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La foule est immense. Les façades décorées de fleurs et de feuillages.

La musique de Gossec et de Mehul rythme la marche.

Puis Robespierre parle d’une voix de prédicateur.

Devant la statue de la Sagesse, il met le feu à des mannequins qui symbolisent l’athéisme, l’ambition, l’égoïsme et la fausse simplicité.

Il officie. Il n’entend pas les moqueries des conventionnels. Ni la voix de Lecointre qui ose le traiter de « tyran ». Il ne voit pas les députés, qui « abandonnent la fête et s’en vont se rafraîchir en ville chez un cafetier ».

Il parle une seconde fois, prononce une prière à l’Éternel, puis il prend la tête du cortège, qu’ouvre un char traîné par des bœufs aux cornes dorées.

Au Champ-de-Mars, « des hymnes, des décharges d’une artillerie tonnante, des cris de “Vive la République !”, ont terminé la plus majestueuse des fêtes ».

Maximilien Robespierre a vécu son rêve. Mais quand il rentre chez les Duplay, il dit :

« Vous ne me verrez plus longtemps. »

Il n’est pas dupe, le lendemain, de ce qu’écrivent les journaux aux ordres.

« Jamais la joie n’a été plus vive et plus sage à la fois. Jamais cérémonie publique n’a été en même temps plus animée et plus régulière. Le vent frais du couchant qui a régné toute cette belle journée a empêché de sentir ni la chaleur ni la fatigue. »

Deux jours plus tard, Couthon fait voter cette loi, dite de Prairial, qui laisse les inculpés sans défense devant le Tribunal révolutionnaire.

C’est la Grande Terreur.

Et la Convention a même décrété que les douze armées de la République ne feraient plus de prisonniers.

Décret qui ne sera pas appliqué par les généraux, mais qui donne la mesure de l’exaltation patriotique confinant au fanatisme qui fait même renoncer aux principes d’humanité :

Le régiment de Sambre-et-Meuse

Marchait toujours au cri de liberté

Sur la route glorieuse

Qui l’a conduit à l’immortalité.

On marche en entonnant Le Chant du départ :

La République nous appelle

Sachons vaincre ou sachons mourir

Un Français doit vivre pour elle

Pour elle un Français doit mourir.

Et le Comité de salut public célèbre le sacrifice des marins du Vengeur du peuple qui, en rade de Brest, a permis à un convoi de cent cinquante navires chargés de blé d’échapper à la flotte anglaise.

Vérité ? Légende, pieux mensonge ? Le Vengeur du peuple aurait coulé au moment où il se rendait à l’ennemi.

Ainsi le rêve se brise, ou côtoie une réalité contradictoire, hostile.

« Robespierre est revenu de la procession – la fête de l’Être suprême –, écrit un témoin, le libraire-imprimeur Ruault, comme il y était allé, couvert d’applaudissements par les gens de son parti et les exécrations secrètes de ceux qui ont horreur du sang humain qu’il fait verser plus abondamment que jamais depuis la loi du 22 prairial.

« Le Tribunal révolutionnaire envoie maintenant des condamnés à mort par six ou sept charrettes à la fois. On a changé la scène des massacres : c’est à la barrière du Trône qu’on les fait mourir par soixante ou quatre-vingts. On y établit des couloirs souterrains pour recevoir le sang qui infectait le voisinage dans la chaleur de cet été…

« Nous avons vu périr ces dernières semaines ce qui restait de plus grand et de plus illustre en France et aussi ce qu’il y avait de plus riche.

« On fait traverser aux condamnés pour aller au lieu de supplice la partie la plus populeuse et la plus mouvante : il n’y a presque pas de jour que les allant et venant ne voient parmi ce nombre de victimes quelqu’un de leur connaissance, un ami, un parent…

« Au Tribunal révolutionnaire, on comparaît au nombre de cinquante, soixante, soixante-dix, assis sur une estrade à cinq ou six rangs… Pour la forme encore on mêle dans ce nombre d’accusés quelques individus censés coupables de quelques paroles indiscrètes et on les acquitte pour se donner un air de clémence et de générosité… Les juges et les jurés sont aux ordres absolus des deux hyènes du Comité de salut public, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, car depuis quelque temps Robespierre ne se rend plus aux séances de ce Comité, et d’une autre hyène encore, Amar, du Comité de sûreté générale… Comment donc faire avec de pareils hommes qui prennent tout de travers qui ne croient à la bonne foi de personne…

« Le vice dominant de Robespierre n’est point la cruauté, son faible génie est tout en ambition. Le public lui donne la priorité en férocité : le public se trompe. La manie de Robespierre est de se croire capable d’établir et de mener seul la République : il ne peut souffrir de rivaux dans cette périlleuse fonction… Robespierre se croit cet homme nécessaire, ce dictateur désiré des esprits sages… Mais aucun citoyen n’est assuré d’exister deux jours encore tant que Billaud et Collot domineront le Comité de salut public.

« … Collot est venu vers minuit dans l’imprimerie pour faire des changements et des corrections dans ses discours…

« Je ne puis vous cacher, mon cher ami, confie Ruault, que j’éprouvais une espèce de tremblement en voyant de si près la figure farouche de Collot, aux gros yeux noirs et hagards, aux sourcils épais et foncés, à la crinière drue et mêlée.

« Il me semblait voir le génie infernal, le démon exterminateur qui plane sur la France. »

Robespierre devine le malaise, la peur, l’angoisse qui étreint le pays. Quelle politique choisir ?

Hésitant, il déserte durant près d’une vingtaine de jours les séances du Comité de salut public, tant les rapports sont tendus entre les membres du Comité.

D’un côté Maximilien et ses proches, Couthon et Saint-Just, de l’autre Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Carnot, opposés entre eux, mais tous hostiles à Robespierre.

Les algarades sont si violentes, le vacarme si grand, que les séances se tiennent désormais au premier étage, afin de tenter de masquer les divergences, les disputes qui fracturent le Comité.

Robespierre s’enferme chez les Duplay, incapable de supporter cette contestation, cette tension.

Mais au nom du Comité de sûreté générale, Vadier, un Montagnard, présente un rapport, à propos d’une ancienne nonne, Catherine Théot, surnommée la mère de Dieu, et d’un dom Gerle, ancien constituant protégé de Robespierre.

Ces deux-là, et d’abord la mère de Dieu, ne conspirent-ils pas à l’instigation de Robespierre, en le présentant comme le Messie ?

Maximilien sent bien qu’on vise à la fois à le discréditer, à le compromettre et à le ridiculiser.

Lui, le Messie ?

On s’esclaffe. Mais Robespierre, au lieu d’ignorer cette machination, tombe dans le piège tendu, se faisant remettre le dossier de la mère de Dieu, par le Tribunal révolutionnaire et obtenant que la comparution de Catherine Théot soit renvoyée.

Il demande même sans l’obtenir la révocation de Fouquier-Tinville. Protège-t-il la mère de Dieu ?

Même ses plus proches partisans le supplient de condamner Catherine Théot, de s’élever contre toute forme de mysticisme.

Il se tait, mais il retourne au Comité de salut public.

C’est là qu’il apprend de la bouche de Saint-Just que les armées de Jourdan ont remporté une victoire décisive sur les Autrichiens à Fleuras.

Mais ce succès qui prouve l’efficacité de la politique du Comité de salut public au lieu de rassembler ses membres les divise plus encore.

Pour ou contre Robespierre et sa politique de Terreur et de Vertu ?