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Et on célèbre « l’incorruptible Robespierre, fondateur de la République ».

Maximilien, élu président de la Convention, silencieux, hiératique, répond que, membre du Comité de salut public, « contre son inclination », il y a vu « d’un côté des membres patriotes, de l’autre des traîtres. Depuis que j’ai vu de plus près le gouvernement, j’ai pu m’apercevoir des crimes qui s’y commettent tous les jours. »

Mais aux Jacobins, Danton et Hébert contestent la politique du Comité de salut public.

Danton s’enflamme à la tribune.

Il y a eu le 14 juillet 1789, dit-il, puis la deuxième révolution, celle du 10 août 1792.

« Il faut une troisième révolution ! »

On l’acclame.

Quelqu’un dont la voix domine le brouhaha crie :

« Ce que Marat disait était excellent ! Mais on ne l’écoutait pas ! Faut-il donc être mort pour avoir raison ? Qu’on place la Terreur à l’ordre du jour ! »

7.

En cette première semaine du mois de septembre 1793, le nom et l’exemple de Marat sont sur les lèvres et dans les têtes des ouvriers du bâtiment, et des fabriques d’armes, qui se rassemblent faubourg Saint-Antoine.

Les chaleurs d’un été torride étouffent encore Paris sous une brume moite et fétide.

Un sans-culotte, bonnet rouge enfoncé jusqu’aux sourcils, sabre au côté, est debout sur une borne.

Il agite un exemplaire du Père Duchesne, comme s’il s’agissait d’un drapeau rouge annonçant l’émeute, la fusillade et le massacre.

Il tonne. Il dénonce les accapareurs, les agioteurs, les gens suspects, les égoïstes, les hommes qui se sont enrichis depuis la Révolution, les pillards de la République, quels que soient leurs masques.

Et pendant que ceux-là s’engraissent et complotent, les citoyens, les patriotes ont faim.

Car les boulangers qui manquent de grain ne cuisent plus que deux fournées par jour !

Il faut exiger le maximum des prix, se rendre à l’Hôtel de Ville, à la Convention, imposer cette mesure.

Et Chaumette, le procureur de la Commune, est prêt à soutenir les vœux des sans-culottes.

« Eh, moi aussi j’ai été pauvre, a-t-il répondu à une députation, et par conséquent je sais ce que c’est que les pauvres.

C’est ici la guerre ouverte contre les pauvres ! Ils veulent nous écraser, eh bien il faut les prévenir, il faut les écraser nous-mêmes, nous avons la force en main ! »

On applaudit la déclaration de Chaumette.

On écoute le sans-culotte lire l’article d’Hébert. On l’interrompt souvent pour l’approuver.

« Marat ! Je profiterai de tes leçons. Oui, foutre, ombre chérie, je te jure de braver toujours les poignards et le poison et de suivre toujours ton exemple. Guerre éternelle aux conspirateurs, aux intrigants, aux fripons ! Voilà ma devise, foutre !

« Tiens ta parole, m’a dit le fantôme de Marat ! Oui, foutre, je la maintiendrai, nous la maintiendrons ! »

Il vocifère, sort son sabre, gesticule, fend l’air de grands coups de lame, vocifère encore.

« Pour les accapareurs, sangsues impitoyables, engraissées de la substance du peuple, point de quartier, point de retard et de suite à la guillotine ! »

« À la guillotine », reprend la foule.

« Pour les agioteurs : la guillotine.

« Pour les gens suspects, l’heure du lever du peuple est celle de la mort : à la guillotine !

« Pour les égoïstes : voici le chemin des frontières et de la défense de la patrie, ou celui de la place de la Révolution où vous attend la guillotine !

« Et pour les fripons, la guillotine. »

« La guillotine ! La guillotine ! » scande la foule.

À la Convention, au club des Jacobins, on ne veut pas, on ne peut pas rompre avec le peuple des sans-culottes.

On sait qu’il se prépare pour le 5 septembre, avec Chaumette et Jacques Roux, qui a été libéré de prison, avec Hébert et l’Enragé Leclerc, un grand rassemblement devant la Convention.

Et comment l’Assemblée pourrait-elle résister à ces sans-culottes qui vont se présenter et l’investir en armes ?

Robespierre à la tribune des Jacobins leur a déjà donné raison :

« Le peuple réclame vengeance, elle est légitime. Et la loi ne doit point la lui refuser ! »

Et Barère à la Convention a rappelé la situation de la patrie. « Jamais l’armée n’a été en plus fâcheux état de désorganisation. »

Ce sont les mots mêmes de jeunes officiers sortis du rang, patriotes, tels que Jourdan et Soult, Berthier, Bonaparte ou Carnot, membre du Comité de salut public.

Et Barère poursuit :

« La République n’est plus qu’une grande ville assiégée… Ce n’est pas assez d’avoir des hommes… Des armes, des armes et des subsistances ! C’est le cri du besoin ! Des armes, des manufactures de fusils et de canons, voilà ce qu’il nous faut pendant dix ans ! »

Le 5 septembre, la foule envahit la Convention. Les députations des sections se succèdent à la tribune, menacent ceux qui tardent à frapper avec le couperet de la loi, interrogent brutalement les députés :

« A-t-on livré aux tribunaux révolutionnaires les ministres perfides, les agents du pouvoir exécutif qui n’ont pas étouffé, dès le principe, le noyau de contre-révolution dans les départements de l’Ouest et du Midi ? »

« A-t-on puni les traîtres ? Non ! »

« Et nous sommes trahis partout, foutre ! »

On dit qu’un complot se trame pour faire évader la veuve Capet. On a trouvé sur elle un billet, qu’un visiteur avait glissé dans un œillet et auquel elle a répondu, en perçant à l’aide d’une aiguille un morceau de papier, en écrivant ainsi qu’elle ne perdait pas espoir !

« Et les traîtres restent impunis, foutre ! Pas un conspirateur n’a mis “la tête à la fenêtre” [dans la lunette de la guillotine], n’a été raccourci. On n’a jugé jusqu’à présent que les valets et les maîtres se sont échappés ! » On compte mille cinq cent quatre-vingt-dix-sept détenus dans les prisons de Paris, et ces aristocrates corrompent leurs gardiens, paient en numéraire le pain et les chapons, le vin et leur libération !

« À la fenêtre leur tête !

« Une misérable cuisinière s’est avisée de crier : “Vive le Roi !” Le lendemain elle a été raccourcie, c’est bien fait, elle le méritait, foutre ! Mais pourquoi, citoyens jugeurs, n’expédiez-vous pas aussi promptement les grands scélérats ? Pourquoi cet infâme Brissot, le plus cruel ennemi de la patrie, celui qui nous a mis aux prises avec toute l’Europe, qui a causé la mort de plus d’un million d’hommes, qui avait la patte graissée par tous les brigands couronnés pour mettre la France à feu et à sang, pourquoi foutre, ce monstre vit-il encore ? »

On réclame la mort pour la veuve Capet, pour les députés girondins proscrits, pour le général Custine, accusé de trahison, pour Barnave, le Feuillant, pour le ci-devant Philippe Égalité, duc d’Orléans.

On veut que « la Sainte Guillotine aille grand train tous les jours ». Et Hébert, qui conduit les sans-culottes, répète, commande :

« Législateurs, placez la Terreur à l’ordre du jour ! »

Et à la fin de cette journée du 5 septembre 1793, Barère, au nom du Comité de salut public, monte à la tribune de la Convention et déclare, reprenant mot à mot les exigences des sans-culottes et les propos d’Hébert :

« Plaçons la Terreur à l’ordre du jour, c’est ainsi que disparaîtront en un instant et les royalistes et les modérés, et la tourbe contre-révolutionnaire qui vous agite.

« Les royalistes veulent du sang ? Eh bien ils auront celui des conspirateurs, des Brissot, des Marie-Antoinette. »