La décision est prise, le samedi 13 juillet, de « mettre en sûreté le fils de feu Louis Capet ».
Les gardes municipaux entrent dans la chambre où Marie-Antoinette et la sœur de Louis XVI, Élisabeth, se reposent en compagnie du dauphin et de sa sœur Madame Royale.
Ils annoncent qu’ils ont reçu mission de s’assurer du fils de Louis Capet.
Marie-Antoinette se précipite, hurle, couvre de son corps le dauphin, qui sanglote, hurle à son tour.
La reine se défend, se débat, ne cesse de résister que lorsqu’on menace de tuer son fils et sa fille.
Elle cède alors, et avec Élisabeth elle habille le dauphin, qui pleure et qu’on entraîne.
L’enfant parti, Marie-Antoinette n’est plus qu’une ombre désespérée, maigre silhouette brisée, serrée dans les vêtements noirs du deuil.
C’est ce même samedi 13 juillet 1793, que Charlotte Corday se présente au domicile de Marat, 30, rue des Cordeliers.
Elle monte une première fois rapidement jusqu’à l’appartement du publiciste. Mais elle n’est pas reçue.
On la voit redescendre du même pas leste, puis, après quelques minutes, elle revient, monte de nouveau, et s’éloigne après avoir essuyé un nouveau refus.
Elle rentre à sa pension, rédige une lettre pour Marat :
« Je viens de Caen. Votre amour pour la patrie doit vous faire désirer de connaître les complots qu’on y médite. J’attends votre réponse. »
Elle fait expédier la lettre aussitôt.
Puis elle erre dans la chaleur torride de cet après-midi de juillet.
Les heures passent.
Elle prend tout à coup conscience qu’elle n’a pas donné son adresse et que Marat ne pourra donc lui répondre.
Et une troisième fois, elle se rend chez Marat.
Elle dépose une nouvelle lettre dans les mains de Simone Évrard qui le matin l’avait rabrouée, assurant qu’elle ne serait jamais reçue par Marat.
Charlotte insiste. Elle s’emporte, parle fort à Simone Évrard pour que Marat entende. « Je suis persécutée, pour la cause de la liberté, dit-elle. Je suis malheureuse. Il suffit que je le sois pour avoir droit à la protection du citoyen Marat, l’ami du peuple. »
« Il est désagréable de n’être pas introduite », ajoute-t-elle.
Elle répète qu’elle a écrit, envoyé une lettre dans la matinée, qu’elle a des révélations à faire, des complots à dévoiler.
Marat la reçoit enfin.
Il est dans son bain. Elle s’assied près de la baignoire. Elle dicte à Marat des noms de conspirateurs. Et après quelques minutes – peut-être dix – elle poignarde Marat d’un coup dans la poitrine.
Grande douleur au sujet de la mort de Marat assassiné à coups de couteau par une garce du Calvados, titre Le Père Duchesne.
La « garce » ne sera pas lapidée comme elle l’avait imaginé.
« J’ai souffert des cris de quelques femmes », dit seulement Charlotte Corday.
On la conduit à la prison de l’Abbaye. Et elle est interrogée alors que l’on prépare les funérailles de Marat.
Le corps de l’« Ami du peuple » est embaumé les dimanche 14 juillet et lundi 15 au matin, puis exposé, torse nu, sur un lit élevé dans l’église des Cordeliers.
Cependant, devant le Tribunal révolutionnaire, Charlotte Corday répond aux questions de Fouquier-Tinville.
« Comment avez-vous pu regarder Marat comme un monstre, lui qui ne vous a laissé introduire chez lui que par un geste d’humanité, parce que vous lui aviez écrit que vous étiez persécutée ?
« Que m’importe qu’il se montre humain envers moi si c’est un monstre envers les autres », répond Charlotte Corday.
Dans la rue des Cordeliers, la foule s’est rassemblée. Des canons sont en batterie. Les femmes crient qu’il faudrait dévorer les « membres de la scélérate qui a ravi au peuple son meilleur ami ».
On a écrit sur la porte de la maison de Marat :
Peuple, Marat est mort. L’amant de la patrie
Ton ami, ton soutien, l’espoir de l’affligé
Est tombé sous les coups d’une horde flétrie.
Pleure, mais souviens-toi qu’il doit être vengé.
Les funérailles sont fixées au mardi 16 juillet. David est l’ordonnateur des cérémonies.
Mais seulement quatre-vingts députés suivent la dépouille de Marat qui est enterré dans le jardin des Cordeliers « au milieu du plan d’arbres. Sa fosse est maçonnée tout autour. Son cercueil de plomb est posé sur trois pierres et une autre par-dessus ; à côté est un pot à beurre où sont ses entrailles, de l’autre côté du petit baril où sont ses poumons. Tout cela est embaumé. Son cœur est encore suspendu à la voûte de l’église des Cordeliers. »
Puis le cercueil sera recouvert de terre et plus tard on élèvera un obélisque en face de la Convention.
Il portera l’inscription : « Aux Mânes de Marat, l’Ami du Peuple. Du fond de son noir souterrain il fit trembler les traîtres. Une main perfide le ravit à l’amour du peuple. »
Mais maigre cortège pour accompagner Marat.
« L’excessive chaleur », note un journal, a sans doute empêché le rassemblement considérable qu’on présumait. On tire le canon place du Théâtre-Français, puis après son inhumation. Mais la place et les rues sont déjà vides.
Une heure après minuit, la cérémonie commencée à dix heures et demie est terminée.
« Le lendemain mercredi 17 juillet un violent orage éclata. Une pluie torrentielle s’abattit sur la capitale. À six heures du soir, Charlotte Corday eut la tête tranchée. »
La veille, à Lyon, le Jacobin Chalier, qui fut maire de la ville, est guillotiné par les royalistes et les Girondins qui ont pris le pouvoir.
Et la crainte d’être assassiné, la peur de la victoire des aristocrates, et des vengeances qui s’ensuivront saisissent les conventionnels. Et d’abord les régicides.
Au club des Cordeliers où le cœur de Marat a été exposé, on le prie :
Cœur de Jésus ! Cœur de Marat !
Ayez pitié de nous
Recueillez-vous sans-culottes et applaudissez !
Marat est heureux ! Marat est mort pour la patrie.
On veut qu’il soit accueilli au Panthéon.
Robespierre s’y oppose.
« Ce n’est point aujourd’hui qu’il faut donner au peuple le spectacle d’une pompe funèbre. »
On sent Maximilien jaloux, comme si le souvenir de Marat l’enveloppait d’ombre.
« Les honneurs du poignard me sont aussi réservés », dit-il.
La priorité n’a été déterminée que par le hasard. Et il ajoute même : « Ma chute s’avance à grands pas. »
C’est l’aveu de la tension et de l’angoisse qui régnent en cette fin juillet 1793, quand la nation est assaillie de toute part, d’Angers à Valenciennes, par les Vendéens et les Anglo-Autrichiens, de Lyon à Toulon, par les aristocrates, les royalistes, les Girondins, les flottes anglaise et espagnole.
C’est en chevauchant vers Avignon, qu’un jeune capitaine-commandant de vingt-quatre ans, Napoléon Bonaparte, voit de la route qui traverse le département du Var les navires anglais et espagnols bombarder les forts de Toulon, tenus encore par les républicains.
L’officier d’artillerie Bonaparte est en garnison à Nice. Il va prendre livraison pour son armée – celle du général Carteaux – de munitions et de pièces d’artillerie, en Avignon.
Bonaparte s’impatiente. Il demande en vain à être affecté à l’armée du Rhin.
Il vient d’apprendre que la garnison de Mayence s’est rendue.
Dans l’attente d’une réponse, il veut mettre au point ses idées. Il les résume pour lui-même d’une phrase : « S’il faut être d’un parti autant être de celui qui triomphe, mieux vaut être mangeur que mangé. »