Les Jacobins ont le dessous. Ils abandonnent sur place carmagnoles et bonnets rouges, et s’enfuient par la rue Saint-Honoré, insultés, sous les crachats et les coups de plat de sabre ou de gourdin.
Le 22 brumaire (12 novembre), la Convention décide la fermeture du club des Jacobins.
L’« infortunée jacobinaille » est dispersée. L’« infernale société » fermée.
On se gausse dans les pamphlets thermidoriens.
« De vigoureux athlètes munis de larges mains saisissent les Jacobines éplorées et sans pitié pour leur vertu, sans égard pour le froid de l’air, découvrent leur postérieur oppressé. »
Il s’agissait de venger les bonnes sœurs de l’Hôtel-Dieu qui avaient été fouettées par les femmes de la Halle, le 7 avril 1791…
Une époque de la Révolution se termine.
Le club des Cordeliers avait été frappé à mort par le club des Jacobins.
Celui-ci est à son tour annihilé. Comme Robespierre avait rejoint dans la mort Danton.
La voie est libre pour les Thermidoriens.
On prétend que Thérésa Cabarrus, Notre-Dame de Thermidor, Notre-Dame du Bon Secours, devenue épouse Tallien, a elle-même fermé les portes du club des Jacobins. En fait, c’est un commissaire de police qui a apposé un cadenas sur la porte de la rue Saint-Honoré. Mais la fable, après la scène des « Jacobines fessées », est symbolique.
Le journaliste Claude Beaulieu, monarchiste, emprisonné sous la Terreur, promis à la guillotine, sauvé par la chute de Robespierre, commente, sarcastique :
« Voilà de quelle manière se décidait le sort de la France et même de l’Europe car c’était précisément de cela qu’il était question. »
Mais désormais les Thermidoriens peuvent agir sans entraves. Les mesures se succèdent.
Les députés girondins survivants sont accueillis à la Convention. Et dans leurs yeux et leurs propos brille le désir de vengeance et de revanche :
« Votre cercueil est creusé, malheureux, lancent-ils aux Montagnards du Comité de salut public. Vous vous débattez en vain sur les bords de la tombe… Point de paix pour la patrie tant que votre odieuse existence souillera la nature. »
Carrier est décrété d’arrestation, pour ses « crimes » de Nantes.
Après lui, ce sont les « grands coupables » que l’on vise.
Dans Le Patriote, journal thermidorien, on peut lire :
Lequel fut le plus sanguinaire
De Billaud, d’Herbois ou Barère ?
Lequel des trois est aux abois
De Billaud, Barère ou d’Herbois ?
Lequel mérite l’échafaud ?
Le 27 décembre, ces trois-là, en compagnie de Vadier, sont décrétés d’accusation. Leur participation active, décisive même, à la chute de Robespierre, n’a fait que retarder leur mise en cause.
Et la passion politique, la volonté d’en finir avec ces hommes qui ont seulement voulu condamner le « tyran » Robespierre et non une politique, est telle qu’on oublie ce que l’on doit au Comité de salut public.
Or, les décisions que prend la Convention dans le domaine de l’instruction publique (création des grandes écoles, École normale, Conservatoire des arts et ateliers, École centrale des travaux publics – future École polytechnique), le rapport Lakanal qui institue une école publique pour mille habitants sont le fruit des Comités de l’instruction, qui ont siégé et travaillé pendant la période terroriste.
De même les succès militaires – toute la rive gauche du Rhin est conquise, par Kléber et Marceau, les Pays-Bas occupés, par Pichegru, la flotte hollandaise, emprisonnée par les glaces au Texel, capturée par la cavalerie de Pichegru – résultent des mesures prises par Carnot, au Comité de salut public. Après la reconquête de Condé-sur-l’Escaut, il n’y a plus une seule place française aux mains de l’étranger.
Et la coalition commence à se fissurer. La Diète de l’Empire germanique se prononce en faveur de l’ouverture de négociations.
Et l’agent anglais Wickham, qui vient d’arriver en Suisse, ne peut empêcher cette évolution.
Ces succès de la Convention aux frontières affaiblissent Vendéens et chouans. Le général Hoche entreprend de négocier, de pacifier la Vendée.
Le 2 décembre (12 frimaire an III), la Convention « promet le pardon et l’oubli à toutes les personnes connues dans les arrondissements de l’Ouest, des côtes de Brest et de Cherbourg, sous le nom de Rebelles de la Vendée et de Chouans qui déposeront les armes dans le mois suivant le présent décret ».
Et l’évêque Grégoire réclame la liberté complète des cultes, s’opposant ainsi à Marie-Joseph Chénier qui veut organiser en lieu et place des cérémonies chrétiennes un « culte décadaire ».
Mais le peuple écrasé par la misère, le peuple qui a faim murmure, selon un rapport de police, « qu’on ferait bien mieux de lui procurer de la farine que de décider des fêtes ».
La farine, le pain, la viande, les subsistances essentielles à la survie dans l’hiver cruellement glacial de l’an III, voilà ce qui préoccupe les Thermidoriens.
Pour avoir organisé, suivi ou subi dès 1789 toutes les « journées révolutionnaires », ils savent d’expérience le rôle que jouent la disette et la misère dans l’explosion de colère du peuple. Ils essaient d’éteindre la mèche qu’ils entendent grésiller.
Fréron, avec les fonds du Comité de sûreté générale, fait inviter des sans-culottes par ses jeunes partisans. On régalera ceux du faubourg Saint-Marceau et du faubourg Saint-Antoine. Le vin doit couler à flots, en même temps que les bonnes paroles.
Fréron endoctrine ses troupes.
« Dites-leur qu’on veut les égarer, que l’on cherche à les porter à quelque excès, dites-leur que tout ce que les malveillants cherchent à leur inspirer de haine et d’aigreur contre les marchands n’est qu’un piège tendu à leur bonne foi. Dites-leur que le renchérissement des denrées vient du renchérissement de la main-d’œuvre. Que le marchand qui paie beaucoup plus cher leurs frères, les ouvriers, doit nécessairement vendre plus cher.
« Qu’ils exigent eux-mêmes avec raison un salaire beaucoup plus fort de leurs travaux. Qu’ils doivent donc bien se garder de tout ce qu’on cherche à leur insinuer. Que le moindre mouvement dans ces temps d’orage perdrait la patrie… »
Et s’il n’y a pas de farine, pas de hausse de salaires, on doit instituer des fêtes, pour tenter de dissimuler que la politique suivie par les Thermidoriens, avec l’appui des députés girondins – Isnard, Louvet, Lanjuinais – qui siègent de nouveau à la Convention, « fait rebrousser chemin à la Convention ».
Alors on organise, le 20 vendémiaire an III, la translation en grande pompe du corps de Jean-Jacques Rousseau au Panthéon.
Ce Jean-Jacques si cher au cœur de Maximilien !
Un décret, voté le 10 janvier 1795 (21 nivôse) institue que le 21 janvier, « jour de la juste punition de Louis Capet, dernier roi des Français, sera fête nationale annuelle ».
Et on commémorerait aussi chaque année le 9 thermidor.
La fête célébrant la mort de Louis XVI eut bien lieu.
Mais ce 21 janvier 1795 (2 pluviôse an III), les muscadins firent dans la cour du Palais-Royal l’autodafé d’un mannequin figurant un Jacobin.
Les cendres du mannequin furent recueillies dans un pot de chambre et jetées à l’égout de Montmartre, garni d’un écriteau portant l’épitaphe :
De Jacobin je pris le nom
Mon urne fut un pot de chambre
Et cet égout mon Panthéon.
On peut lire dans Le Messager du lendemain :