Et les premiers succès remportés, contre les Anglais à Hondschoote le 8 septembre par le général Houchard, la capitulation de Bordeaux, où les représentants en mission Tallien et Ysabeau organisent la terreur contre les aristocrates et les fédéralistes girondins, et le siège de Lyon, la grande ville contre-révolutionnaire dont la chute ne saurait tarder, semblent montrer que la répression, la dureté impitoyable paient.
Le Comité de salut public, chaque jour, grâce au télégraphe optique de Claude Chappe qui relie les grandes villes de France à Paris, peut établir un état de la situation d’un bout de la nation à l’autre.
En Vendée, l’armée de Mayence commandée par le jeune général Kléber et le général Marceau engage le combat contre les Vendéens et défait à Cholet la grande armée catholique et royale.
Elle n’est pas détruite. Elle passe la Loire à Saint-Florent dans l’espoir de gagner la côte vers Granville, de faire sa jonction avec – on l’espère, on le rêve – des corps de débarquement anglais et émigrés.
Barère à la tribune de la Convention répète :
« La Vendée, et encore la Vendée ! Voilà le chancre politique qui dévore le cœur de la République ! C’est là qu’il faut frapper. »
Ils sont quarante mille Vendéens, accompagnés d’autant de femmes et d’enfants, à tenter d’échapper, dans « cette virée de Galerne » aux Bleus.
Dans la foule se trouvent quatre ou cinq mille prisonniers républicains qu’on commence à massacrer, puis qu’on épargne par peur des représailles.
L’armée catholique et royale marche donc vers le nord, commandée désormais par La Rochejaquelein.
Et le représentant en mission, Carrier, arrive à Nantes, pour épurer ce pays chouan.
Le garrot s’est donc un peu desserré autour du cou de la nation. Le général Jourdan et le représentant en mission Carnot ont remporté le 16 octobre la victoire de Wattignies, sur les Autrichiens qui lèvent le siège à Maubeuge.
Reste Toulon, livrée aux Anglais et aux Espagnols.
Le jeune capitaine Napoléon Bonaparte vient d’être désigné par les représentants en mission Saliceti et Gasparin, pour prendre le commandement de l’artillerie dans l’armée du général Carteaux qui assiège le grand port.
Il faut arracher cette tumeur comme on a commencé d’éradiquer le chancre vendéen.
Et il faut pour y parvenir montrer qu’on est impitoyable.
On va juger les députés girondins, arrêtés le 2 juin. Mais cela ne suffit pas. Le 3 octobre, Billaud-Varenne, au nom du Comité de salut public, monte à la tribune.
« La Convention nationale, dit-il, vient de donner un grand exemple de sévérité aux traîtres qui méditent la ruine de leur pays. Mais il lui reste encore un décret important à prendre. »
Il s’interrompt et, dans le silence pesant qui s’est établi, il poursuit, détachant chaque mot :
« Une femme, la honte de l’humanité et de son sexe, la veuve Capet, doit expier enfin ses forfaits sur l’échafaud. »
Billaud-Varenne énonce déjà le verdict avant que le procès ait commencé.
Il explique que des rumeurs assurent que Marie-Antoinette a été blanchie par le Tribunal révolutionnaire.
« Comme si une femme qui a fait couler le sang de plusieurs milliers de Français pouvait être absoute par un jury français ! Je demande que le Tribunal révolutionnaire se prononce cette semaine sur son sort ! »
Et comment, alors qu’on exhume les ossements des rois pour les réduire en cendres, pourrait-on accepter que survive, fût-ce emprisonnée, « la louve autrichienne » ?
Marie-Antoinette n’est plus qu’une femme malade, sujette à des hémorragies répétées, enfermée dans l’ancienne infirmerie de la Conciergerie dont on a obturé toutes les issues.
L’accusateur Fouquier-Tinville, le substitut du procureur Hébert, le président du Tribunal Herman interrogent le dauphin.
Son gardien le cordonnier Simon l’a surpris à se masturber. Et l’enfant accuse sa mère, sa tante Élisabeth, de lui avoir enseigné ces pratiques. Il couchait entre elles, dit-il.
« Il nous a fait entendre qu’une fois sa mère le fit approcher d’elle, qu’il en résulta une copulation et un gonflement à l’un de ses testicules pour lequel il porte un bandage et que sa mère lui a recommandé de ne jamais en parler… Que cet acte a été répété plusieurs fois de suite. »
À l’audience, la reine est assistée d’un avocat nommé d’office, maître Chauveau-Lagarde.
C’est Hébert qui l’accuse d’inceste, en rappelant la déposition du dauphin.
Marie-Antoinette ne répond pas mais un des jurés insiste pour qu’elle s’explique.
« Si je n’ai pas répondu, dit-elle, c’est que la nature se refuse à répondre à une pareille inculpation faite à une mère. J’en appelle à toutes celles qui sont ici. »
La voix de cette femme aux cheveux blancs, aux traits affaissés, mais au port de tête droit, est digne. Et l’émotion, la compassion, la honte saisissent le public avide qui se presse dans la salle.
L’on suspend les débats.
En fait, le verdict a été rendu avant même que le procès s’ouvre. Marie-Antoinette est accusée d’avoir été « l’instigatrice de la plupart des crimes dont s’est rendu coupable ce dernier tyran de France, Louis Capet ».
Elle est condamnée à mort.
Elle rentre à la Conciergerie, vers quatre heures trente du matin ce mercredi 16 octobre 1793.
Elle n’a que le temps d’écrire une lettre à sa belle-sœur, Élisabeth.
« Je viens d’être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère, comme lui – innocente.
« Je suis calme comme on l’est quand la conscience ne reproche rien, j’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants, vous savez que je n’existais que pour eux… »
On ne la laissera même pas se changer de linge sans témoin. Le bourreau, Samson, lui attachera les mains derrière le dos et coupera ses cheveux, puis, liée à lui par une longue corde, il la fera monter dans une charrette.
Elle se tient droite, tête un peu levée, mèches en désordre s’échappant de son bonnet.
Elle refuse de parler au prêtre constitutionnel qui l’accompagne. Et elle ne se confessera pas.
La foule immense contenue par trente mille soldats crie : « Vive la République ! À bas la tyrannie ! Mort à l’Autrichienne ! »
En montant à l’échafaud, d’un brusque mouvement de tête, Marie-Antoinette fait tomber son bonnet.
Et Samson montrera sa tête ensanglantée au peuple ce 16 octobre 1793, à midi et quart.
La foule crie : « À bas ! À bas ! », « Vive la République ! ».
« Cette sottise prolongée a tout troublé », note le journaliste Goffroy, qui se prétend lui aussi héritier de Marat et de son Ami du peuple.
D’autres journaux reviennent sur le procès, les accusations d’inceste.
« Les regards de l’Autrichienne étaient arrogants et non pas tranquilles. Elle a répondu d’un ton dramatique et a fait même une interpellation aux mères de famille. Elle a rougi d’abord à ces reproches d’inceste, mais l’on voyait facilement sur son visage que la cause de cette rougeur était en effet non pas de la pudeur ou de l’innocence mais du désagrément d’être découverte. »
« Ses flatteurs n’en ont même pas été dupés. »
Alors qu’elle meure !
« Seuls quelques esprits faibles parurent douloureusement affectés de l’exécution de la veuve Capet, en ne la considérant que sous le titre de mère et de femme malheureuse, lit-on dans Les Révolutions de Paris. Mais comme reine de France, tout le monde s’accordait à convenir de la justice du trop doux châtiment qu’elle subissait. »