Выбрать главу

Et il est vrai que, dans le froid humide de l’automne et de l’hiver 1793, le peuple est épuisé, morne, affamé.

Des queues interminables se forment aux portes des boutiques encore closes.

« Comment, tonnerre de Dieu, nous ne mettrons pas à la raison les riches, ces égoïstes infâmes, ces accapareurs, tous ces scélérats qui affament le peuple ! écrit Hébert. C’est un parti pris de nous faire périr de froid et de faim…

« Affameurs du peuple, craignez son désespoir !

« Il faut en finir foutre ! Ventre affamé n’a point d’oreilles ! » tempête Hébert.

« La misère est à son comble ! Nos subsistances sont entre les mains des contre-révolutionnaires. Dans tous les départements les sans-culottes languissent. Eh bien, foutre, que les sans-culottes se lèvent, qu’ils s’emparent de tous les propriétaires, des gros fermiers accapareurs, qu’ils les menacent de leur faire perdre à eux-mêmes le goût du pain, si la disette continue.

« Bientôt, foutre, le blé abondera dans les marchés et nous vivrons. »

Que veulent ces hébertistes, ces Enragés ?

Imposer leurs méthodes ? Leurs solutions ?

« Le bonnet rouge en tête, la pique en main, le poignard au côté, lit-on sur un placard apposé sur les murs de Paris, jurez sur l’autel de la patrie de ne vous reposer que lorsqu’elle aura triomphé de tous ses ennemis.

« Prouvez par les faits que ce n’est plus la terreur qui est à l’ordre du jour, mais le glaive vengeur des lois, et la guillotine consacrée par la justice céleste. »

Mais ce sont les mêmes qui, comme Fouché à Nevers, font inscrire sur la porte du cimetière : « La mort est un sommeil éternel. »

Ce sont les mêmes qui, athées, rejettent l’idée de l’Être suprême, en présence duquel a été proclamée la Déclaration des droits de l’homme.

Robespierre s’insurge.

« Tout meurt, dit-il, les héros de l’humanité et les fripons qui l’oppriment, mais à des conditions différentes. »

Il n’approuve pas cette déchristianisation, qui balaie la nation.

On a déposé le corps de Descartes au Panthéon. Soit ! C’est le règne de la raison.

Mais le conventionnel Gilbert Romme a fait adopter un calendrier révolutionnaire.

L’année, qui commence le 22 septembre – jour anniversaire de la proclamation de la République –, est divisée en douze mois de trente jours, plus cinq ou six jours complémentaires, et chaque mois se compose de trois décades de dix jours.

Et les noms des mois, proposés par Fabre d’Églantine, évoqueront les saisons : vendémiaire, brumaire, frimaire pour l’automne. Pour l’hiver nivôse, pluviôse, ventôse. Pour le printemps germinal, floréal, prairial. Pour l’été messidor, thermidor, fructidor.

Robespierre écrit sur son carnet : « ajournement indéfini du décret sur le calendrier ».

Il craint que ces déchristianisateurs ne soient des « fripons stipendiés ».

Leurs mesures extrêmes – le conventionnel Rühl brise la Sainte Ampoule dans la cathédrale de Reims ; les presbytères sont donnés aux écoles et aux pauvres ; on change le nom des villes : Saint-Malo devient Port-Malo ; on ferme les églises, on ne salarie plus les prêtres constitutionnels – peuvent choquer le peuple.

Marie-Joseph Chénier, auteur dramatique, député à la Convention, à qui l’on doit Le Chant du départ, aussi souvent entonné que La Marseillaise, propose de substituer au catholicisme la religion de la patrie.

Et la Convention approuve, décide que le buste de Marat sera placé dans la salle des séances, comme celui du plus glorieux des « martyrs de la liberté ».

Le 10 novembre 1793, est célébrée la fête de la Liberté et de la Raison à Notre-Dame. Une femme vêtue de tricolore, assise sur l’autel, symbolise la liberté, et Notre-Dame se nommera désormais le Temple de la Raison.

Robespierre s’inquiète :

« Le fanatisme est un animal féroce et capricieux, dit Maximilien. Il fuyait devant la raison. Poursuivez-le avec de grands cris, il retournera sur ses pas. »

Et Maximilien affirme son déisme :

« L’athéisme est aristocratique, lance-t-il. L’idée d’un grand Être qui veille sur l’innocence et qui punit le crime triomphant est toute populaire. »

Et d’ailleurs « nous n’avons plus d’autre fanatisme à craindre que celui des hommes immoraux, soudoyés par les cours étrangères ».

Mais le mouvement de déchristianisation s’amplifie en dépit de Robespierre.

Chaumette et Cloots, le riche étranger, patriote, député à la Convention, mais suspect d’être l’un des corrupteurs, animateur de ce « complot de l’étranger », s’en vont trouver l’évêque constitutionnel de Paris, Gobel, afin qu’il abjure devant la Convention « tout ce qu’il a professé hautement durant quarante années ».

« Le bonhomme a mis bas sa crosse, sa mitre, sa chape… Il a été couvert d’applaudissements par cette assemblée qui l’a affublé du bonnet rouge. Aussitôt tous les députés prêtres ont couru à l’envi à la tribune, faire la même abjuration. »

L’abbé Grégoire seul a résisté, refusant et d’abjurer et de se coiffer du bonnet rouge.

« Le peuple de Paris s’est jeté sur les églises, les a spoliées, dégradées en peu de jours. »

« J’ai vu passer dans la rue Dauphine les dépouilles de l’abbaye de Saint-Germain, écrit Ruault, le libraire voltairien, tout à coup scandalisé et effrayé par ce qu’il voit.

« Cérémonie burlesque : cent gredins marchaient en procession de carnaval, couverts de chapes, de chasubles, de dalmatiques, d’étoles. Au milieu de la rue marchaient deux douzaines d’ânes couverts de chapes mortuaires, portant dans des paniers les chasses, les croix, les calices, les ciboires d’or et d’argent et tout cela accompagné de gestes ridicules, de jurons, de maudissons, de propos de halles.

« Nous avons vu ce que jamais on n’avait vu sur terre : la religion détruite par la populace et par ses prêtres mêmes.

« Cette maladie s’est étendue à dix heures à la ronde de Paris. Les commîmes, des bourgs, des villages et des villes, se sont empressées d’apporter à la Convention les dépouilles de leurs églises, on les a toutes déposées dans l’Hôtel du Domaine national, rue Vivienne et des Petits-Champs ; il en est encombré.

« On ne doute pas que cette rage de destruction ne fasse le tour de France et qu’il n’y reste une seule église sur pied si elle dure quelque temps encore.

« Robespierre lui-même en a été effrayé. Il a fait un rapport contre cette manie qui ferait de la France un peuple de fous, d’athées, un peuple ingouvernable… »

« Quelle singulière nation, conclut Ruault. Elle donne dans toutes les extrémités ! Elle adorait ses rois, elle a tué le dernier. Elle se courbait avec plaisir sous le joug du catholicisme, elle vient de le renverser de fond en comble. Elle ne connaît point de mesure mitoyenne… Quelle sera la fin de tout ceci ? Elle ne peut être que très misérable.

« Adieu mon cher ami, je me bande les yeux pour ne pas en voir davantage… »

Et l’inquiétude et le désarroi de l’éditeur de Voltaire Ruault rencontrent ceux de Jacques Roux, ci-devant abbé, figure de proue des Enragés, qui a souvent goûté de la prison, et plus souvent encore dénoncé les fripons, les agioteurs, les aristocrates, les riches, ces Girondins et ces Montagnards qui n’osent regarder la misère en face.

Et Roux, depuis sa prison, s’élève contre les abus de cette « loi terrible » qui fait de chaque citoyen un « suspect ».

« Je suis tenté de demander si nous habitons des contrées barbares ou si nous vivons dans ces siècles avilis où l’on déclarait criminel de lèse-nation un homme qui avait raconté un songe, un autre pour avoir vendu un verre d’eau chaude ; celui-ci pour s’être déshabillé devant une statue, celui-là pour être allé à la garde-robe avec une bague sur laquelle était empreinte la tête d’un Empereur. »