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La patrie est-elle encore en danger, quand presque tout le territoire français est évacué par l’ennemi ?

Et si la nation est désormais en sûreté, pourquoi faut-il continuer à tuer ?

Or, le peuple est las de voir couler le sang.

« Avant-hier, 11 floréal (30 avril), un grand nombre d’accusés était au Tribunal révolutionnaire et soit précaution indiscrète, sans doute de la part des exécuteurs, soit erreur, l’instrument du supplice avait été dressé sur la place de la Révolution avant le jugement rendu, lit-on dans La Correspondance politique.

« Déjà une foule immense de spectateurs se pressait autour de l’échafaud et depuis longtemps était en attente, lorsque la nouvelle est arrivée que le Tribunal venait d’acquitter tous ceux qui étaient en jugement.

« Un cri s’élève aussitôt de tous les cœurs : “Vive la République !” La joie brille sur tous les fronts, plusieurs citoyens se hâtent de mettre la main à l’œuvre pour défaire l’échafaud, tous se félicitent d’avoir vainement attendu et se répandent dans les promenades voisines en bénissant la justice… »

Mais les têtes vont continuer de rouler.

Accusés d’avoir voulu livrer la Bretagne aux Anglais, vingt-six administrateurs du ministère sont guillotinés à Brest. Et c’est Robespierre qui incarne cette politique de la Grande Terreur qui, au nom de la Vertu et de la nécessité patriotique, tue de plus en plus.

Le 3 prairial (22 mai), un ancien domestique, Admirat, qui vit d’expédients, traîne de tripots en cafés, est l’amant d’une ci-devant, et peut-être en relation avec un agent du baron de Batz, cherche en vain à tuer Robespierre et tire deux coups de pistolet sur Collot d’Herbois, avouant aussitôt que c’est l’incorruptible qu’il voulait assassiner.

Le lendemain, 4 prairial, on arrête dans la cour de la maison des Duplay une jeune fille, accusée de vouloir poignarder Robespierre. Et cette Cécile Renault, fille d’un papetier du quartier de la Cité, est présentée comme une nouvelle Charlotte Corday.

À la Convention, Legendre, flagorneur, déclare que « le Dieu de la nature n’a pas souffert que le crime fût consommé ».

Et Robespierre, extatique, ajoute :

« Quand les puissances de la terre se liguent pour tuer un faible individu, sans doute ne doit-il pas s’obstiner à vivre, aussi n’avons-nous pas fait entrer dans nos calculs l’avantage de vivre longuement… »

Puis, après un silence, il poursuit comme une confidence :

« Je ne tiens plus à une vie passagère que par l’amour de la patrie et par la soif de la justice.

« J’ai assez vécu puisque j’ai vu le peuple français s’élancer du sein de l’avilissement et de la servitude, aux cimes de la gloire et de la liberté. »

Admirat et Cécile Renault, revêtus de la chemise rouge des parricides comme leurs cinquante-deux « complices » – qu’ils n’avaient jamais vus avant leur comparution devant le Tribunal révolutionnaire –, sont condamnés à mort et exécutés, le 17 juin (29 prairial).

Parmi les suppliciés, on trouve les dames de Saint-Amaranthe qui tenaient un salon de jeu au ci-devant Palais-Royal, où l’on rencontrait souvent le frère cadet de l’incorruptible, Augustin Robespierre, plus homme de plaisir que de vertu.

Et la haine contre Maximilien, « père » de la nation, croît encore après cette parodie de justice.

À la Convention, le député de Versailles, Lecointre, proche de Danton, rédige en secret un acte d’accusation contre Robespierre et s’engage avec huit autres braves à égorger le « nouveau César » en pleine Assemblée.

Robespierre sent la haine qui monte contre lui.

Il y a celle d’un Tallien, d’un Fouché, d’un Barras et d’un Fréron, qui intriguent.

Ces « missionnaires de la Terreur », corrompus, craignent d’être victimes de Maximilien, le « dictateur vertueux ».

Il y a ceux, tel Fouché, qui athées, déchristianisateurs, se moquent du culte de l’Être suprême que Robespierre veut organiser.

Faut-il une religion d’État à la République ?

Et il y a ceux qui soupçonnent Robespierre de vouloir établir la dictature, devenant une sorte de Cromwell.

Barère, patriote modéré et habile, sous prétexte de dénoncer l’Angleterre, cite abondamment les journaux anglais qui évoquent les « soldats de Robespierre ».

Et tous, pour des raisons différentes, craignent que le « tyran », s’il ne tombe pas, ne les fasse monter dans la charrette qui conduit à l’échafaud.

Fréron, Barras, Tallien, Fouché, sont terrifiés quand, reçus par Robespierre, ils mesurent son mépris. Son visage est « aussi fermé que le marbre glacé des statues ».

Fouché tremble encore lorsqu’il se remémore la question que lui a lancée Robespierre :

« Dis-nous donc, Fouché, qui t’a donné mission d’annoncer au peuple que la divinité n’existe pas ? »

Fouché a baissé la tête.

Et Robespierre, avec ses gestes feutrés, impose son autorité.

Barras, lui rendant visite chez les Duplay, trouve le général Brune en train d’éplucher les légumes avec Madame Duplay et sa fille Éléonore qu’on dit fiancée à Maximilien.

Quand l’incorruptible quitte la maison, Couthon, Saint-Just, Le Bas, l’entourent avec déférence.

Le nouveau maire de Paris, Fleuriot-Lescot, Hanriot commandant de la garde nationale, Fouquier-Tinville, les jurés et le président du Tribunal révolutionnaire Dumas, lui font escorte.

Les conventionnels, fussent-ils hostiles, n’ont pas le courage de se dresser contre l’incorruptible alors même qu’ils récusent sa politique de la Terreur et de la Vertu, et qu’ils jugent que les victoires militaires – la plus décisive sera celle de Fleurus, le 26 juin 1794,8 messidor an II, remportée par l’armée de Sambre-et-Meuse – permettraient de desserrer le carcan qui opprime la nation.

Mais ils n’osent pas, craignant pour leur vie, et ils élisent le 4 juin, à l’unanimité de quatre cent quatre-vingt-cinq voix, Maximilien Robespierre président de la Convention.

L’Incorruptible, pendant quelques heures, offre un visage souriant, comme illuminé par le sentiment qu’enfin il est reconnu, compris.

Brève euphorie !

Le 6 juin, l’habile Fouché se fait élire président du club des Jacobins.

Le visage de Robespierre se ferme.

L’élection de Fouché est à ses yeux un défi, un scandale. D’autant plus que Fouché, paraissant se rallier au culte de l’Être suprême, déclare aux Jacobins :

« Brutus rendit un hommage digne de l’Être suprême, en enfonçant un poignard dans le cœur d’un tyran : sachez l’imiter ! »

N’est-ce pas là un appel au meurtre de Robespierre ? La preuve que Fouché est l’âme d’une conspiration qui se trame ?

L’Incorruptible n’en doute plus.

Fouché, répond-il, est l’homme qui à Lyon a commandé de tirer à mitraille sur la foule au lieu de faire juger les contre-révolutionnaires.

Le temps viendra, où il devra répondre de ses actes.

Cette lutte contre ces nouveaux ennemis qui commence, Maximilien pressent qu’elle sera la plus dure, la plus sanglante, peut-être la dernière, il lui semble qu’il peut d’autant mieux l’engager, et en tout cas lui donner la signification la plus haute, en célébrant le 20 prairial (8 juin) la fête de l’Être suprême.

Il est le président de la Convention.

Il marche des Tuileries au Champ-de-Mars à la tête de tous les députés.

Il a revêtu un habit bleu céleste serré d’une écharpe tricolore. Il tient un bouquet de fleurs et d’épis à la main.