Выбрать главу

Robespierre, en quelques phrases, a effacé les différences politiques.

« La Montagne n’existe plus ! dit-il. Un Montagnard n’est autre chose qu’un patriote pur, raisonnable et sublime. »

« Il ne peut y avoir que deux partis dans la Convention, les bons et les méchants, les patriotes et les contre-révolutionnaires hypocrites. »

Ce n’est plus au nom de la « politique » que l’on tue, mais en invoquant la Vertu.

Ce ne sont pas des adversaires qui montent à l’échafaud, mais des fripons, des hypocrites, des méchants.

Le couperet de la guillotine tranche les nuques au nom de la Vertu.

Et Fouquier-Tinville jubile :

« Les têtes tombent comme des ardoises, dit-il, la semaine prochaine j’en décalotterai trois ou quatre cents. »

Dans les prisons de Paris s’entassent désormais 7 321 détenus, et alors qu’en plus d’un an – du 6 avril 1793 au 10 juin 1794 – le Tribunal révolutionnaire a prononcé 1251 condamnations à mort, en quarante-sept jours, il envoie 1 376 têtes « éternuer dans le sac » !

On tue vingt-sept fermiers généraux, ces percepteurs honnis des douanes intérieures d’Ancien Régime.

Et parmi eux, Lavoisier, le grand chimiste.

On tue Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI.

Et ce sont là assassinats de vengeance.

On « purifie » ainsi la République.

Sur la proposition de Robespierre, on crée à Orange une commission populaire pour juger les « fédéralistes », les « royalistes » du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône. Elle prononce trois cent trente-deux condamnations à mort.

C’est la Grande Terreur, mais Robespierre a fait décréter par la Convention dès le 25 germinal an II (14 avril 1794) que le corps de Jean-Jacques Rousseau serait placé au Panthéon.

Ainsi commence le régime de la Vertu.

Le 18 floréal (7 mai), l’incorruptible se dirige vers la tribune de la Convention, d’un pas plus compassé qu’à l’habitude, tel un grand prêtre s’apprêtant à prononcer un prêche, sur « les Principes de morale politique qui doivent guider la Convention ».

« L’immoralité est la base du despotisme, dit-il, la Vertu est l’essence de la République. »

Et « la morale est le fondement unique de la société civile ». Et l’« Être suprême » est la source de toute morale.

Il faut donc lutter contre l’athéisme, contre la « secte des Encyclopédistes ».

« Si l’existence de Dieu, si l’immortalité de l’âme n’étaient que des songes, elles seraient encore la plus belle de toutes les conceptions de l’esprit humain », conclut Robespierre d’un ton exalté.

Il met aux voix l’article 1 de sa loi :

« Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et de l’immortalité de l’âme. »

Et il précise que des fêtes seront organisées, « aux jours de décadi, en l’honneur de l’Être suprême, de la vérité et de la justice, de la pudeur et de la frugalité ».

Maximilien Robespierre n’entend pas les ricanements des athées, de ceux qui craignent sa dictature.

Il veut se persuader que, dit-il, « le peuple français semble avoir devancé de deux mille ans le reste de l’espèce humaine ».

Et il approuve la rédaction, l’impression, la diffusion de L’Évangile de la Liberté « adressé à l’Être suprême par les sans-culottes de la République française ».

« Ô père de Lumière, éternelle puissance, toi qui fais marcher le soleil devant la liberté pour éclairer ses travaux…

« La France est libre, le ciel a déposé dans ses mains la foudre et le tonnerre… L’Évangile de la Liberté est au centre de la terre. La France est l’effroi des tyrans…

« CREDO.

« Je crois à la nouvelle République française, une et indivisible, à ses lois et aux droits sacrés de l’homme, que le peuple français a reçus de la Montagne sacrée de la Convention qui les a créés.

« Les droits sacrés de l’homme avaient beaucoup souffert entre les mains des traîtres, mais ceux-ci sont tombés sous la faux de la guillotine, et ont été enterrés…

« Que le Peuple européen sortant de sa léthargie coupable reconnaisse les droits de l’homme, pour lesquels les vrais enfants de la France ont juré de vivre et de mourir :

Tremblez tyrans, tremblez esclaves

Traîtres échappés à nos coups

La France est couverte de braves

Qui sauront mourir comme nous. »

Mais Maximilien ne peut longtemps se laisser bercer par ces « prières républicaines ».

Au sein du Comité de salut public, et encore plus dans le Comité de sûreté générale, il sent monter la suspicion et même la haine.

Ce sont les Cordeliers, les hébertistes, les dantonistes, les ultra-révolutionnaires et les Indulgents, tous ceux qui ont survécu à Hébert et à Danton, et même à Marat, et les héritiers des Feuillants, des Girondins, des Enragés, les athées, les partisans de la confiscation des propriétés et des biens, et ceux qui redoutent la dictature vertueuse de l’incorruptible, qui se dressent contre lui.

Billaud-Varenne déclare :

« Tout peuple jaloux de sa liberté doit se tenir en garde contre les vertus mêmes des hommes qui occupent des postes éminents… Le fourbe Périclès, parvenu à s’emparer d’une autorité absolue, devint le despote le plus sanguinaire… »

La tension est si forte au Comité de salut public que Saint-Just accuse Carnot, qui lui aussi a dénoncé la dictature de Robespierre.

« Sache, dit Saint-Just, qu’il me suffirait de quelques lignes pour dresser ton acte d’accusation et te faire guillotiner dans deux jours. »

Carnot se tourne, et regarde avec mépris Saint-Just, Couthon, Robespierre.

« Je t’y invite, dit-il à Saint-Just, je ne te crains pas, ni toi ni tes amis, vous êtes des dictateurs ridicules, Triumvirs vous disparaîtrez ! »

Mais au contraire, chaque jour qui passe semble accroître la concentration des pouvoirs au bénéfice du Comité de salut public, et, à l’intérieur de celui-ci, aux mains de Robespierre, de Couthon et de Saint-Just. Vingt et un représentants en mission ont été rappelés à Paris afin de renforcer l’autorité du Comité.

Tallien, qui arrive de Bordeaux, Fouché, qui avait sévi à Lyon, Barras, qui s’était enrichi en pillant à son profit les biens des « royalistes » de Marseille puis de Toulon, savent que Robespierre n’ignore rien de leurs agissements.

Il les reçoit avec la froideur métallique d’un couperet.

Dans les départements, ils sont remplacés par des « agents nationaux » délégués du Comité de salut public.

Et c’est au sein du Comité de salut public que sont discutés, jaugés leurs rapports.

On décide d’imposer partout le français contre les patois, les langues régionales.

On prend des mesures pour créer un « fonds de mendicité » qui alimentera des secours publics donnés aux indigents. L’assistance médicale sera gratuite.

Et cette politique centralisée trouve sa plus grande réussite aux frontières, dans la conduite de la guerre.

« Nous marchons non pour conquérir, mais pour vaincre, déclare Billaud-Varenne à la Convention. Nous cesserons de frapper à l’instant où la mort d’un soldat ennemi serait inutile à la liberté. »

Et Billaud-Varenne – a-t-il lu Mallet du Pan ? – craint « l’ambition d’un chef entreprenant… L’histoire nous apprend que c’est par là que toutes les républiques ont péri. Un peuple guerrier devient esclave. »

Et le général Hoche est en prison, accusé d’avoir eu des sympathies pour les Cordeliers. Et le général Westermann a été guillotiné comme dantoniste. Et l’on surveille les généraux qui, avec l’armée des Alpes, conquièrent toute la Savoie, ou celle qui sous le nom « armée de Sambre-et-Meuse » et le commandement du jeune général Jourdan entreprend la reconquête de la Belgique. Ou l’armée qui libère tout le Roussillon.