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Les députés siègent depuis six heures du matin.

La voix tonitruante d’Hanriot, qui commande les gardes nationaux, résonne.

« Quand il parle, rapporte un observateur de police, on entend des vociférations semblables à celles des hommes qui ont un scorbut, une voix sépulcrale sort de sa bouche et, quand il a parlé, sa figure ne reprend son assiette ordinaire qu’après des vibrations dans les traits, il donne de l’œil par trois fois et sa figure se met en équilibre. »

« Je demande que le commandant général soit mandé à la barre et que nous jurions de mourir tous à notre poste », dit le Girondin Vergniaud.

« Le canon a tonné, répond Danton sous les applaudissements des députés montagnards et des citoyens des tribunes. Paris a encore bien mérité de la patrie… Il faut donner justice au peuple. »

« Quel peuple ? » crient les députés girondins.

« Quel peuple, dites-vous ? Ce peuple est immense, ce peuple est la sentinelle avancée de la République », réplique Danton.

Mais la journée s’étire sans qu’une décision soit prise. Les pétitionnaires se succèdent, réclament un décret d’accusation contre vingt-deux députés girondins, la création d’une armée révolutionnaire des sans-culottes dans toutes les villes, et la mise en place d’ateliers d’armes ! Le pain à trois sous la livre, la création d’ateliers-asiles pour les vieillards et les infirmes, un emprunt forcé de un milliard sur les riches, l’épuration du Comité de salut public…

C’est la confusion qui règne dans la salle de la Convention. Les sans-culottes siègent parmi les députés, les Girondins sont partis. Robespierre parle longuement :

« Concluez donc », lui lance Vergniaud.

« Oui, je vais conclure, et contre vous, répond Maximilien. Ma conclusion c’est le décret d’accusation contre tous les complices de Dumouriez et contre tous ceux qui ont été désignés par les pétitionnaires. »

Mais on ne vote pas. L’Assemblée décide qu’elle ira « fraterniser » avec les citoyens des sections en une promenade civique autour des Tuileries !

Il est dix heures du soir. On illumine au Palais-Royal. On boit. On chante.

« Quel imposant spectacle offre Paris, ce soir-là, écrivent Les Révolutions de Paris. Quelle leçon pour sept cents législateurs toujours divisés… C’est une espèce de fête nationale. »

En fait, le Comité central révolutionnaire et insurrectionnel, associé à la Convention, a échoué.

Et Marat le sait qui invite à recommencer, à aller jusqu’au bout :

« Levez-vous donc, peuple souverain ! s’écrie-t-il. Présentez-vous à la Convention, présentez votre Adresse et ne désemparez pas de la barre que vous n’ayez une réponse définitive ! »

Il est sept heures du matin ce dimanche 1er juin 1793. Des sans-culottes placardent la proclamation qui appelle à une nouvelle insurrection :

« Citoyens, restez debout ! Les dangers de la patrie vous en font une loi suprême. »

On se rassemble. Des bataillons de volontaires qui devaient partir pour la Vendée sont retenus à Paris. Il faut punir les traîtres ici, avant de s’en aller écraser la grande armée catholique et royale.

Aux Jacobins, les orateurs se succèdent à la tribune, devant un auditoire résolu qui crie : « Les Girondins à la guillotine ! »

« L’agonie des aristocrates commence… la Commune est debout, le peuple se porte à la Convention, vous devez vous y rendre. »

Déjà Hanriot rassemble les bataillons autour des Tuileries. On dit que plus de quatre-vingt mille sectionnaires contrôlent toutes les issues. Ils ne sont en fait que quinze mille mais cela suffit puisque soixante canons sont braqués sur la Convention.

Le tocsin sonne, à l’aube du lundi 2 juin.

Marat lui-même s’est, dit-on, glissé dans le beffroi de l’Hôtel de Ville et de sa propre main a tiré sur les cordes des cloches.

On envoie des sans-culottes occuper les sièges des journaux girondins, interdire leur parution et arrêter les journalistes.

Les députés sont en séance.

Parmi eux, des Girondins courageux, qui sont entrés à la Convention, en franchissant les barrages, en devinant dans le regard des soldats qu’ils pénètrent dans une souricière. Et l’un d’eux, Gensonné, avocat bordelais, qui avec Guadet et Vergniaud incarne le groupe des Girondins, murmure :

« Je ne me fais aucune illusion sur le sort qui m’attend, mais je le subirai sans m’avilir : mes commettants m’ont envoyé ici ; je dois mourir au poste qu’ils m’ont assigné. »

À deux heures, les sectionnaires, les pétitionnaires entrent dans la salle de la Convention.

L’un de leurs délégués déclare qu’il dénonce, au nom du peuple, les « factieux de la Convention ».

Il faut à l’instant, exige le « peuple », que l’on décrète d’accusation les vingt-deux députés girondins corrompus, traîtres à la patrie.

De la foule des sans-culottes, quelqu’un lance : « Ils sont vingt-neuf. » Et il ne faut pas oublier la femme, Manon Roland.

On menace : « Le peuple est las, sauvez-le ou il va se sauver lui-même. »

Pourtant les députés refusent de s’incliner, renvoient l’Adresse au Comité de salut public.

Alors les cris s’élèvent.

« Le peuple se sauvera lui-même ! Aux armes ! Aux armes ! »

Les troupes se mettent en rang, dans un grand bruit de pas et de crosses.

Les députés hésitent. Certains Girondins fuient. Un député lance :

« Sauvez le peuple de lui-même ; sauvez vos collègues, décrétez les arrestations provisoires… »

Barère propose que les députés dénoncés décident eux-mêmes de se suspendre volontairement.

« Je le déclare, dit Isnard, si mon sang était nécessaire pour sauver la patrie, sans bourreau, je porterais ma tête sur l’échafaud, et moi-même je ferais filer le fer fatal. »

La foule devient menaçante.

Les soldats mettent en joue les députés qui essaient de quitter la Convention.

Les sentinelles malmènent Boissy d’Anglas, député, médecin protestant de l’Ardèche et membre de la Plaine.

Les soldats le repoussent dans la salle, les vêtements déchirés.

À cinq heures du soir, les députés tentent de sortir solennellement, comme un corps constitué.

Ils sont trois cents, guidés par Hérault de Séchelles, magistrat de grande allure.

Hanriot à cheval lui fait face, méprisant et vulgaire.

« Que veut le peuple ? commence Hérault. La Convention ne veut que son bonheur. » « Le peuple, dit Hanriot, ne s’est pas levé pour entendre des phrases. Il veut qu’on lui livre vingt-deux coupables. »

« Qu’on nous les livre tous ! » crient les députés.

« Canonniers à vos pièces », hurle Hanriot.

Les députés refluent. Les soldats les refoulent, crient :

« Vive la Montagne ! À la guillotine les Girondins ! »

« Je vous somme, au nom du peuple, dit Marat qui se trouve à la tête d’un groupe de volontaires, de retourner à votre poste que vous avez lâchement déserté. »

Les députés hésitent, mais obéissent, rentrent dans les Tuileries, retrouvent leurs sièges, écoutent un discours de Couthon, qui leur demande de décréter l’arrestation, chez eux, des députés girondins.

« Donnez donc son verre de sang à Couthon, il a soif », lance un Girondin.

Il est neuf heures du soir. Le décret d’arrestation nomme vingt-neuf députés girondins.

Tous ceux-là, Lanjuinais, Rabaut, Vergniaud, Guadet, Isnard, Barbaroux, Pétion, Brissot, Gorsas, ont, depuis mai 1789, participé à toutes les actions révolutionnaires, fondant des clubs, s’opposant à la Cour lors des États généraux, préparant la journée du 10 août, montant à l’assaut des Tuileries.