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Mais en fait, les membres des Comités comprennent qu’ils doivent cesser de se déchirer et faire front commun, contre le mécontentement et la lassitude qui gagnent. Et ils insistent le 22 juillet (4 thermidor) pour que Robespierre revienne au Comité de salut public.

Ils paraissent prêts à s’entendre avec l’incorruptible. Barère est chargé de présenter un rapport à la Convention, « sur les moyens de faire cesser la calomnie et l’oppression sous lesquelles on a voulu mettre les patriotes les plus ardents ». Chacun comprend que c’est un pas vers Robespierre, le calomnié, le ridiculisé.

Et le 23 juillet (5 thermidor), Maximilien s’assied avec les autres membres des deux Comités autour de la grande table verte.

« Nous sommes tes amis, nous avons toujours marché ensemble », dit Billaud-Varenne.

Et le soir à la Convention, Billaud-Varenne, avec enthousiasme, annonce la réconciliation des patriotes qui siègent dans les Comités.

Robespierre se tait.

Il écoute, impassible, son fidèle Couthon déclarer le 6 thermidor (24 juillet) que la « Convention doit écraser les cinq ou six petites figures humaines dont les mains sont pleines de richesses de la République et dégouttantes du sang des innocents qu’ils ont immolés ».

Et le lendemain 7 thermidor (25 juillet), Maximilien demeure impassible quand Barère prononce son éloge. Mais l’incorruptible donne l’impression à certains d’être un chat ou un tigre prêt à bondir, les yeux brillants de rage. Et en effet, Maximilien vient d’apprendre que Saint-Just s’est engagé à ne plus faire mention de l’Être suprême ni de l’immortalité de l’âme dans un rapport sur les institutions qu’il doit rédiger.

Maximilien a le sentiment d’être trahi à la fois par Saint-Just et par Couthon.

Il est seul. Il doit se défendre et attaquer seul.

Le 8 thermidor (27 juillet), il monte à la tribune de la Convention.

Il veut dire ce qui depuis des semaines, des mois même, pèse sur son âme et l’étouffe.

Il veut donner sa vision de la Révolution.

Il veut énoncer son programme.

Et il sait que ce discours peut devenir, et peut-être le souhaite-t-il, son testament.

Ce 8 thermidor an II (26 juillet 1794) est une journée torride, sous un soleil aveuglant et brûlant. Maximilien gravit lentement les degrés, saisit à deux mains le pupitre, commence à parler d’une voix plus tendue encore qu’à l’habitude.

Chaque mot tombe, tranchant le silence.

Lui, l’homme du Comité de salut public, lui le Montagnard, il se tourne vers le Marais. Il fait l’apologie de la Convention. Il condamne la Montagne, les Comités, leur impuissance.

Il se fait gloire d’avoir préservé la vie de soixante-treize députés girondins. Il est à la fois habile manœuvrier, critiquant la conduite des finances, de la guerre, du Tribunal révolutionnaire, et en même temps, il parle avec la franchise d’un homme qui se met à nu.

« J’ai besoin d’épancher mon cœur, dit-il. Tout s’est ligué contre moi et contre ceux qui avaient les mêmes principes… Je n’écoute que mon devoir, je vois le monde peuplé de dupes et de fripons. Mais le nombre de fripons est le plus petit : ce sont eux qu’il faut punir des crimes et des malheurs du monde. »

Qui sont-ils ?

Il ne révèle aucun nom et chaque conventionnel se sent aussitôt suspect.

« Je ne veux ni l’appui ni l’amitié de personne, poursuit Maximilien. Je ne cherche point à me faire un parti. »

Les conventionnels figés écoutent sans interrompre cet homme qui se découvre, en même temps qu’ils ont le sentiment qu’il les menace tous.

« Mon existence seule, dit Robespierre, est pour les fripons et les traîtres un objet d’épouvante. »

Et d’autant plus qu’il ne craint pas la mort.

« Pourquoi demeurer dans un ordre de choses où l’intrigue triomphe éternellement de la Vérité ? Comment supporter le supplice de voir cette horrible succession de traîtres ? J’ai tremblé quelquefois d’être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur de ces hommes pervers. »

On commence à murmurer sur les bancs de la Convention.

On hausse la voix quand Robespierre remet en cause la Révolution elle-même.

« Ma raison, non mon cœur, dit-il, est sur le point de douter de cette République vertueuse dont je m’étais tracé le plan… Car nous n’avons même pas le mérite d’avoir entrepris de grandes choses pour des motifs vertueux. »

Les conventionnels sont comme terrassés par ces aveux, ce jugement impitoyable, celui qu’on peut porter lorsqu’on est au seuil de la mort.

« Je ne veux ni l’appui ni l’amitié de personne », ajoute Maximilien.

Et la Convention fascinée décide que le discours sera imprimé.

Elle semble ainsi approuver et suivre Maximilien Robespierre et lui remettre le pouvoir.

Tout à coup Cambon, le responsable des finances du Comité de salut public, se dresse. Il a été mis en cause, il se défend.

« Avant d’être déshonoré, dit-il, je parlerai à la France. Un seul homme paralyse la volonté de la Convention, cet homme, c’est Robespierre. »

Billaud-Varenne intervient à son tour, demande qu’avant d’être imprimé le discours soit soumis à l’examen des Comités.

« Il faut arracher le masque, dit-il. J’aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux que de devenir par mon silence complice de ses forfaits. »

L’exaspération, la colère gagnent de nombreux conventionnels. L’un dit qu’il existe une liste de proscrits et que Robespierre doit la communiquer à l’Assemblée.

Robespierre le nie, mais ajoute qu’il refuse de « blanchir tel ou tel ».

Le conventionnel Charlier, l’un des plus ardents partisans de la Terreur, s’écrie :

« Quand on se vante d’avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la vérité. Nommez ceux que vous accusez ! » « Oui, oui, nommez-les ! »

« Je persiste dans ce que j’ai dit », répond Robespierre.

Amar, du Comité de sûreté générale, dénonce sur un ton méprisant « l’amour-propre blessé qui vient troubler l’Assemblée ».

Fréron demande que l’on retire aux Comités le droit de faire arrêter les députés.

Robespierre descend de la tribune. Il reste impassible quand la Convention ordonne que l’impression de son discours soit suspendue.

La séance est levée à cinq heures.

Robespierre a perdu ce premier combat. Il ne s’en soucie pas. Il ira ce soir au club des Jacobins relire son discours. Et demain, la Convention s’inclinera.

Les Jacobins, comme il l’a prévu, l’acclament.

« En jetant mon bouclier, commence-t-il, je me suis présenté à découvert à mes ennemis. Je n’ai flatté personne. Je n’ai calomnié personne. Je ne crains personne. »

Les Jacobins découvrent dans la salle du club Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. On les bouscule. On crie : « À la guillotine ! À la guillotine ! » Et on les expulse.

Maximilien Robespierre reprend son discours, dont chaque phrase est saluée avec ferveur.

« Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner, dit-il. Le temps n’est point arrivé où les hommes de bien peuvent servir impunément la patrie. Les défenseurs de la liberté ne seront que des proscrits tant que la horde des fripons dominera.

« Citoyens… »

Il s’interrompt, se redresse, comme s’il voulait offrir son corps à qui le vise.

« Citoyens…

« Je leur lègue la vérité terrible et la mort. »

La nuit est belle et légère après la journée suffocante.

Dans quelques heures, ce sera l’aube du 9 thermidor an II, 27 juillet 1794.

15.

« La vérité terrible et la mort » : ces mots de Robespierre inquiètent et angoissent de nombreux membres des Comités de salut public et de sûreté générale, du Tribunal révolutionnaire et de la Convention.