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Aurore, elle, se désintéressait du débat. Elle regardait Dresde et s’en enchantait. Que cette ville, encadrée par les collines verdoyantes que l’on appellerait plus tard la Suisse saxonne, avait de charme ! Les alentours composaient un cadre romantique de rocs, d’eaux vives et de forêts à la riche cité encore défendue par de claires murailles au-dessus desquelles s’enlevait le vieux château-palais, le Residenzschloss, dominé par une tour si haute que la jeune fille ne se souvenait pas d’en avoir vu de telles3.

Amélie, de son côté, connaissait Dresde où elle avait séjourné à plusieurs reprises avec son époux. Elle donna donc à Gottlieb les indications nécessaires pour trouver la maison accordée par le prince à son général. Ce qui était la simplicité même puisqu’elle se situait au bord du fleuve et presque au pied de la résidence princière. Pas très vaste, elle était faite de pierre blanche, qui changea Aurore des étemelles briques foncées du Nord. Sa façade élevée à pignon étagé s’ornait de peintures en grisaille que le rouge vermillon du toit à double pente faisait ressortir avec élégance. Une cour, un jardinet et des écuries la complétaient.

Les voyageuses venaient de pénétrer dans leur nouvelle demeure, guidées par un certain Kempen qui semblait cumuler les fonctions de gardien et de majordome, quand Loewenhaupt fit son apparition dans tout l'éclat de son nouveau grade pour leur souhaiter une hâtive bienvenue : il était retenu ce soir au palais mais reviendrait les chercher le lendemain afin de les présenter à la mère et à la femme de l’Electeur ainsi que l’exigeait le protocole pour les dames appelées à la cour.

Lui toujours si compassé faisait preuve d’une fébrilité nouvelle. Après les avoir embrassées, conduites à vive allure à travers la maison et ramenées dans le salon principal où il leur précisa que Kempen se chargerait de leur présenter leurs nouveaux serviteurs, il s’apprêtait à s’esquiver quand Amélie, qui l’observait d’un œil d’abord surpris puis légèrement réprobateur, le saisit par sa manche :

- Un instant s’il vous plaît ! Vous voilà bien pressé.

- Je vous ai déjà dit, ma chère, que Son Altesse m’a accordé un moment pour venir vous saluer dès que nous avons été prévenus de votre arrivée mais que nous étions en plein conseil !…

- Cinq minutes de plus ou de moins ne changeront rien à l’affaire et je suppose que « Son Altesse » ne tient pas son regard fixé sur une pendule pour mesurer la durée de votre absence ?

- En… en effet, mais pourquoi tenez-vous tant à me retenir ?

- Pour vous dire que si je trouve cette maison charmante, je la trouve aussi un peu petite. Quatre chambres, ce n’est pas suffisant ! Et puisque vous êtes à poste fixe maintenant, je pensais faire venir les enfants ? Depuis le temps qu’ils sont chez les vôtres, ils finiront par ne plus reconnaître leur mère !

- Il n’est pas question de les faire venir actuellement. Quant à cette maison, mettez-vous dans la tête que nous avons de la chance de l’avoir. Sachez que Dresde compte quelque quarante mille habitants et qu’il en arrive de nouveaux chaque jour. Monseigneur envisage des travaux énormes pour l’embellissement de sa capitale et c’est la raison pour laquelle architectes et maîtres d’œuvre nous arrivent en nombre. Sans compter la noblesse de Saxe attirée par la réputation de faste et de générosité de notre prince. Alors estimez-vous heureuse qu’il vous donne cette « petite » maison ! Pas si petite d’ailleurs…

- Ah, vous trouvez ? On en logerait trois comme elle dans notre hôtel de Hambourg et je ne parle pas d’Agathenburg…

Frédéric s’approcha de sa femme, lui prit la main qu’il tapota gentiment avant de poser dessus un baiser rapide :

- Allons, prenez patience ! Vous verrez que vous finirez par la trouver très suffisante ! Cela dit, je vous prie de m’excuser ! Je viendrai vous chercher demain aux environs de quatre heures. Soyez prêtes et vous, ma chère sœur, faites-vous très belle !

- Pourquoi moi ? demanda Aurore qui peinait à reconnaître son beau-frère. Il me semble que pour aller saluer des princesses, les atours de votre femme sont aussi importants que les miens. En outre, nous savons ce qui convient !

Loewenhaupt rosit, ce qui était la façon de rougir chez cet homme au teint pâle et qui, dans les mauvais jours, virait au blême :

- Pardonnez-moi ! La langue m’a fourché ! Cela vient de ce que je suis préoccupé par trop d’idées. Naturellement je voulais vous recommander de briller de tous vos feux. Pour… pour l’honneur de la famille ! Sur ce, je vous donne le bonsoir.

Elles restèrent face à face, aussi perplexes l’une que l’autre.

- Qu’est-ce qui lui prend ? émit Aurore l’œil fixé sur la porte par laquelle venait de s’esquiver son beau-frère. Je ne l’ai jamais vu ainsi.

- Moi non plus, avoua Amélie, mais au fond il est peut-être simplement heureux de son avancement et de la faveur marquée que lui montre le prince à travers nous. C’est bien naturel !

- Pas au point de changer le sien. On dirait qu’il mijote quelque chose. Quant à savoir quoi ?

Mais Amélie, fatiguée, refusait de discuter plus longuement :

- Réfléchis tant qu’il te plaira mais moi, si tu veux le savoir, je vais faire avancer le souper et me jeter ensuite dans mon lit. Je suis rompue…

- Tu as raison. Demain il fera jour…

Comme promis, Frédéric ne reparut que le lendemain à l’heure dite, mais dans un carrosse de la Cour. Cependant, avant d’y faire monter « ses » femmes, il passa une sorte d’inspection qui eut le don d’agacer Aurore :

- Que vous arrive-t-il, mon frère ? Dirait-on pas que vous vous disposez à nous faire vendre au marché ?

- N’y voyez pas offense, ma sœur. La cour de Saxe est infiniment plus brillante et plus fastueuse que les autres, à l’exception peut-être de la Bavière. Il convient de se mettre à l’unisson… mais je dois avouer que vous êtes parfaites, mesdames, ajouta-t-il avec satisfaction.

Il n’exagérait pas. Elles avaient joué le contraste et l’effet était réussi : le gris tourterelle très doux enrichi de superbes dentelles de Malines convenait à la blondeur d’Amélie. Quant à Aurore : velours noir et satin blanc relevés d’agrafes de perles et de rubis du même rouge que ses mules de satin dépassant l’ourlet de sa robe, des bijoux identiques aux oreilles et dans son épaisse chevelure noire dont elle avait banni la « fontange » qui, selon elle, n’avait que trop duré dans la mode allemande. Aucun joyau ne venait rompre la ligne ravissante de son cou gracieux ni de sa gorge dont la blancheur était à elle seule une parure. Elle était à peindre.

Il suffit de quelques minutes pour les mener à la vaste cour d’honneur du Residenzschloss dont les dimensions surprirent Aurore. Bâti au temps de la Renaissance, il s’y ajoutait déjà la marque du temps présent et plusieurs ailes se rejoignaient pour composer un ensemble impressionnant de majesté et d’harmonie grâce aux « sgraffites », ces peintures en grisaille qui unissaient le tout, s’enroulant avec élégance autour de la tour d’escalier.