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- Alors ? fit-elle seulement en prenant place dans le fauteuil que lui avançait sa suivante. Qu’avez-vous appris ?

Ce fut Aurore qui ouvrit le feu :

- Que le secrétaire vient d’être assassiné et que, de toute évidence, les joyaux que sa lettre annonçait à Lastrop ont trouvé refuge chez la Platen. Ce qui donne à penser que l’argent y est aussi. Je pense qu’elle a eu connaissance par l’un de ses nombreux espions de ce que préparait mon frère et, s’il est parti de Hanovre, le chargement n’a pas dû aller loin.

De sous les paupières rétrécies d’Eléonore de Celle, un éclair de colère s’échappa :

- Comment pouvez-vous en être sûre ?

- Hier soir, à la fête donnée au Leineschloss pour le duc de Hesse-Cassel, le rubis « Naxos » brillait sur la gorge de cette femme. Et, croyez-moi, Madame, je le connais parfaitement, la dernière fois que je l’ai vu…

L’émotion nouait sa gorge et une larme lui monta aux yeux. Ce qui eut le don d’agacer la duchesse…

- Ah, vous n’allez pas vous mettre à pleurer ! Racontez, Asfeld !… A moins que vous ne soyez vous aussi atteint de sensiblerie ?

- Aux ordres de Votre Altesse !

Le récit gagna sans doute en clarté mais, dépouillé de sentiment, il ressemblait davantage à un rapport militaire qu’à la relation romantique d’une aventure dont le danger n’était pas exclu. Aurore ne put s’empêcher de le lui faire remarquer :

- Vous chantez comme un ange, mon ami, mais vous racontez comme une commission d’enquête.

Nicolas s’empourpra mais n’eut pas le temps de protester. La duchesse s’écriait :

- Il chante ? Voilà qui est nouveau ! Et il chante quoi ?

- L’opéra, Votre Altesse… la romance, les… les chants de guerre, émit le malheureux devenu ponceau.

- Et comment se fait-il que nous ne le sachions pas ? s’indigna Eléonore remontée sur son trône par le truchement du pluriel de majesté.

- Parce que je ne pensais pas que cela pût intéresser Votre Altesse. C’est un mince talent de société. Ma mère trouvait que j’avais une voix agréable et m’a fait donner des leçons. Je chante surtout pour mes camarades de régiment… et à l’église… avec les autres ! Si j’ai mentionné ce fait à Peter Stohlen, c’est uniquement pour le tirer d’embarras. Le pauvre ne savait plus que faire. Avec ces gens de Hanovre, il faudrait posséder une baguette magique pour les servir comme ils l’entendent…

- C’est moi qui vous entendrai, mon garçon, et pas plus tard que demain ! Je verrai ensuite à vous faire détacher à mon service personnel. En attendant, continuez donc votre histoire, comtesse ! On en était au moment où vous rentriez chez les Stohlen pour leur faire vos adieux… et pas d’émotion superflue, je vous prie !

- Aux ordres de Votre Altesse. C’est justement là qu’intervint l’épisode du chant…

Et Aurore, prise par le jeu d’ailleurs, raconta comment s’était passée leur soirée sans omettre le moindre détail. Les deux femmes l’écoutèrent avec une attention passionnée mais, quand elle eut fini, la duchesse parut tomber dans une profonde rêverie. Accoudée à son fauteuil, le menton reposant sur la paume de sa main où scintillaient des améthystes et des diamants, elle fixait les flammes comme si elle en attendait une réponse. Les autres, osant à peine respirer, se gardèrent prudemment de la troubler. Cela dura si longtemps qu’Aurore, exténuée, faillit s’endormir. Un coup de coude de Charlotte Berckhoff l’en sauva au moment même où la duchesse revenait sur terre et s’adressait à elle :

- Que comptez-vous faire, à présent, comtesse Aurore ?

- Rentrer à Hambourg, s’il plaît à Votre Altesse.

- Je ne suis pas certaine, justement, que cela me plaise. Qu’y ferez-vous ?

- Discuter de ces choses avec ma sœur, Mme de Loewenhaupt, après quoi, je compte en appeler au nouveau prince-électeur de Saxe qui est le meilleur ami de mon frère pour le mettre au courant de ce que nous venons de voir.

- Qu’espérez-vous ? Qu’il déclare la guerre à Ernest-Auguste, aille assiéger Hanovre et passe à la question ceux qui ont trempé dans cette vilaine affaire ? Vous risquez de rester longtemps sans nouvelles car cela prendra un bon moment. Je pense qu’il devrait y avoir mieux à faire… Ma bonne Berckhoff, verriez-vous un inconvénient à garder Mlle de Koenigsmark près de vous pendant quelques jours ?

- Absolument pas ! Au contraire, répondit celle-ci avec un sourire à l’adresse de la jeune fille. A quoi pensez-vous, Madame la duchesse ?

- Je vous le dirai demain ! Venez au château après ma toilette et amenez cette jeune dame, en vêtements féminins s’il vous plaît ! Je vous fais confiance pour y remédier. Elle passera pour celle de vos femmes qui veille sur vous jusqu’à ce que votre jambe soit guérie. Un léger grimage suffira : peu de gens la connaissent ici. Sinon pas du tout, et mon époux ne sera pas rentré. Quant à vous, ajouta-t-elle en se tournant vers Asfeld, vous rentrez à vos quartiers mais attendez-vous à être appelé chez moi à tout instant. Si vous étiez de garde ce serait une bonne chose.

- C’est que je ne sais plus guère où en sont les tours de garde. Absent, Monseigneur a dû emmener du monde…

- Sans doute, sans doute ! C’est ce que nous verrons !

Elle repartit comme elle était venue, dans une sorte de tourbillon en rassemblant ses velours, ses fourrures et ses coiffes de dentelle, disparaissant aussi subitement qu’un fantôme mais laissant derrière elle un intense parfum de rose et de jasmin…

Aurore n’avait même pas eu le temps d’une révérence.

- Qu’a-t-elle dans l’idée ? demanda-t-elle.

- Avec elle on ne peut jamais savoir, fit la baronne en allant prendre le bras de son invitée. En attendant, venez dormir ! Vous en avez le plus grand besoin !

CHAPITRE VII

LA PRISONNIÈRE D’AHLDEN

Ce fut sans aucun plaisir qu’Aurore pénétra le lendemain dans la chambre de la duchesse. Elle en avait gardé un trop mauvais souvenir ! Pourtant l’atmosphère n’était plus la même. Le ballet des chambrières venait de s’achever autour d’Eléonore qui, assise à sa table de toilette s’examinait avec attention dans le miroir, prête à une immédiate critique mais non, tout était parfait. Autour de la « fontanges » de rubans violets et de dentelle empesée, les beaux cheveux argentés s’ordonnaient admirablement, laissant couler avec grâce deux longues boucles le long du cou.

- Alors, ma bonne Berckhoff ! Vous nous revenez ? s’exclama-t-elle en voyant paraître les deux femmes dont l’une s’appuyait d’une main sur une canne et de l’autre à l’épaule de sa compagne. Comment va cette jambe ?

- Comme Votre Altesse peut le voir. Il me faut encore du secours. Surtout avec tous ces escaliers ! soupira-t-elle.

- Que ne vous faites-vous porter par des laquais ? Ils sont là pour cela, que diantre ! Tenez, asseyez-vous et, vous, petite, restez à ses côtés. Puis d’un geste qui englobait la coiffeuse et les autres : « Merci, c’est impeccable. Je n’ai plus besoin de vous !… A l’exception d’Ilse toutefois ! »