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Murmures, émotion, quelques remous dans les travées peut-être lancés contre Robespierre. Mais l’incorruptible gagne la tribune, et d’une voix glacée lance :

« Il s’agit de savoir si aujourd’hui quelques hommes doivent l’emporter sur la patrie… Nous verrons si dans ce jour la Convention saura briser une prétendue idole pourrie depuis longtemps ou si, dans sa chute, elle écrasera la Convention et le peuple français. »

Robespierre fixe Legendre :

« Je dis que quiconque tremble est coupable car jamais l’innocence ne redoute la surveillance publique. »

QUATRIÈME PARTIE

1er avril 1794 – 27juillet 1794

12 germinal – 9-10 thermidor an II

« L’échafaud te réclame »

 

« Infâme Robespierre, l’échafaud te réclame, tu me suis.

Peuple, je mourrai digne de toi… »

Danton à son procès 13-16 germinal an II (2-5 avril 1794)

« La Révolution est glacée. Tous les principes sont affaiblis.

Il ne reste que des bonnets rouges portés par l’intrigue.

« L’exercice de la terreur a blasé le crime

comme les liqueurs fortes blasent le palais. »

Saint-Just, Carnets printemps de l’an II

« Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner.

Je leur lègue la vérité terrible et la mort. »

Maximilien Robespierre, Discours à la Convention

8 thermidor an II (26 juillet 1794)

12.

En ces premiers jours du mois d’avril 1794, note un bourgeois parisien, « il fait de la pluie et chaud, et après des bourrasques, le ciel lavé est d’un bleu étincelant. Tous les arbres sont en fleurs et tous les jardins et tous les arbres non fruitiers sont en feuilles. Il y a bien des années qu’on n’a vu l’année si avancée. »

Jamais mois qui commence n’a si bien porté son nom révolutionnaire, germinal.

Et pourtant les citoyens, au lieu d’être à l’unisson de la légèreté vivace de ce printemps joyeux, sont mornes.

Un indicateur de police rapporte au Comité de sûreté générale qu’à l’annonce de l’arrestation de Danton, de Camille Desmoulins et de leurs amis, on dit dans la queue qui s’allonge devant une boulangerie :

« Marat a été bienheureux d’être assassiné car il aurait été guillotiné comme les autres. »

Il y a quelques jours Hébert et les Cordeliers ont été décapités, et demain, qui peut en douter, Danton et les siens le seront.

Et quels autres encore, après ceux-là, seront livrés à la « vengeresse du peuple », et, col de la chemise déchiré, cheveux coupés, seront attachés sur la planche, offrant leurs nuques dénudées au « rasoir national », à l’« aimable guillotine », à la « main chaude » ?

On ne prononce pas ces commentaires et ces questions à haute voix. On les chuchote.

On craint les mouchards, les indicateurs, de plus en plus nombreux, car le Comité de salut public a décidé de créer son Bureau de police, et les membres du Comité de sûreté générale sont ulcérés de cette encoche dans leurs prérogatives, la police intérieure précisément.

Ils soupçonnent les membres du Comité de salut public de vouloir instaurer une dictature, qui serait celle de Maximilien Robespierre.

Et même au sein du Comité de salut public, on s’inquiète de la suprématie de fait de l’incorruptible.

Carnot, dans un rapport à la Convention, déclare le 1er avril (12 germinal) :

« Malheur à une République où le mérite d’un homme, où sa vertu même serait devenue nécessaire. »

C’est Robespierre qui, à l’évidence, est visé.

Rares sont ceux qui ont le courage de Carnot.

Partout, dans la me comme dans les sections sans-culottes, dans les Comités, et à la Convention, tout le monde se méfie, rentre la tête dans les épaules, tremble.

Les députés, fascinés, ont écouté Saint-Just lire à la tribune de la Convention le rapport qui doit se conclure par le vote du décret d’accusation contre Danton et Camille Desmoulins.

Les mots tombent comme autant de couperets, mais la voix est légère, accordée à l’élégance presque féminine de Saint-Just qui, d’un mouvement de la main droite, accompagne ses formules les plus tranchantes.

Chaque conventionnel sait qu’au bout du discours, et du vote du décret, la mort seule est offerte.

Et Saint-Just le reconnaît :

« Il y a quelque chose de terrible dans l’amour de la patrie, dit-il, il immole sans pitié. »

Le portrait que Saint-Just dresse de Danton et des dantonistes est impitoyable.

Danton a été, dit-il, le protégé de Mirabeau, ce « personnage affreux ». Il était aux côtés de Dumouriez, le traître, le déserteur. Il a cherché à sauver les Girondins. Il a fait l’apologie des hommes corrompus dont il a été le complice.

« Méchant homme, Danton a comparé l’opinion publique à une femme de mauvaise vie. Il a dit que l’honneur était ridicule, que la gloire et la postérité étaient une sottise. Et ces maximes devaient lui concilier l’aristocratie. »

« Je suis convaincu, martèle Saint-Just, que cette faction des Indulgents est liée à toutes les autres, qu’elle fut hypocrite dans tous les temps, vendue d’abord à la nouvelle dynastie. » Danton a été le complice de feu le ci-devant duc d’Orléans. Et la voix de Saint-Just devient plus aiguë pour conclure, la main droite soulignant toujours d’un mouvement vif chaque mot :

« Que tout ce qui fut criminel périsse : on ne fait point de République avec des ménagements, mais avec la rigueur farouche, la rigueur inflexible envers ceux qui ont trahi. »

Beaucoup de mots, une forte conviction, mais peu de preuves. Et cependant, le décret d’accusation est voté.

On a joint à Danton et à ses amis des corrompus, des financiers étrangers, et on a fait de Fabre d’Églantine l’accusé principal, comme si ce fripon était le cœur de la faction des Indulgents.

Cet homme de quarante-quatre ans, qui fut jeune poète, comédien ambulant – comme Collot d’Herbois –, auteur de théâtre, d’une opérette, qui laisse un refrain, « Il pleut bergère », a été un médiocre traîne-misère que la Révolution « pousse » aux premiers rôles.

Il appelle au massacre, en septembre 1792.

Il s’enrichit. Il devient munitionnaire, vendant à l’armée à gros prix des souliers qui s’usent en une journée. Et c’est cet homme-là que Danton, devenu ministre de la Justice, a choisi comme secrétaire, le plaçant aux côtés de Camille Desmoulins, secrétaire général du ministère.

Fabre est l’un des rouages de l’affaire de la Compagnie des Indes, corrompu et corrupteur, dénonçant ses complices dont certains – Chabot, d’Espagnac – sont inculpés comme lui aux côtés de Danton.

Et cet homme-là, auteur du calendrier révolutionnaire, doit être aux yeux de ce « patriote rigide » qu’est l’incorruptible la preuve que Danton est bien une « idole pourrie ».

Fabre d’Églantine a des « talents et point d’âme ». Il proclame des principes mais n’a point de vertu.

« Il est habile dans l’art de peindre les hommes et beaucoup plus habile à les tromper », dit Robespierre.

Fabre, au Tribunal révolutionnaire, a droit au fauteuil du principal accusé. Danton et les autres sont assis sur des bancs de bois. Danton ne serait donc qu’un conspirateur, médiocre complice de Fabre d’Églantine !

La pièce est bien montée, et Legendre, qui avait eu le courage dans les heures qui avaient suivi l’arrestation de Danton de prendre sa défense, est blâmé par les Jacobins. Il se rétracte, et sa voix tremble. Il suffirait d’un regard de Robespierre pour qu’il se retrouve parmi les inculpés, c’est-à-dire les condamnés.