avaient l’honneur d’être appelés parfois au château, faisaient en général la joie des gens de la ville dans le théâtre accolé au Leineschloss voisin. Aux beaux jours venaient des comédiens français, très à la mode depuis que la princesse Palatine, Elisabeth-Charlotte nièce de l’Electrice Sophie, avait épousé le duc d’Orléans, frère de Louis XIV, et vivait dans le prestigieux Versailles. Ils donnaient alors leurs représentations dans le théâtre de verdure de Herrenhausen où ils étaient fort prisés. Surtout depuis que l’Electrice Sophie, en personne, s’était donné le plaisir de jouer Médée dans la pièce de M. Corneille.

Contrairement à ce qu’avait dit la duchesse de Celle, la maison Stohlen était vide. Ou à peu près. Il ne s’y trouvait que le couple Stohlen et le beau-père de Hilda, le vieux Thélonius qui, pris par le théâtre sur le tard - il était autrefois caviste au château -, s’y était jeté à corps perdu et faisait encore merveille dans les rôles de vieillard quinteux et atrabilaire. Au demeurant le meilleur homme du monde… Tous trois accueillirent les voyageurs avec un plaisir évident. Ils n’avaient rien à refuser à la baronne mais ne purent confirmer ce qu’avait annoncé la duchesse. Cela faisait des mois que personne n’était venu poser son sac chez eux, et l’hiver guère plus rude que d’habitude n’y était pour rien. La ville et ses princes étaient trop étroitement imbriqués pour que le drame des uns ne déteignît pas sur l’autre :

- Depuis que l’on sait la princesse héréditaire enfermée et son amant disparu, confia Hilda à Aurore tandis qu’elle la conduisait à sa chambre, celle-ci ayant demandé à se coucher tout de suite, nous n’avons reçu aucune troupe venant de France ou même d’Italie. En outre, cela fait maintenant deux mois que l’on ne voit plus non plus l’Electeur. Il est malade au point de ne plus assister aux revues militaires qu’il aime tant. C’est « Groin de… », je veux dire son fils, qui s’en charge et comme il passe ses nuits à boire avec sa Mélusine, il a toutes les peines du monde à se tenir à cheval… Ce qui fait d’autant plus mauvais effet sur les troupes qu’ici personne - et surtout pas les femmes ! - n’arrive à oublier le beau colonel de la Garde qui transformait ces revues en une véritable fête. Rien qu’à le voir dressé sur son splendide cheval noir dont les jambes fines dansaient sous lui, avec son sourire à belles dents blanches et les plumes de son chapeau que le vent ébouriffait, on se sentait fondre le cœur. Et maintenant il n’est plus là…

Aurore n’eut garde de laisser passer l’occasion :

- On ne sait toujours pas ce qu’il est devenu ?

- Ma foi non. On a dit toutes sortes de choses : qu’il s’était battu en duel et qu’il avait été tué, puis qu’il avait été surpris avec sa princesse par le mari qui l’aurait étendu raide mort. Comme si c’était possible : il avait une tête de plus que « Groin de cochon » et savait manier les armes. Mais, n’importe comment, il aurait fallu l’enterrer et il y avait l’envoyé du prince de Saxe qui faisait un bruit de tous les diables en réclamant au moins son corps. Finalement, on l’a officiellement déclaré « disparu ». Il se serait enfui avec une de ses maîtresses. Alors que la Platen le surveillait comme l’avare sa cassette !… Et puis maintenant ce drame : le divorce avec deux petits enfants qui n’ont pas vu leur mère depuis des mois ! On l’a renvoyée chez elle à ce qu’il paraît et moi je l’ai vue partir. Si on peut appeler ça voir : un carrosse aux mantelets baissés entouré de vingt cavaliers armés jusqu’aux dents. Alors, vous savez, ce genre d’atmosphère n’est guère propice aux divertissements…