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Elle a servi d’agent de liaison, de 1791 au printemps 1793, entre les royalistes et les Anglais.

Elle vit depuis retirée dans son château de Louveciennes. On l’arrête, mais devant la protestation de tous les habitants du bourg, on la relâche.

Appréhendée de nouveau début décembre, elle est exécutée le 8 décembre 1793.

Chaque citoyen sait qu’il peut devenir suspect, et qu’il est placé sous la surveillance des agents du Comité de sûreté dont les membres, tels Amar – un avocat devenu député à la Convention et montagnard – ou Vadier – lui aussi conventionnel et montagnard –, sont déterminés, impitoyables, prêts à faire arrêter un conventionnel accusé par une simple lettre anonyme.

Ils sont à l’affût. Ils interceptent les correspondances.

Le libraire Ruault ne communique plus avec son frère qu’en confiant ses lettres à des voyageurs.

« Je ne vous écrirai plus désormais que par des occasions aussi sûres que celles-ci, explique-t-il. Je renonce à la poste. J’apprends qu’il est dangereux d’y confier certaines lettres, qu’il y a des décacheteurs aux ordres du Comité de sûreté générale : ou bien il faudrait conformer son langage à la fureur dominante et se donner le mot d’entente, prendre le blâme pour la louange et la louange pour le blâme… »

Ce climat de soupçon et de terreur conduit certains aux comportements les plus lâches, aux trahisons.

Osselin, un député montagnard proche de Danton, est devenu l’amant d’une émigrée rentrée en France, la jeune marquise de Charry. Elle est arrêtée mais il réussit à la faire libérer, à la cacher d’abord chez Danton puis chez son frère, curé défroqué et marié.

Mais quand la Terreur est mise à l’ordre du jour, que la loi des suspects étend sa toile sur toute la nation, Osselin prend peur, dénonce sa maîtresse cependant que son frère la livre et le dénonce.

Osselin, le 5 décembre 1793, est condamné à la déportation.

Sa maîtresse afin d’éviter l’échafaud prétend qu’elle est enceinte. Après quelques semaines, son mensonge est découvert.

Elle est guillotinée le 31 mars 1794.

On vit ainsi dans la tension, l’exaltation, l’angoisse, la peur, l’esprit de sacrifice aussi.

Des femmes disent devant le couperet : « Je veux mourir romaine » ou « Je suis chrétienne ».

Persuadés d’agir pour le salut de la nation, les soldats de l’« armée révolutionnaire » tuent sans remords. Un détachement commandé par le général Ronsin se rend à Lyon où Collot d’Herbois et Fouché sévissent.

On mitraille. On fusille place des Brotteaux. On détruit le château de Pierre-Scisse et les maisons des riches.

« Je n’ai point de pitié pour les conspirateurs, dit Collot d’Herbois le 21 décembre aux Jacobins. Nous en avons fait foudroyer deux cents d’un coup et on nous en fait un crime. Ne sait-on pas que c’est encore une marque de sensibilité ? Lorsqu’on guillotine vingt coupables le dernier exécuté meurt vingt fois, tandis que les deux cents conspirateurs périssent ensemble. »

Dans Commune-Affranchie, ci-devant Lyon, on dénombre mille six cent soixante-sept exécutions, trois cent quatre-vingt-douze à Arras, cent quarante-neuf à Cambrai, d’ordre de Joseph Le Bon, député à la Convention, ancien curé, marié. Et âgé de vingt-huit ans.

Dans les départements voisins de l’Oise et de l’Aisne, le conventionnel en mission André Dumont emprisonne par centaines les suspects, mais se contente d’organiser des fêtes révolutionnaires, obligeant les dames, les bourgeoises, les couturières, à danser, à former la « chaîne de l’égalité ».

Mais ces mascarades ne sont pas mortelles, même si la mort hante chaque citoyen. Chacun sait qu’elle peut à tout moment frapper.

Et quand le couperet du soupçon a commencé à tomber, rien ne peut l’arrêter.

Aucune fonction, aucune action passée, fût-elle héroïque, fût-elle à l’origine de cette Révolution au nom de laquelle on tue, ne peut protéger.

Quand le roi, ci-devant de droit divin, quand la reine, quand Barnave qui en 1788 se dressait pour la liberté, quand Barbaroux, qui s’élançait avec les fédérés marseillais à l’assaut des Tuileries le 10 août 1792, quand Brissot, ont placé leur « tête à la fenêtre » et qu’elle a roulé dans le sac, qui peut prétendre qu’il est sûr de ne pas basculer sur la planche, comme eux ?

Robespierre lui même s’écrie :

« À moi aussi on a voulu inspirer des terreurs, mais que m’importent les dangers ? Ma vie est à la patrie, mon cœur est exempt de crainte et si je mourais ce serait sans reproche et sans ignominie. »

Cette politique terroriste, ce gouvernement qui se veut révolutionnaire jusqu’à la paix, semblent porter leurs fruits.

La grande armée catholique et royale n’est plus en Vendée qu’un souvenir ensanglanté qui a laissé la place aux actions efficaces mais dispersées des chouans.

Elles ne mettent plus la République en péril.

Et le but du gouvernement révolutionnaire est précisément de fonder la République en sachant, comme dit Couthon, qu’une « révolution comme la nôtre n’est qu’une succession rapide de conspirations, parce qu’elle est la guerre de la tyrannie contre la liberté ».

Et pas un seul citoyen ne doit dans cette guerre échapper à la surveillance, à la discipline.

Les représentants en mission vont avec des pouvoirs décuplés dans les départements et aux armées.

« Généraux, martèlent-ils, le temps de la désobéissance est passé. »

Et les officiers, quel que soit leur grade, leur sont soumis. Les représentants décident des promotions.

Ils font confiance aux jeunes officiers.

Hoche libère l’Alsace, entre à Wissembourg, cependant que Desaix chasse les Autrichiens de Lauterbourg. Et les troupes de Hoche se lancent à l’assaut au cri de « Landau ou la mort ».

À l’armée d’Italie qui assiège Toulon toujours aux mains des royalistes, des Anglais et des Espagnols, les représentants en mission Saliceti, Gasparin, Barras, Fréron et le propre frère de Robespierre, Augustin, ont imposé le remplacement du général Carteaux, fier seulement d’avoir le 10 août 1792 entraîné ses camarades gendarmes à rejoindre le peuple dans l’assaut des Tuileries.

Aujourd’hui, cela ne suffit plus.

Ils nomment le général Dugommier puis, à la tête de l’artillerie, ce jeune capitaine Napoléon Bonaparte qui est d’esprit jacobin, mais qui surtout se dit capable de conquérir le fort de l’Éguillette qui commande les deux rades de Toulon.

Ils observent ce Corse maigre au teint bistre, ardent, qui répète que c’est « l’artillerie qui prend les places et que l’infanterie y prête son aide ». Et qui fait élever des batteries qu’il nomme Convention, Sans-culotte. Et les forts tenus par les Anglais tombent.

Bonaparte prend part avec les fantassins aux assauts, en criant « Victoire à la baïonnette ! ». Puis, la ville tombée, il laisse les représentants Barras et Fréron organiser le pillage, les destructions, les exécutions par centaines. Cependant que les forçats qui ont brisé leurs chaînes se répandent dans la ville, la ci-devant Toulon, devenue Port-la-Montagne.

Le 22 décembre 1793, le représentant en mission Saliceti annonce à Napoléon Bonaparte qu’il est élevé au grade de général de brigade, « à cause du zèle et de l’intelligence dont il a donné les preuves en contribuant à la reddition de la ville rebelle ».

N’est-ce pas le moment, puisque la République a réussi à repousser les ennemis, à les vaincre, qu’elle a reconquis les villes rebelles, les ci-devant Bordeaux, Lyon, Marseille, Toulon, devenues Bec-d’Ambès, Commune-Affranchie, Ville-sans-Nom, Port-la-Montagne, et toutes livrées aux « épurateurs », de pratiquer la politique de l’indulgence, de la clémence ?