« Non, non, non », répondent les députés de la Montagne en agitant leurs chapeaux.
Le Bas veut parler. Collot d’Herbois agite la clochette, les tintements, les cris étouffent la voix de Robespierre, cependant que Billaud-Varenne attaque l’incorruptible.
Et quand Robespierre s’élance vers la tribune pour parler, la clochette de Collot d’Herbois sonne, le rend inaudible, et les cris de « À bas le tyran ! » retentissent.
Onze fois Robespierre essaie de parler, mais le nouveau président de séance, Thuriot, agite frénétiquement la clochette et étouffe sa voix.
« De quel droit, lui lance Robespierre, le président protège-t-il les assassins ? »
Tallien est remonté à la tribune.
« J’ai vu hier la séance des Jacobins, crie-t-il. J’ai frémi pour la patrie. J’ai vu se former l’armée du nouveau Cromwell et je me suis armé d’un poignard pour lui percer le sein si la Convention n’avait pas le courage de le décréter d’arrestation ! »
Tallien brandit et agite le poignard.
Robespierre hurle, mais qui l’entend dans les cris, le tintement de la clochette ?
« Pour la dernière fois, président d’assassins, me donneras-tu la parole ? »
Il a le visage congestionné, il continue de parler. Il se tourne vers les députés de la Plaine, ces hommes du Ventre.
« Hommes purs, commence-t-il, hommes vertueux c’est à vous que j’ai recours ! Accordez-moi la parole que les assassins me refusent. »
Mais comment peut-il espérer que ces hommes dont tout
— l’invocation de l’immortalité de l’âme, de l’Être suprême, de la Terreur et de la Vertu – le sépare le soutiennent ?
En fait, c’est la dernière chance de Robespierre.
Abandonné par la Montagne, par les hommes des Comités – Vadier, Barère, interviennent à leur tour –, il est seul.
Un député de l’Aveyron, inconnu, Louchet, que personne jamais n’a entendu, se dresse :
« Je demande le décret d’accusation contre Robespierre », dit-il.
Et les mains se lèvent pour voter le décret.
Robespierre tente de parler, s’avance au milieu des travées.
On l’interpelle :
« Le sang de Danton t’étouffe », crie un député.
« Ne t’avance pas, lance Fréron, c’est là que s’asseyaient Condorcet et Vergniaud. »
On réclame l’arrestation immédiate du « monstre ».
La peur si longtemps contenue devient rage.
« Brigands ! Les lâches ! Les hypocrites, hurle Robespierre.
« Je demande la mort. »
Puis, alors que les cris de « À bas le tyran ! Décret d’accusation ! » retentissent, il lance :
« Les brigands triomphent. »
Augustin Robespierre se dresse.
« Je suis aussi coupable que mon frère, dit-il. Je partage ses vertus, je demande aussi le décret d’accusation contre moi. »
Le Bas, aussitôt, déclare :
« Je ne veux pas partager l’opprobre de ce décret, je demande aussi l’arrestation. »
L’arrestation est même votée pour Saint-Just, silencieux, comme absent, et pour Couthon.
« Couthon est un tigre altéré du sang de la représentation nationale, crie Fréron. Il voulait se faire de nos cadavres autant de degrés pour monter sur le trône. »
Couthon, assis sur sa chaise roulante, ricane, montrant ses jambes paralysées :
« Oui, je voulais monter au trône. »
« Arrestation, arrestation », crie-t-on.
Saint-Just, Le Bas, Couthon, Augustin Robespierre sont décrétés d’arrestation, comme Maximilien.
Des gendarmes s’approchent.
« La Liberté et la République vont donc enfin sortir de leurs ruines », s’écrie Fréron.
« Oui, car les brigands triomphent », répète Robespierre pendant que les gendarmes l’entraînent, avec ses quatre compagnons.
Saint-Just, à la demande de Collot d’Herbois, dépose d’un geste lent, tranquille, le texte de son discours sur le bureau du président !
La chaleur est intense, moite, lourde.
Il est presque cinq heures, ce 9 Thermidor.
Robespierre est épuisé.
Il dévisage lentement son frère Augustin, Couthon, Saint-Just, Le Bas.
Tous dans cette salle du Comité de sûreté générale où on les a conduits, paraissent à bout de force.
Robespierre baisse la tête après avoir longuement fixé Saint-Just qui, bras croisés, semble indifférent.
Cet homme si jeune, si beau, a-t-il songé à l’abandonner lui aussi ?
On entend des éclats de voix !
Vadier et Amar dans une salle voisine décident de disperser les prisonniers dans les différentes prisons de Paris, et, en attendant leur départ, on leur sert à dîner.
Ils parlent peu.
Une insurrection comme celle qui, le 31 mai et le 2 juin 1793, a imposé à la Convention l’arrestation des députés girondins, est-elle possible ?
Robespierre est réticent. Il ne veut pas violer la loi. Et la Convention est la représentation du peuple souverain.
Et tout à coup, le tocsin qui retentit.
Le Conseil général de la Commune, à l’Hôtel de Ville, a dû apprendre les arrestations. Et le maire de Paris, Fleuriot-Lescot, est un fidèle robespierriste. Il appelle les patriotes à se rassembler en armes, il mobilise la garde nationale que commande le général Hanriot, un robespierriste lui aussi.
Le maire ordonne aux concierges des prisons de ne pas accepter les prisonniers qu’on leur présenterait.
Brutalement, les portes de la salle où se trouve Robespierre s’ouvrent avec fracas. Des gendarmes de la Convention poussent dans la salle Hanriot, bras liés.
Éméché, il avait à cheval harangué, au Palais-Royal, les citoyens, les appelant à « exterminer les trois cents scélérats qui siègent à la Convention ».
Les gendarmes n’avaient eu aucune peine à se saisir de lui.
Est-ce la fin ? L’insurrection mort-née, les robespierristes condamnés.
Mais les concierges des prisons obéissent à la Commune, refusent de recevoir les prisonniers qu’on vient de leur présenter. On conduit Robespierre à la mairie, quai des Orfèvres. On l’y accueille par des cris de joie. Il est libre. Il n’est que huit heures du soir.
Tout serait-il encore possible ?
Le vice-président du Tribunal révolutionnaire Coffinhal est parti pour les Tuileries avec deux cents canonniers et des gardes nationaux, représentant seize sections, même si la majorité – trente-deux – ont refusé de marcher.
On délivre Hanriot, mais le général dégrisé refuse de faire bombarder les Tuileries, et se rend à l’Hôtel de Ville où il retrouve les autres prisonniers.
Robespierre vient d’y arriver. Il a fallu que le maire Fleuriot-Lescot l’arrache à ses hésitations, à sa passivité, à sa prudence. Car il ne veut pas prendre la tête de l’insurrection.
Par souci de légalité ? Par habileté ? Afin de rester au-dessus des factions ?
Par épuisement nerveux et sentiment que tout est perdu, que la mort est là, parce que les « brigands triomphent » et que Maximilien est fasciné, attiré par cet échec – et sa mort -qui se dessine.
Mais il n’a pas pu se dérober à l’appel de Fleuriot-Lescot, du Conseil général de la Commune.
« Le Comité d’exécution a besoin de tes conseils, viens sur-le-champ à l’Hôtel de Ville », lui a-t-on écrit.
Et d’ailleurs, comment refuser alors que la Convention déclare hors la loi tous les partisans de Robespierre ?
C’est donc l’insurrection, le conflit armé avec la Convention, l’obligation de jouer son va-tout.
Il faut rassembler tous les robespierristes.
Couthon sera le dernier à rejoindre l’Hôtel de Ville. Il s’obstine à ne pas vouloir quitter la prison de La Bourbe où on l’a accepté.
À toutes les sollicitations, il répond qu’il est fidèle aux principes que lui a enseignés l’incorruptible : respecter la souveraineté de la Convention.