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Alors : « Il faut que la grande famille des Français ne soit plus qu’une armée, que la France ne soit plus qu’un camp où l’on ne parle que de la guerre, où tout tende à la guerre, où tous les travaux n’aient pour objet que la guerre. »

Mais la guerre exige la traque de l’ennemi et de ses complices, installe le règne du soupçon, la crainte – et la réalité – des conspirations, des trahisons. Et donc la mort qu’on donne et qu’on magnifie :

Mourir pour la patrie

Est le sort le plus beau

Le plus digne d’envie.

Danton s’écrie : « Ô Le Peletier, ta mort servira la République ! Je l’envie, ta mort ! »

Robespierre, dans un discours aux Jacobins, le 13 mars 1793, s’écrie, alors que la situation militaire devient difficile, que les contre-attaques autrichiennes obligent les armées de Dumouriez qui étaient entrées en Hollande à reculer en Belgique :

« Nous saurons mourir, nous mourrons tous ! »

Marat lui répond aussitôt :

« Non, nous ne mourrons point, nous donnerons la mort à nos ennemis et nous les écraserons. »

Et Danton exalte lui aussi l’unité :

« Maintenant que le tyran n’est plus, tournons toute notre énergie, toutes nos agitations vers la guerre… Citoyens, prenez les rênes d’une grande nation, élevez-vous à sa hauteur… »

C’est un « duel à mort » qui s’engage.

Le marquis de La Rouerie, qui avait échoué au mois d’août 1792 à soulever les départements de Bretagne et du Poitou, pour sauver le roi, meurt d’une « fièvre cérébrale » en apprenant l’exécution de Louis XVI. On saisit des papiers dans le château de La Guyomarais – Côtes-du-Nord – où le marquis s’était réfugié, et ses proches sont arrêtés.

Avec la mort de La Rouerie, il n’y a plus d’organisation royaliste ni dans l’Ouest ni dans le reste de la France.

Mais le danger est aux frontières.

Mercy-Argenteau, l’ancien ambassadeur autrichien, écrit :

« Ce ne sont ni une ni plusieurs batailles gagnées qui réduiront une nation, laquelle ne peut être gagnée qu’autant que l’on exterminera une grande portion de la partie active et la presque totalité de la partie dirigeante. Faire main basse sur les clubs, désarmer le peuple, détruire cette superbe capitale, foyer de tous les crimes, de toutes les horreurs, provoquer la famine et la misère, voilà les déplorables données de l’entreprise à remplir. »

Et le directeur général des Affaires étrangères de Vienne, le baron von Thugut, ajoute qu’il est « essentiel qu’il y ait des partis en France qui se combattent et s’affaiblissent mutuellement »…

Ils existent, et donnent libre cours à leur haine réciproque.

Pourtant Maximilien Robespierre, le 5 février, en appelle à la mesure :

« Ne perdons jamais de vue que nous sommes en spectacle à tous les peuples, que nous délibérons en présence de l’univers. Nous devons nous tenir en garde contre les écarts même du zèle le plus sincère. »

Mais lui-même, après cet éloge de la mesure, attaque avec violence les Girondins, et ceux-ci dans le journal de Brissot, Le Patriote français, lui répondent, se moquant de cet « Incorruptible », qu’ils décrivent, en quelques vers, arrivant au Paradis :

Suivi de ses dévots

De sa cour entouré

Le Dieu des sans-culottes

Robespierre est entré.

Je vous dénonce tous, cria l’orateur blême

Jésus ! Ce sont des intrigants :

Ils se prodiguent un encens

Qui n’est dû qu’à moi-même.

Maximilien n’oubliera pas ces blessures d’amour-propre, d’autant plus vives qu’elles aggravent les divergences politiques profondes qui séparent Montagnards, Girondins et Enragés.

Robespierre s’oppose à Brissot, à Roland, à Buzot, cet avocat d’Évreux élu par le tiers état et qui fut proche de Robespierre au temps des États généraux. Mais que 1789 paraît loin ! Buzot est tombé sous le charme de Manon Roland.

Lors du procès de Louis XVI, il a voté pour l’appel au peuple, et pour le sursis. Il est l’ennemi déclaré de Marat, dont il demande l’expulsion de la Convention : « Marat, cet homme impur ; dans nos départements on bénira le jour où vous aurez délivré l’espèce humaine d’un homme qui la déshonore… »

Ceux des citoyens qui ne sont pas enrôlés dans l’un ou l’autre camp regardent avec inquiétude, et même effroi, cette guerre qui déchire ceux qui jadis étaient unis.

« Nous avons maintenant deux sortes de Jacobins et de patriotes qui se haïssent aussi cruellement que les royalistes et les Jacobins originaux », constate, amer et accablé, Ruault ce libraire qui précisément fut jacobin, dès les débuts du club.

« La dernière espèce de Jacobins s’appelle Girondins ou brissotins ou rolandistes. Mais la haine va toujours croissant entre les deux partis. »

À Paris, explique Ruault, « la faction des anciens Jacobins paraît la plus forte. Elle entraîne avec elle tout le menu peuple, pour ne pas dire la populace qui est aujourd’hui un mot proscrit et imprononçable publiquement. »

Dans chaque section, une « réserve soldée » – payée par la Commune – d’une centaine d’hommes, toujours les mêmes, fait la loi. Ils sont quatre ou cinq mille « tape-dur », dans la capitale. Plus d’un millier d’entre eux se retrouvent dans les tribunes de la Convention, et ponctuent les discours de leurs menaces, orientant les débats, pesant sur les votes des députés.

Un témoin anglais – Moore –, effaré et effrayé devant cette situation, conclut que l’égalité entre les départements n’existe pas.

Par la pression de l’émeute, Paris fait la loi à la Convention et à toute la France.

Le « peuple souverain » se réduit bien souvent à ces « milliers de tape-dur », dont on soupçonne qu’ils sont « dirigés secrètement par un petit nombre de démagogues ».

Danton dénonce « un tas de bougre d’ignorants n’ayant pas le sens commun, et patriotes seulement quand ils sont soûls. Marat, ajoute-t-il, n’est qu’un aboyeur, Legendre n’est bon qu’à dépecer sa viande… »

Mais ces sans-culottes composent les comités de surveillance, qu’ont créés les sections et qui procèdent aux visites domiciliaires, interrogent les « suspects ». Et qui ne l’est pas ?

« Il est difficile, il est dangereux, à un patriote, à un républicain de bonne foi et qui a des principes sages et modérés de se montrer, de parler même en société », écrit le libraire Ruault.

Selon lui, la mort du roi a divisé les Parisiens.

« Si on la blâme devant des gens qui l’approuvent, ce sont des cris de fureur, des rages qui engendrent des haines entre amis et parents et vice versa. »

« Le même désordre est entre les patriotes : êtes-vous ancien jacobin, vous ne pouvez parler devant un Girondin sans que l’aigreur se manifeste tout à coup. »

Ruault est persuadé qu’un « tel état social ne peut durer longtemps ; un parti écrasera l’autre et mettra le reste à l’unisson ».

Il est fasciné par l’évolution de ces hommes qu’il a connus avant que la passion politique et la haine ne les entraînent.

Ainsi le baron allemand Jean-Baptiste Cloots, qui, jadis doux, honnête, généreux, se fait désormais appeler Anacharsis Cloots, a inventé le mot « septembriser ».

Il a qualifié les massacres de « scrutin épuratoire dans les prisons ».

Député à la Convention, il se présente comme l’« Orateur du genre humain ». Il est suivi par une véritable cour de parasites qui vivent de son immense fortune. « Il faut l’écouter et ne pas le contredire. Ce serait peine perdue d’entreprendre de le guérir de sa furie ; ils sont par centaines de cette force dans la Convention. »