Il va plus loin encore :
« C’est ressusciter le fanatisme que d’imputer à un homme les crimes de sa naissance. C’est le comble de la cruauté de faire incarcérer comme suspects de la République ceux qui ont eu le malheur de déplaire à un commissaire de section, à un espion de police, à un garçon de bureau, à un secrétaire de la trésorerie, à un huissier de la Convention nationale, à un guichetier, au président d’une société populaire, et à la catin d’un homme en place.
« Il y a plus d’innocents incarcérés que de coupables… Si l’on ne met fin à ces emprisonnements qui souillent l’histoire de la Révolution et dont on ne trouve pas d’exemples dans les annales des peuples les moins civilisés, la guerre civile ne tardera point à s’enflammer. »
Danton lit le texte de Jacques Roux. Le tribun vit toujours retiré dans sa propriété d’Arcis-sur-Aube, se livrant aux plaisirs et aux jouissances de la campagne et de l’amour, achetant des terres, arrondissant son bien. Mais il craint pour lui et pour la nation la guerre civile.
Ses proches – Chabot, Basire – sont décrétés d’arrestation, dans l’affaire de corruption de la Compagnie des Indes. Et, tortueusement, le Comité de salut public confie l’instruction de l’affaire à… Fabre d’Églantine, qui a dénoncé le complot de l’étranger, mais qui est aussi un ami de Danton.
Un courrier venu de Paris avertit Danton de cette manœuvre machiavélique. Il incite le tribun à rentrer, à affronter Robespierre qui est dans l’ombre de cette machination.
« En veut-il à ma vie ? Il n’oserait pas, dit Danton.
« Vous êtes trop confiant, revenez à Paris, le temps presse.
« Va dire à Robespierre que je serai assez tôt à Paris, pour l’écraser lui et les siens. »
Le 19 novembre, Danton est à Paris, après cinq semaines de séjour à la campagne alors que chaque heure a compté dans la marche et l’orientation de la Révolution.
Il rencontre Hébert.
Il flaire la situation, s’élève contre les « mascarades » antireligieuses, manière de faire un pas vers Robespierre, alors même que la Convention décrète qu’à compter du 24 novembre, les noms des mois seront ceux du calendrier républicain.
Et que l’on décide que les cendres du héros corrompu, Mirabeau, seront chassées du Panthéon.
Au club des Jacobins, on procède à une nouvelle épuration. Laverdy, un ancien contrôleur général des Finances, est guillotiné. Comme le journaliste girondin Girey-Dupré.
Danton confie à Garat, avocat, qui en 1792 a remplacé Danton au ministère de la Justice, puis Roland en 1793 au ministère de l’intérieur, qui a été arrêté comme Girondin mais rapidement libéré, qu’il veut lancer une grande campagne pour l’Indulgence.
Danton partage le sentiment de Jacques Roux sur la loi des suspects :
« Je sais que dans les circonstances actuelles on est forcé de recourir à des mesures violentes, mais on ne saurait trop se mettre contre la malveillance… Rien n’est plus dangereux que de laisser à l’arbitraire d’un coquin parvenu, d’un commissaire vindicatif, l’application d’une loi aussi terrible. »
Danton hausse la voix, il veut imposer l’indulgence.
« Je demande l’économie du sang des hommes », dit-il.
TROISIÈME PARTIE
1er décembre 1793 – 30 mars 1794
11 frimaire -10 germinal an II
« Dirige-t-on une tempête ? »
« Pourquoi la clémence serait-elle devenue
un crime dans la République ? »
Camille Desmoulins
30 frimaire an II (20 décembre 1793)
« On veut modérer le mouvement révolutionnaire.
Eh, dirige-t-on une tempête ? Eh bien !
La Révolution en est une. On ne peut,
on ne doit point en arrêter les élans. »
Collot d’Herbois
membre du Comité de salut public
3 nivôse an II (23 décembre 1793)
« Le gouvernement révolutionnaire doit voguer entre deux
écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès ;
le modérantisme qui est à la modération
ce que l’impuissance est à la chasteté et l’excès
qui ressemble à l’énergie comme l’hydropisie à la santé. »
Maximilien Robespierre
5 nivôse an II (25 décembre 1793)
9.
« Le sang des hommes », en ces premiers jours de décembre 1793, malgré le vœu de Danton, il ruisselle sur le sol de la France.
En Vendée, les paysans de la grande armée catholique et royale échouent devant Angers, mais continuent de se battre, en entonnant sur l’air de La Marseillaise :
Allons les armées catholiques
Le jour de gloire est arrivé
Contre nous de la République
L’étendard sanglant est levé.
Le paysan vendéen ne craint pas de mourir. Il répond au soldat bleu qui crie « Rends-moi tes armes » : « Rends-moi mon Dieu. »
Il récite avec ses prêtres :
Cette mort dont on nous menace
Sera le terme de nos maux
Quand nous verrons Dieu face à face
Sa main bénira nos travaux.
Un représentant en mission constate :
« C’est de leur part un vrai fanatisme, tel qu’au IVe siècle. On en exécute tous les jours et tous les jours ils meurent en chantant des cantiques et en faisant leur profession de foi. L’instrument de supplice n’a que l’effet de jeter une sorte d’odieux sur le pouvoir qui l’emploie. »
Pourchassés par les Bleus recrus de fatigue, les Vendéens se réfugient dans la ville du Mans. Ils sont quarante mille, bientôt surpris ce 12 décembre par les armées républicaines commandées par Westermann, Marceau, Kléber. Ils résistent durant quatorze heures sous une pluie glaciale. On s’égorge. On s’éventre. On se fusille à bout portant dans les ruelles ensanglantées.
« On ne voit partout que des cadavres, des fusils, des caissons renversés ou démontés, écrit un officier bleu. Parmi les cadavres, beaucoup de femmes nues que les soldats ont dépouillées et qu’ils ont tuées après les avoir violées. »
Les survivants se dirigent vers Laval, harcelés, massacrés au cours de cet « hallali courant ».
Ce qui survit encore, après une dizaine de jours de fuite et de combats, est massacré à Savenay, près de Saint-Nazaire, fait prisonnier et fusillé. Les chefs, Stofflet, Charette, La Rochejaquelein sont passés sur la rive gauche de la Loire.
Et les commissions militaires « bleues » parcourent le pays.
On fusille en huit « chaînes » mille huit cent quatre-vingt-seize prisonniers, près d’Angers. Des centaines d’autres sont exécutés. Ainsi dans la prairie Saint-Gemmes, aux Pont-de-Cé.
La répression est d’autant plus cruelle qu’une guerre d’embuscades va se poursuivre. Et que les « Vendéens » sont eux aussi impitoyables.
Le Bleu Joseph Bara, âgé de quatorze ans, est égorgé après avoir été fait prisonnier et avoir refusé de crier « Vive le roi ! ».
Il devient un martyr de la liberté même si les circonstances de sa mort sont transfigurées par la légende.
Mais à Nantes, sous l’autorité du représentant en mission Carrier, un comité révolutionnaire d’une cinquantaine d’hommes, la compagnie Marat, terrorise la ville.