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Danton essaie de protester, mais le public, de nouveau apeuré, se tait. À peine quelques murmures quand Danton s’écrie :

« Que l’on nous conduise à l’échafaud ! Je ne disputerai point davantage ma vie à ceux qui m’assassinent. Infâme Robespierre, l’échafaud te réclame, tu me suis ! Peuple, je mourrai digne de toi ! »

Quinze condamnations à mort.

Elles ne seront pas prononcées au Tribunal devant les accusés, mis « hors des débats ».

On craint ces « forcenés ». On leur lit le verdict entre les deux guichets de la Conciergerie.

Camille Desmoulins pleure.

Danton tonitrue :

« Ton jugement, je m’en fous. »

On coupe le col de la chemise des condamnés et leurs cheveux afin de dénuder leurs nuques.

C’est le 16 germinal an II (5 avril 1794).

Il fait beau.

« Danton monta le premier dans la première des trois charrettes qui devaient conduire cette bande à la place Louis-XV dite de la Révolution, raconte un témoin.

« Il fut obligé d’attendre que ces trois charrettes fussent chargées pour marcher tous ensemble au supplice.

« Ce chargement dura plus d’une heure parce que Camille Desmoulins se débattit longtemps. Il ne voulait pas se laisser lier les mains, se laisser couper les cheveux.

« Les gendarmes furent, dit-on, obligés de prêter main-forte à l’exécuteur pour vaincre la résistance de Camille.

« Pendant ce temps, Danton riait dans la charrette :

« “Ce qui me dépite, lançait-il au peuple qui bordait les voitures près de la grille de la cour du Palais, c’est de mourir six semaines avant Robespierre.”

« Camille parut enfin dans la charrette. Sa chemise était en lambeaux et lui tout essoufflé, furieux, maudissant Robespierre et le Comité de salut public et l’infâme Tribunal aux ordres de ces monstres.

« Puis Camille pleurait, murmurant le nom de sa femme Lucile et de leur fils, Horace.

« Fabre d’Églantine se plaignait qu’on eût volé chez lui un manuscrit qui allait être pillé, et ses vers étaient si beaux.

« “Des vers, s’exclama Danton, avant huit jours tu en auras fait des milliers.”

« Danton, dont l’énorme tête ronde fixait orgueilleusement la foule, entendit une femme crier “Qu’il est laid”.

« “Ce n’est pas la peine de me le reprocher en ce moment je ne le serai plus pour longtemps”, répondit-il.

« Il avait en effet la figure taillée en tête de lion, comme Robespierre l’a en tête de chat ou de tigre. »

Il répète, plusieurs fois, tout au long de l’interminable trajet, accompli au milieu d’une foule immense mais silencieuse : « “J’entraîne Robespierre ! Robespierre me suit.” »

Il voit le peintre David qui, assis à une terrasse de café, croque le condamné : « Valet ! » crie Danton, à celui qui fut son ami.

Il monte à l’échafaud le dernier, vers cinq heures et demie ou six heures ce 16 germinal an II.

« À mon tour », dit-il, en gravissant vite le « fatal escalier ».

« Ce n’est qu’un coup de sabre », ajoute-t-il, cependant qu’on le lie à la planche.

« Allons Danton pas de faiblesse », bougonne-t-il après avoir murmuré : « Ma bien-aimée, je ne te verrai donc plus… »

Puis forçant la voix, il dit à Samson :

« N’oublie pas surtout, tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine. »

Samson s’exécuta.

« La seule tête de Danton fut montrée au peuple. »

Il était donc bien le principal accusé de ce procès et Fabre d’Églantine seulement un paravent placé devant les citoyens pour masquer l’élimination des Indulgents, des tenants d’une autre politique, et faire d’eux des corrompus, des fripons, des conspirateurs, œuvrant pour la famille d’Orléans.

« En voyant la tête sanglante de Danton, le peuple crie : “Vive la République !”

« Les sourcils de cette tête se mouvaient fortement, les yeux étaient vifs et pleins de lumière, tandis que l’exécuteur la promenait autour de l’échafaud.

« Elle paraissait voir et respirer encore, entendre les cris de la multitude, tant le corps qu’elle venait de quitter était robuste et vigoureux. »

13.

La tête de Danton, enfouie dans un sac, et celles des autres suppliciés, et tous leurs corps mutilés ont été d’abord déposés dans un enclos proche du cimetière de la Madeleine, puis, la nuit tombée, ils ont été ensevelis dans le charnier des Errancis, non loin de là.

Et le cadavre décapité de Lucile Desmoulins, l’« adorable petite blonde », la jeune mère de vingt-trois ans, celle dont Robespierre avait été le témoin de mariage, en même temps que Pétion et Brissot, et il avait songé à épouser la sœur de Lucile, et peut-être même Lucile, ce corps-là tant aimé par Camille, une semaine plus tard jour pour jour, le 24 germinal an II (13 avril 1794), fut jeté dans le même charnier des Errancis.

Fouquier-Tinville avait condamné Lucile Desmoulins pour avoir participé à la « conspiration du Luxembourg », censée rassembler les détenus afin qu’ils se soulèvent et brisent les portes des prisons et assassinent leurs gardiens.

Mais qui pouvait croire à la réalité de ce complot ?

Parmi les dix-neuf condamnés à mort ce jour-là, il y avait, aux côtés de Lucile Desmoulins, la veuve d’Hébert, l’ancien évêque de Paris Gobel, qui avait renoncé à sa foi devant la Convention, et aussi Chaumette, le procureur de la Commune.

Personne n’était à l’abri d’une accusation inventée de toutes pièces. Si bien qu’on tuait chaque jour davantage.

Fouquier-Tinville avait demandé au nouveau président du Tribunal révolutionnaire Dumas de « serrer la botte aux bavards », afin que les inculpés ne puissent, comme avait tenté de le faire Danton, « insulter » le Tribunal.

Qu’on les mette « hors des débats » comme la loi désormais l’autorisait.

Et sur rapport de Couthon, le 10 juin, 22 prairial an II, la Convention avait voté une nouvelle loi, retirant en fait toute garantie judiciaire aux accusés.

Ils sont livrés au Tribunal pour être condamnés et non jugés !

« Le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnaître… S’il existe des preuves soit matérielles, soit morales, indépendamment de la preuve testimoniale, il ne sera point entendu de témoin… La loi donne pour défenseurs aux patriotes calomniés des jurés patriotes ; elle n’en accorde point aux conspirateurs. »

Ainsi, le Tribunal révolutionnaire n’a le choix qu’entre l’acquittement et la mort.

« Il s’agit, dit Couthon, d’exterminer les implacables satellites de la tyrannie ou de périr avec la République. »

Tout citoyen peut devenir suspect, donc accusé, donc condamné à mort.

Il suffit « d’inspirer le découragement, de chercher à dépraver les mœurs, à altérer la pureté et l’énergie des principes révolutionnaires » pour devenir, malgré le vague de ces accusations, un ennemi de la Révolution.

Maximilien Robespierre, par deux fois, intervient à la tribune de la Convention, avec violence, exige que le vote soit unanime, pour rejeter les amendements que les députés veulent introduire afin de protéger de cette loi de Prairial, de cette loi de Grande Terreur, les membres de la Convention.

Maximilien refuse tout ajournement, tout amendement.

« Je demande, dit-il de sa voix aigre, que la Convention discute jusqu’à huit heures du soir s’il le faut. »

Et les conventionnels, paralysés, terrorisés, votent la loi de mort.