Выбрать главу

Si les départements l’emportaient, « la France deviendrait la curée de cinq ou six princes étrangers ».

Aucun patriote ne peut l’accepter.

Et pour cela il faut – et c’est un modéré qui parle – « mettre fin à tant de débats insensés et furieux… et l’on ne parlera pas plus de Girondins que s’ils n’eussent jamais existé ».

Ces propos tombent comme le couperet de la guillotine. De mars à septembre 1793, le Tribunal révolutionnaire prononce de cinq à quinze condamnations à mort chaque mois.

5.

Les députés girondins en fuite, en ces premiers jours de juillet 1793, une jeune femme de vingt-cinq ans, Charlotte Corday, ne peut les ignorer.

Elle habite Caen depuis le printemps 1791. Elle est issue d’une famille de petite noblesse, et elle est l’arrière-petite-fille de Corneille. Elle s’est passionnée, peut-être à cause de cette ascendance, pour l’histoire de la Grèce et de Rome. Elle a aussi lu Jean-Jacques Rousseau et l’abbé Raynal. Elle a été séduite par leurs théories républicaines :

« J’étais républicaine bien avant la Révolution », confie-t-elle à ces députés girondins décrétés d’arrestation et qui se sont réfugiés à Caen.

Barbaroux, le Marseillais, Louvet, écrivain, auteur célèbre du roman des Amours du chevalier de Faublas, élu à la Convention par le département du Loiret, Pétion, l’ancien maire de Paris, sont de jeunes hommes éloquents, qui ont été des acteurs de premier plan des journées révolutionnaires.

Barbaroux a conduit les fédérés marseillais à l’assaut des Tuileries le 10 août 1792 ! Pétion a côtoyé les membres de la famille royale dans la berline qui les ramenait à Paris après leur tentative de fuite, et ses fonctions de maire en ont fait un personnage capital dans le déroulement des événements.

Charlotte Corday les écoute.

Ses deux frères ont émigré, et font partie de l’armée de Condé. Mais elle ne s’est dressée contre la Révolution qu’après les mesures prises contre les prêtres réfractaires.

Elle a été horrifiée par les massacres de Septembre, dont à ses yeux Marat a été l’un des instigateurs.

Cet homme est un monstre, juge-t-elle. Il ne respecte ni la vie, ni les lois. Il n’aspire à être qu’un despote sanguinaire. Et les 31 mai et 2 juin 1793, il a trahi la Constitution, bafoué la justice et piétiné l’espoir révolutionnaire, en faisant décréter l’arrestation des députés girondins.

Charlotte Corday les côtoie. Elle les admire pour leur courage, leur héroïsme.

Le 7 juillet, à Caen, Cours la Reine, elle est sur l’estrade devant laquelle défilent les volontaires qui constituent l’armée fédéraliste qui marchera sur Paris. Elle s’enthousiasme.

Elle n’aime pas le sourire ironique de Pétion, et de Barbaroux, quand elle déclare qu’elle veut combattre afin d’empêcher les monstres de massacrer des citoyens innocents.

Elle murmure qu’elle peut tuer un homme pour en sauver cent mille.

Cet homme, dont elle ne prononce pas le nom, car elle veut que son projet reste secret, c’est Marat le sanguinaire.

Le 9 juillet, elle se rend à Paris.

« Je comptais en partant de Caen, sacrifier Marat sur la cime de la montagne de la Convention nationale », dit-elle dans la lettre qu’elle adressera à Barbaroux.

Mais elle ne se confiera qu’une fois l’acte accompli.

À Paris, elle se présente au député Lauze du Perret, avec une lettre d’introduction de Barbaroux.

Le député lui apprend que Marat, malade, ne sort plus de chez lui. Et c’est tout le plan qu’elle avait conçu à Caen, d’un assassinat dans l’enceinte de la Convention, qui s’effondre.

Elle s’était préparée, après avoir « immolé » Marat, à « devenir à l’instant la victime de la fureur du peuple. » Que va-t-elle faire ? Elle est désemparée.

Le samedi 13 juillet, elle quitte tôt, entre six heures et six heures et demie, la petite pension où elle est descendue, et se dirige vers le Palais-Royal.

L’air est déjà brûlant.

En cette deuxième semaine de juillet, la chaleur est accablante. Dès le matin, la température dépasse trente degrés. On étouffe. Les établissements de bains sont pris d’assaut. On boit tant, qu’il arrive que la bière manque. Plusieurs théâtres même ont décidé de faire relâche à cause de la chaleur.

Et Charlotte Corday, qui d’un pas lent a parcouru dix fois les jardins du Palais-Royal, a le corps couvert de sueur.

Mais après cette longue marche de plus d’une heure et demie, elle n’hésite plus.

Dans l’une des petites rues voisines du Palais-Royal, elle achète un couteau.

Puis elle prend un fiacre et se fait conduire au 30 de la rue des Cordeliers où demeure Marat.

Ce même samedi 13 juillet, des nouvelles contradictoires parviennent à Paris.

Au Comité de salut public, on s’est d’abord félicité de la défaite de l’armée fédéraliste formée à Caen. Les volontaires commandés par le général de Wimpffen se sont dispersés après avoir été battus.

De même à Nantes, les Vendéens ont été repoussés et leur chef Cathelineau a été mortellement blessé. Charette et d’Elbée ont pris le commandement de l’armée catholique et royale.

À Valence, à Toulouse, à Montauban, les sociétés populaires, les sans-culottes, se sont réunis et ont proclamé leur adhésion à la Convention, refusant de se joindre aux girondins fédéralistes de Bordeaux, de Nîmes, de Marseille. Les départements du sud de la France ne formeront donc pas un bloc opposé à Paris et à la Convention.

Mais le Comité de salut public ne peut se réjouir longtemps.

Les critiques des Enragés et de Marat l’accablent.

Elles visent Danton, ce « turbot farci », dit Verdier, un Montagnard qui fustige les « endormeurs » du « Comité de perte publique », comme Marat qualifie le Comité de salut public.

Et « l’Ami du peuple » s’en prend à Danton qui « réunit les talents et l’énergie d’un chef de parti, mais dont les inclinations naturelles l’emportent si loin de toute domination qu’il préfère une chaise percée à un trône »…

Et Danton est exclu du Comité de salut public à l’occasion du renouvellement de ses membres.

Ils sont douze.

Parmi eux, il y aura Robespierre, Carnot, Jean Bon Saint-André, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Barère, et naturellement Couthon et Saint-Just.

Ils apprennent que Valenciennes ne peut plus résister longtemps aux troupes anglo-autrichiennes du duc d’York, et que la garnison de Mayence, assiégée, négocie sa reddition. Elle serait autorisée à capituler avec les honneurs de la guerre, en s’engageant à ne plus combattre hors du territoire français. Et les membres du Comité de salut public acceptent ces conditions, décident qu’elle sera envoyée dans l’Ouest contre les Vendéens.

Plus grave encore est la situation à Toulon.

La ville est « un nid de royalistes », de Girondins, de modérantistes, d’aristocrates. Et ils viennent de s’emparer du pouvoir, de chasser les Jacobins, d’emprisonner les patriotes.

Ils ont ouvert le port et la rade aux flottes anglaise et espagnole qui croisaient au large.

Les agents du Comité de salut public assurent que le comte de Provence veut gagner Toulon et faire de cette ville placée sous la protection des navires de la coalition la première parcelle du royaume de Louis XVII conquise.

Dans un rapport, Couthon annonce d’ailleurs qu’un complot dont le général Dillon – qui fut proche de La Fayette, combattit à Valmy et dans les Ardennes, et fut longtemps protégé par son ami Camille Desmoulins – serait l’âme vise à faire évader de la prison du Temple le « fils de Louis Capet », ce Louis XVII qui est l’espoir des aristocrates.