Выбрать главу

Cette Terreur, les hommes des Comités, et d’abord Maximilien Robespierre, veillent qu’elle effraie – qu’elle « terrorise » — mais aussi qu’elle soit toujours associée à la Vertu.

Il faut que les sans-culottes, le peuple des démunis, des ouvriers, des indigents, ces citoyens qu’avaient séduits Marat, les Enragés et les Cordeliers, qui partageaient les « colères du Père Duchesne » se persuadent qu’on peut avoir décapité Hébert et Momoro, mais sévir contre les accapareurs.

Et pour cela les visites domiciliaires, les perquisitions se multiplient, dans ces courtes journées de l’hiver puis celles du printemps de l’an II.

« À trois heures de l’après-midi les canonniers rassemblés ainsi que la cavalerie et plusieurs détachements de la force armée de réserve ont marché sans bruit, et le Palais-Égalité, ci-devant Palais-Royal, a été investi. On a fait des visites chez les traiteurs, restaurateurs et marchands de comestibles. On a examiné les citoyens qui s’y trouvaient. À huit heures les sentinelles ont été levées. On ignore le nombre de personnes arrêtées. »

Ces mesures confirment l’idée que Maximilien Robespierre est bien cet Incorruptible, ce vertueux en qui l’on peut avoir confiance.

Dans ces premiers jours de germinal an II (mars 1794), qui ont vu les Cordeliers jugés, condamnés, exécutés, un conventionnel confie :

« Toutes les factions, tous les partis se taisent devant Robespierre. Il dirige toutes les délibérations. L’opinion publique l’investit et n’investit que lui. Tout ce qu’il dit sont des oracles, tout ce qu’il blâme sont des erreurs. Si cette occasion échappe, jamais, non, jamais, il ne la retrouvera. »

Robespierre le sait.

C’est maintenant qu’il doit écraser les Indulgents, ceux qui furent si proches de lui, comme Camille Desmoulins, ceux qui furent ses alliés, comme Danton.

Le 1er germinal an II (21 mars), le jour même de l’ouverture du procès des Cordeliers, il a dit à la tribune du club des Jacobins :

« Ce n’est pas assez d’étouffer une faction, il faut les écraser toutes, il faut attaquer celle qui existe encore avec la même fureur que nous avons montrée en écrasant l’autre. »

Et lorsque Camille Desmoulins se présente chez les Duplay, demandant à voir Maximilien, on le rejette, lui l’ami de collège. Desmoulins désemparé s’éloigne, sûr qu’il est condamné. Et cependant quand, désespéré, il fait part de ses craintes à Danton, celui-ci hausse les épaules.

Il a entendu, lui aussi, les paroles de l’incorruptible qui dénonce les Indulgents, ces « fripons » qui vont gangrener les armées, s’appuyer sur les fonctionnaires corrompus. « Et les armées seront battues. »

Mais Danton croit à sa force, à son invulnérabilité.

Il peut compter sur le général Westermann qui a battu les Vendéens, sur Tallien qui vient d’être élu président de la Convention et dont on sait avec quelle détermination il a appliqué la politique de la terreur à la ci-devant Bordeaux, sur Legendre, l’un des vainqueurs de la Bastille, qui a fondé le club des Cordeliers et a été élu président du club des Jacobins. Danton compte aussi sur le réalisme de Robespierre.

Les deux hommes viennent ce 1er germinal de sabler ensemble le champagne, de s’embrasser, et Danton a dit à Maximilien :

« Avant six mois, toi-même, tu seras attaqué Robespierre, si nous nous divisons. »

Danton est si sûr de lui qu’il répond au conventionnel Thibaudeau qui lui répète « Robespierre conspire ta perte. Ne feras-tu rien pour le prévenir ? » :

« Si je le croyais, je lui mangerais les entrailles. »

Et Danton affirme qu’on n’osera pas l’attaquer, qu’il voue Robespierre à l’« exécration ».

Puis tout à coup, le tribun s’assombrit. Il se lamente comme s’il comprenait brusquement la gravité du péril… Mais quand on lui propose de fuir, il répond :

« On n’emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers. » Puis, après avoir prononcé cette phrase d’une voix forte, il murmure d’un ton las :

« J’aime mieux être guillotiné que guillotineur, d’ailleurs l’humanité m’ennuie. »

Il n’imagine pas la haine et le mépris que lui voue Robespierre.

L’Incorruptible s’emploie à convaincre les membres des Comités qu’il faut en finir avec Danton.

« Comment un homme à qui toute idée de morale est étrangère peut-il être le défenseur de la liberté, commence Robespierre. Le mot de vertu fait rire Danton. Il n’y a pas de vertu plus solide, répète-t-il plaisamment, que celle que je déploie toutes les nuits avec ma femme.

« Voilà Pâme ingrate et noire de Danton. Il professe pour le vice une tolérance qui doit lui donner autant de partisans qu’il y a d’hommes corrompus dans le monde. »

Et Billaud-Varenne murmure : « Il faut tuer Danton. »

Et Saint-Just ajoute : « Si nous ne le faisons guillotiner, nous le serons ! »

Dans cette nuit du 9 germinal an II (29 mars), Saint-Just présente aux membres des Comités de salut public et de sûreté générale l’ordre d’arrêter Danton, Camille Desmoulins et les Indulgents, avant même que soit voté le décret d’accusation.

On vient d’apprendre que, la veille, Condorcet, proche des Girondins, dernier des grands philosophes qui a vécu plusieurs mois terré chez une amie, rédigeant son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, a été arrêté et s’est suicidé dans la prison de Bourg-la-Reine. Mais qui s’en émeut ?

Tous les membres des Comités, à deux exceptions près, signent l’ordre d’arrestation dont ils savent qu’il vaut jugement de mort.

Le vieil archiviste Rühl, membre du Comité de sûreté générale, et Robert Lindet, chargé des questions d’approvisionnement au sein du Comité de salut public, ont refusé de signer.

L’un et l’autre avaient averti Danton de la menace qui pesait sur lui. En vain.

Lindet, en repoussant la feuille de signature, dit, fièrement, sachant qu’il risque sa vie :

« Je suis ici pour nourrir les citoyens et non pour tuer les patriotes. »

On arrête Danton le 10 germinal an II (30 mars 1794) à six heures du matin.

Il a passé la nuit « près du foyer, dans sa chambre de travail, le corps penché dans l’âtre, abîmé dans ses réflexions. De temps à autre il sort de son immobilité pour tisonner avec violence, puis on l’entend pousser de profonds soupirs et prononcer des paroles entrecoupées. D’autres fois il se relève brusquement, se promène à grands pas dans la chambre. »

Peut-être pense-t-il que le Tribunal révolutionnaire n’osera pas le condamner, lui l’homme du 10 août 1792, et qu’on ne pourra non plus accuser Camille Desmoulins, l’homme du 14 juillet, dont les discours prononcés au Palais-Royal enflammaient les foules.

Et Danton comme Camille Desmoulins et les autres dantonistes, Delacroix, Philippeaux, se laissent arrêter sans résistance.

Paris, stupéfait, apprenant la nouvelle, ne bouge pas.

Quelques conventionnels tentent de rassembler les députés. Legendre monte à la tribune de la Convention, demande que Danton et ses amis soient entendus par l’Assemblée :

« Je crois Danton aussi pur que moi, dit-il. Le 10 août, l’ennemi était aux portes de Paris. Danton vint et ses idées sauvèrent la patrie… »