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« Si j’ai commis une erreur, dit Legendre, je proteste qu’elle est involontaire… Je m’en rapporte au Tribunal révolutionnaire. »

Mais Legendre sait que les quatorze prévenus – auxquels on ajoutera bientôt le général Westermann – ne peuvent rien espérer du Tribunal.

L’accusateur Fouquier-Tinville, qui fut le protégé de Danton et de Camille Desmoulins, n’ignore pas que les membres des Comités ont préparé un ordre d’arrestation à son nom et à celui du président du Tribunal Herman, afin de se prémunir contre toute faiblesse du Tribunal à l’égard des dantonistes.

Et Fouquier-Tinville a lui-même choisi parmi les soixante jurés les sept qui lui paraissent devoir être impitoyables envers les Indulgents.

Ils sont tous à leur place quand, le 13 germinal an II (2 avril 1794), les accusés répondent à l’interrogatoire d’identité.

Camille Desmoulins est grandiloquent.

« Trente-trois ans, âge de Jésus, critique pour les patriotes. »

« Georges Jacques Danton, âgé de trente-quatre ans, natif d’Arcis-sur-Aube, bientôt dans le néant ensuite dans le Panthéon de l’histoire ! M’importe peu ! C’est à pareille époque que j’ai fait instituer le Tribunal révolutionnaire : j’en demande pardon à Dieu et aux hommes. Mais le peuple respectera ma tête, oui ma tête guillotinée. »

Danton est gouailleur, méprisant, combatif, débordant d’énergie. Il veut parler, hurler. Il espère que comme l’avait fait Marat, il saura soulever, par son éloquence, ces citoyens assis dans la salle. Il se fait fort de les arracher à leur passivité, à leur peur. Et il sera comme Marat acquitté et porté en triomphe par les sans-culottes.

Il veut le croire, faire semblant d’y croire, et cependant le doute l’assaille, et il se voit, se sait perdu.

Les plus éclairés des citoyens ne s’illusionnent pas.

« L’anarchie la plus dévorante et la mort planent sur toutes les têtes, écrit le libraire Ruault. Patriotes, royalistes, suspects, mécontents, nobles, roturiers, valets, servantes, charbonniers, savetiers, banquiers, députés, tous vont mourir à la même place du même genre de mort et par la même machine qui trancha la tête du malheureux Louis XVI.

« Et c’est parce que Danton et Desmoulins ont voulu arrêter le mouvement de la guillotine qu’ils y passeront eux-mêmes…

« Danton a fait ombrage à Robespierre qui est aujourd’hui le roi de la Révolution, le pontife de l’éternel, l’apôtre de cette doctrine de l’immortalité de l’âme qu’il a fait afficher sur le fronton de tous les temples…

« L’anarchie dévore ses propres enfants, elle tue ses frères, elle mange ses entrailles, elle est enfin le plus terrible et le plus cruel de tous les monstres.

« Ce monstre affreux est aujourd’hui parmi nous dans sa plus grande vigueur. Nul de nous ne peut être sûr de l’éviter, car il frappe à tort et à travers. »

Mais Danton ne se soumet pas. Il interrompt l’accusateur Fouquier-Tinville, le président Herman. Il contraint celui-ci à l’interroger tout au long de la journée du 14 germinal.

« Les lâches qui me calomnient oseront-ils m’attaquer en face ? » clame-t-il.

Il se moque.

« C’est moi qui ai fait instituer le Tribunal, ainsi je dois m’y connaître ! » dit-il au président Herman qui veut donner des leçons de procédure.

Et peu à peu, on sent que les citoyens, dans la salle, approuvent les propos de Danton.

« Moi vendu ? Un homme comme moi est impayable ! »

« Danton aristocrate ? Sur mon front est imprimé en caractères ineffaçables le sceau de la liberté, le génie républicain. Toi, Saint-Just, tu répondras à la postérité de la diffamation lancée contre le meilleur ami du peuple, contre son plus ardent défenseur… Mon nom est accolé à toutes les institutions révolutionnaires, levée en masse, armée révolutionnaire, comités révolutionnaires, Comité de salut public, Tribunal révolutionnaire. C’est moi qui me suis donné la mort enfin ! Et je suis un modéré ! »

Il interpelle Cambon.

Ce député de la Convention est chargé des finances, et parle avec la faconde d’un Montpelliérain.

« Nous crois-tu conspirateurs, Cambon ? l’interroge Danton. Voyez, il rit. Il ne le croit pas. »

« Écrivez qu’il a ri », ajoute Danton tourné vers le greffier.

Danton ainsi mène les débats, bousculant Fouquier-Tinville et Herman qui craignent que les jurés eux-mêmes ne soient séduits par lui.

Le tribun rappelle son rôle décisif le 10 août 1792.

« Depuis deux jours le Tribunal me connaît, lance-t-il. Demain j’espère m’endormir dans le sein de la gloire. Jamais je n’ai demandé grâce et on me verra voler à l’échafaud avec la sérénité ordinaire au calme de la conscience… »

Il se tourne vers les citoyens. Il est épuisé mais il a le sentiment qu’il a convaincu ces sans-culottes.

Il a un instant d’euphorie, la garde baissée.

Il accepte la proposition du président d’interrompre les débats, de remettre au 15 germinal la suite de sa défense.

Herman a réussi à retirer la parole à Danton.

Le lendemain, 15 germinal, Danton comprend qu’il est tombé dans un piège. Il se dresse, avec Desmoulins. Il a l’intuition que des mesures ont été prises pour l’empêcher de parler.

« Le peuple un jour connaîtra la vérité de ce que je dis, crie-t-il. Voilà la dictature, le dictateur a déchiré le voile. Il se montre à découvert ! »

C’est Saint-Just qui, averti par Fouquier-Tinville et Herman de l’écho des propos de Danton, intervient devant la Convention. Il veut dénoncer, dit-il, une « nouvelle conjuration ».

Il s’agit, devant le Tribunal révolutionnaire, de la « révolte des coupables ». Il accuse Lucile Desmoulins d’avoir touché de l’argent « pour exciter un mouvement, pour assassiner les patriotes et le Tribunal révolutionnaire », afin de sauver son époux Camille.

Mais en insultant le Tribunal, en vociférant, « les coupables résistant aux lois, avouent leurs crimes ».

Saint-Just, avant de donner lecture du décret qu’il va proposer pour protéger le Tribunal révolutionnaire, avertit les conventionnels.

« Dans le péril de la patrie, dans le degré de majesté où vous a placés le peuple, marquez la distance qui vous sépare des coupables. »

La menace affleure. Refuser de voter les trois articles du décret, c’est reconnaître qu’on est proche des coupables, donc leur complice.

Alors les conventionnels approuvent le texte présenté par Saint-Just au nom des Comités de salut public et de sûreté générale.

Article 1 : Le Tribunal révolutionnaire continuera l’instruction relative à la conjuration de Fabre d’Églantine, Danton, Chabot et autres.

Article 2 : Le président du Tribunal emploiera tous les moyens que la loi lui donne pour faire respecter son autorité…

Article 3 : Tout prévenu de conspiration qui résistera ou insultera à la justice nationale sera mis hors des débats sur-le-champ.

Ce décret permet de bâillonner Danton et Desmoulins.

Celui-ci s’effondre.

« Non contents de m’assassiner, ils veulent encore assassiner ma femme », crie-t-il.

Il vient d’apprendre qu’on accuse Lucile de fomenter un complot pour le libérer.

Et il est vrai qu’avec Louise Danton, elle va de l’un à l’autre des patriotes influents pour tenter d’arracher son mari à la « vengeresse du peuple ».

Mais qui se souvient de l’amitié passée ? Il y va de la vie et de la mort.

« Voyez ces lâches assassins, dit Danton, ils nous suivront jusqu’à la mort. »

Le 16 germinal, Fouquier-Tinville demande aux jurés s’ils sont suffisamment informés pour rendre leur verdict. Le président Herman ajoute que, les accusés s’étant mal comportés envers le Tribunal, « ils sont mis hors des débats », selon l’application de l’article 3 du décret voté par la Convention.