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- Elle m'aime !… Je vais, enfin, être heureux !

Et ce fut le début d’un grand, d’un magnifique amour sous l’égide attendrie d’Eléonore de Knesebeck. Celle-ci était une Hanovrienne sentimentale, fervente lectrice de romans d’amour et de chevalerie, et elle prit à tâche de faciliter les rencontres entre les deux amants - ils le furent assez vite ! - grâce à un escalier secret découvert par hasard et qui, comme par un fait exprès, menait de la salle des Chevaliers de Herrenhausen aux appartements de la princesse héritière…

Tant qu'elle resta chez son frère, Aurore lui apporta toute l'aide dont elle était capable. Dans cette cour le plus souvent malveillante, il fallait se méfier de tout et de presque tous. Ne pouvant se rejoindre aussi souvent qu'ils le voulaient, Sophie-Dorothée et Philippe s'écrivaient des lettres si tendres qu'on ne pouvait se résoudre à les brûler. Aurore d'un côté, Knesebeck de l'autre les enfermaient dans un coffret dont la clé ne les quittait pas. La jeune fille, en particulier, était sensible à cette passion à deux voix qui s'exprimait jour après jour. Lorsqu’elle était seule au logis, elle ne pouvait s'empêcher de les relire au point d'en savoir certaines phrases par cœur :

« Vous m'avez ensorcelée, écrivait la princesse, je suis la plus amoureuse des femmes. Je vous appelle à moi jour et nuit… Je tiens à vous par des liens trop forts et trop charmants pour pouvoir jamais les rompre et tous les moments de ma vie seront employés à vous aimer malgré tout ce qui voudrait s'y opposer… »

Et Philippe écrivait - Aurore lisait souvent avant de transmettre ! - « A deux heures j'ai reçu la fatale nouvelle que le prince Georges se trouve dans vos bras. Dans quel désespoir m'a mis cette arrivée… » Ou encore, avant de partir pour un combat : « Si mon destin me veut assez de mal d'être estropié d'un bras ou d'une jambe, ne m'oubliez point et gardez un peu de bonté pour un misérable qui a fait son unique plaisir de vous aimer… »

Cependant, si Philippe et Sophie-Dorothée avaient choisi d’oublier le monde, celui-ci ne les oubliait pas et, au premier rang, il y avait la comtesse de Platen.

Elle a très mal supporté de ne plus rencontrer son amant que dans des circonstances officielles ou dans les couloirs du palais. Son orgueil a subi là une rude attaque. La sagesse aurait voulu que Koenigsmark prît quelques gants avec elle, qu'il espaçât leurs rencontres sous des prétextes divers en jouant un jeu assez subtil pour ne pas éveiller la jalousie d’une aussi redoutable adversaire, mais il n’était pas homme à s'encombrer de ces subtilités et, de toute façon, il était tout ce que l’on veut sauf un diplomate. Il ne mit plus les pieds à Monplaisir… Et cela en dépit des inquiétudes d’Aurore qui lui conseillait la prudence.

N’ayant jamais mis en doute le pouvoir de ses charmes, la Platen ne se tourmenta pas tout de suite. Son amant avait trop de succès auprès des femmes pour ne pas s’offrir une « fantaisie » de temps à autre. L’important était qu’il revienne. Mais cette fois, il ne revint pas. Alors elle chercha et trouva. Quand on possède le pouvoir, les espions se recrutent aisément.

La première à faire les frais des frustrations de la dame fut Aurore dont elle était persuadée qu’elle jouait un rôle important dans les amours de son frère. Il ne fut pas difficile de s’en débarrasser : la beauté de la jeune fille prenait chaque jour plus d’éclat, attirant autour d’elle un cercle de plus en plus nombreux d’amoureux et même de prétendants dont, cependant, elle n’encourageait aucun. Et surtout pas l'époux de Sophie-Dorothée qui se prit soudain pour elle d’un vif intérêt. Ce fut le prétexte : la Platen prévint le duc Ernest-Auguste du « danger » que la jeune comtesse de Koenigsmark représentait pour le ménage de son fils et n’eut aucune peine à obtenir satisfaction. Simplement, il y mit les formes : l’Electeur eut un entretien avec son colonel des gardes et, sur un ton paternel, lui demanda comme un service de renvoyer sa sœur à Agathenburg sous un prétexte quelconque afin de « préserver la bonne entente entre l’héritier et sa femme ». Ce qui ne l’empêcha pas, pour faire bonne mesure, d’envoyer un émissaire signifier sa volonté à la jeune fille.

Personne - surtout Philippe qui savait à quoi s’en tenir sur l’état exact du ménage princier ! - ne fut dupe. Ce soudain souci d’épargner sa belle-fille chez un homme qui n’ignorait rien des relations de son fils avec Mélusine de Schulenburg aurait été risible s’il n’avait été inquiétant. Philippe et sa sœur le comprirent fort bien, et Aurore fit ses bagages pour rejoindre Agathenburg où « l’appelait Amélie victime d’un accident ».

Elle partit donc, à la fois furieuse et désolée, mais pas autant que Mlle de Knesebeck… Ne constituaient-elles pas, ensemble, la plus sûre protection des deux amants ?

- Que vais-je faire sans vous ? A qui faire tenir les messages ? Avec qui préparer les rendez-vous ?

A cela au moins, Aurore apportait une réponse. Son frère avait auprès de lui une jeune Hanovrien, Michel Hildebrandt, qui était son secrétaire. On pouvait d’autant plus se fier à lui que, vite attaché à Philippe, il exécrait en bloc la cour de Hanovre et ses princes tout en vouant à Mlle de Koenigsmark une admiration respectueuse proche de la dévotion. Navré de la voir partir, il trouva une petite consolation dans la mission de haute confiance dont elle l’investissait. Il savait presque depuis leur début à quoi s’en tenir sur les relations de son maître et de la princesse mais avait fait montre jusque-là d’une discrétion louable et dont Aurore, en lui recommandant de veiller à sa place sur son frère, le remercia. Puis, nantie des vœux de bon voyage parfaitement hypocrites de la bonne société, la jeune fille quitta Hanovre afin de rejoindre non le château familial mais Hambourg où les enfants de Christine von Wrangel possédaient une belle demeure et où Amélie se trouvait alors.

En embrassant Philippe avant de monter en voiture, Aurore avait certes les larmes aux yeux mais n’imaginait pas un seul instant que ce baiser serait le dernier…

- Pourquoi veux-tu absolument que ce soit le dernier ? s’insurgea Mme de Loewenhaupt, faisant ainsi comprendre à Aurore qu’elle venait de penser à voix haute. « A y réfléchir, le billet de Hildebrandt n’annonce pas sa mort. Il dit simplement qu’il a disparu depuis trois jours, et nous sommes là à nous désespérer comme si tout était fini ! C’est stupide !

- C'est pourtant ce que tu pensais quand nous avons reçu le message ? Au mieux, tu évoquais un cul-de-basse-fosse ! Qu’est-ce qui t'a fait changer d’avis ?

- La réflexion. Et peut-être aussi la prière. Nous deux connaissons Philippe, toi davantage que moi. Nous savons ses foucades, ses poussées d'enthousiasme, son goût de l’aventure…

- Pas depuis que lui et Sophie-Dorothée se sont retrouvés et ont pris conscience de leur passion mutuelle. Cet amour est devenu sa seule raison de vivre.

- Sans doute, mais nous aurons peut-être bientôt des nouvelles rassurantes. De quand date sa dernière lettre ?

- Il y a un mois, pendant que tu étais à Hambourg. Philippe m’a écrit de Dresde où il était retourné pour le couronnement de son ami Frédéric-Auguste, devenu duc-électeur de Saxe après la mort de son frère aîné4. Je ne te l’ai pas dit à l’époque, mais elle m’avait inquiétée autant que j’avais été soulagée de le savoir là-bas où il a reçu un accueil fraternel. Le nouvel Electeur lui a même offert un régiment avec le titre de major-général. J’avais espéré qu’il resterait en Saxe, mais ce dernier message m’enlevait toute illusion. Il m’écrivait qu’il repartait pour Hanovre et concluait par cette phrase : « Elle a besoin de moi autant que j’ai besoin d’elle »… Depuis, je te l’avoue, je ne vis pas tranquille.