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Et comme l’incorruptible a refusé de donner les noms de ceux qu’il vise, la peur se propage.

Certains ne doutent pas du sort que l’incorruptible leur réserve.

Fouché, lorsqu’il se rend auprès des députés du Ventre, cette Plaine, ce Marais, qui occupent le centre de la Convention et qui siègent précisément en face de la tribune, et forment un groupe de conventionnels compact qui, par son vote, peut faire basculer l’Assemblée – pour ou contre Robespierre

— ne cache pas que sa vie est en jeu.

« J’ai l’honneur d’être inscrit sur les tablettes de Robespierre, à la colonne des morts », dit Fouché.

Il parle avec passion à Boissy d’Anglas qui, depuis son élection en 1789, aux États généraux, mène une prudente carrière et est devenu à la Convention l’un des membres les plus influents de ce Ventre.

Fouché veut le convaincre que renverser l’incorruptible, c’est mettre fin à la Terreur, à cette loi de Prairial qui transforme chaque citoyen en suspect et donc en condamné, selon le bon plaisir du Tribunal révolutionnaire.

Barras, Fréron, mais aussi Collot d’Herbois et Billaud-Varenne, que les Jacobins viennent de chasser du club en les menaçant du « rasoir national », appuient Fouché.

Boissy d’Anglas réunit ses collègues du Marais.

Si les Montagnards, à la suite de Fouché et des autres « terroristes » anciens représentants en mission, corrompus, abandonnent Robespierre, si l’incorruptible n’est plus entouré que de quelques amis sûrs et critiqué par les plus humbles des citoyens, écrasés par la misère, las et mécontents, alors il y a un avenir pour le Marais, le Ventre, la Plaine.

Dans la nuit du 8 au 9 thermidor, Fouché et Tallien pressentent que les modérés de la Convention, les prudents et les lâches, les héritiers des Feuillants commencent à redresser la tête, prêts à saisir l’occasion d’abattre Robespierre et ces lois terroristes, si elle se présente.

Tallien insiste.

Il viendra, le 9 thermidor, avec un poignard. Car il ne s’agit pas seulement de sa vie, mais de celle aussi de Thérésa Cabarrus, sa femme aimée, cette fille de banquier et armateur espagnol, qu’il a rencontrée à Bordeaux.

On l’avait arrêtée parce que son père était aussi agioteur, corrompu et corrupteur, riche et donc suspect. Tallien avait réussi à la faire libérer, mais, venue à Paris, elle a de nouveau été arrêtée, en mai, et elle n’échapperait pas à la Sainte Guillotine si Robespierre et Saint-Just, Couthon, Le Bas, et ses partisans à la Commune de Paris continuaient de dominer le pouvoir.

Il fallait que Robespierre tombe.

Et Tallien dénonce le discours prononcé la veille par l’incorruptible à la Convention et répété au club des Jacobins.

Phrases hypocrites, apologétiques, annonçant la tyrannie, dit-il.

Et ce sont ces mêmes accusations que Collot d’Herbois, Billot-Varenne ont reprises au Comité de salut public, lorsqu’ils sont rentrés du club des Jacobins, au milieu de la nuit. Ils ont entouré Saint-Just, qui écrit.

« Tu rédiges notre acte d’accusation ? » lui demandent-ils.

Saint-Just les toise.

« Eh bien oui, tu ne te trompes pas Collot, et toi aussi, ajoute-t-il en se tournant vers Carnot, tu n’y seras pas oublié non plus et tu t’y verras traité de main de maître. » Et Saint-Just reprend la plume, indifférent aux colères des autres.

Vers cinq heures du matin, il range ses notes, se lève, impassible, et s’éloigne d’un pas tranquille.

Il a l’intention, avant la chaleur qui s’annonce étouffante, d’aller chevaucher au bois de Boulogne, pour respirer un air encore frais.

Mais il suffit de quelques heures, ce 9 thermidor, pour qu’une chaleur orageuse étouffe Paris, sous l’épaisseur sombre de nuages bas, que déchire parfois la foudre.

Dans le pavillon de Flore, Billaud-Varenne, Barère, Collot d’Herbois, Carnot, vont et viennent, s’épongent le front, échangent quelques phrases, consultent leurs montres.

Ils attendent Saint-Just qui est censé venir leur lire son discours. C’est Couthon qui arrive. Le paralytique est lui aussi en sueur. On le questionne, on se dispute. On l’accuse de trahir, comme Saint-Just, le Comité.

Tout à coup, vers midi, un huissier apporte un message de Saint-Just.

Collot d’Herbois le parcourt, a une exclamation de fureur, le lit à haute voix :

« Vous avez flétri mon cœur, écrit Saint-Just, je vais l’ouvrir tout entier à la Convention nationale. »

On s’indigne. On court vers la Convention, puisque c’est devant elle que va se livrer la bataille.

Finis les apparences ou les espoirs de réconciliation au sein des Comités.

Les conventionnels vont trancher, pour ou contre Robespierre.

« Le Ventre est avec nous », murmure Fouché.

Mais les tribunes sont peuplées de robespierristes. Ils acclament Robespierre qui, vêtu de l’habit bleu qu’il n’a porté que pour la fête de l’Être suprême, gagne sa place du pas d’un prêtre qui se dirige vers l’autel.

Saint-Just le rejoint, avec lui aussi la démarche d’un officiant, élégant dans son habit chamois, son gilet blanc et sa culotte gris tendre. C’est lui qui, vers une heure de l’après-midi de ce 9 thermidor an II, monte le premier à la tribune de la Convention.

Collot d’Herbois préside la séance, et déjà il brandit la clochette qui lui permettra d’interrompre les débats et même de couvrir la voix de l’orateur.

Saint-Just s’apprête à parler. Il tourne la tête, regarde à sa droite et à sa gauche les deux tableaux représentant l’un Marat, l’autre Le Peletier, les deux « martyrs » assassinés. Entre eux l’« Arche sainte » contenant le texte de la Constitution de 1793 – l’an I –, jamais appliquée.

Saint-Just commence d’une voix calme, posée :

« Je ne suis d’aucune faction, dit-il, je les combattrai toutes… » Des applaudissements l’interrompent, mais ils saluent l’entrée de Billaud-Varenne.

« Quelqu’un cette nuit, reprend Saint-Just, a flétri mon cœur et je ne veux parler qu’à vous. On a voulu répandre que le gouvernement était divisé, il ne l’est pas, une altération politique que je vais vous rendre a seulement eu lieu. » Robespierre a un geste d’irritation. Il lui semble que Saint-Just se dérobe, Saint-Just veut ainsi éviter l’affrontement, par prudence, parce qu’il a pris conscience de la force de ses adversaires. Il veut rassurer ce Ventre modéré dont les députés sont aux aguets, sans doute prêts à rallier Fouché, Barras, Tallien. Et ce dernier bondit à la tribune, repousse Saint-Just : « Hier, dit-il, criant presque, un membre du gouvernement s’en est isolé et a prononcé un discours en son nom particulier, aujourd’hui un autre fait la même chose, je demande que le rideau soit déchiré. »

« Il le faut, il le faut », scandent plusieurs dizaines de conventionnels.

Saint-Just ouvre la bouche, mais Billaud-Varenne se précipite à la tribune avant même que Tallien en soit descendu.

« Je m’étonne de voir Saint-Just à la tribune après ce qui s’est passé, dit-il. Il avait promis aux deux Comités de leur soumettre son discours avant de le lire à la Convention et même de le supprimer s’il leur semblait dangereux… »

Saint-Just se tait, immobile, impassible, inébranlable mais paralysé, devenu plus spectateur qu’acteur.

Et Billaud-Varenne continue, raconte la séance au club des Jacobins.

« On a eu l’intention d’égorger la Convention », clame-t-il.

Il désigne un homme assis dans les tribunes, demande son expulsion en l’accusant d’être celui qui au club des Jacobins a attaqué la Convention.

« La Convention périra si elle est faible ! » crie Billaud-Varenne.