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Et n’est-ce pas ce Dumouriez qui dans une lettre à la Convention vient d’accuser les députés de vouloir mener en Belgique « une guerre criminelle » ? Il sermonne les représentants du peuple : « Vous ne souffrirez pas, écrit le général, que vos armées soient souillées par le crime et en deviennent les victimes. »

Les députés se rebiffent et Marat qu’on traitait de « monstre incendiaire » est tout à coup écouté, porté à la présidence des Jacobins, d’où il lance ses appels à l’action :

« Frères et amis, les maux de la République sont au comble. Et le moment est venu où le courage des républicains doit éclater. Que la nation se lève, que les députés s’expliquent et fassent justice de Brissot, de Vergniaud, du général Dumouriez, de tous les autres généraux conspirateurs et fonctionnaires publics traîtres à la nation… »

Il interpelle Danton :

« Je le somme de monter ici à la tribune, et de déchirer le voile des trahisons qui nous environnent… »

Et tout à coup, il tire brusquement de dessous sa houppelande un poignard long d’une coudée et l’agite devant les yeux des citoyens rassemblés au club des Jacobins :

« Voilà l’arme avec laquelle je jure d’exterminer les traîtres, s’écrie Marat. Voilà l’arme que je vous invite à fabriquer pour les citoyens qui ne sont point au fait des évolutions militaires. Je vous propose d’ouvrir une souscription et je vais moi-même vous donner l’exemple. »

L’assistance est fascinée par ce discours, ces gestes, cette énergie :

« Formez donc une armée centrale qui marchera contre les royalistes et les modérés, reprend Marat ; nommez le chef et vous aurez la victoire », lance-t-il en brandissant son poignard.

« Oui, oui, Marat, tu seras notre chef », crient les Jacobins en jetant en l’air chapeaux et bonnets phrygiens.

« Comptez sur ma surveillance, conclut Marat. Nous devons frapper de grands coups, je vous avertirai aussitôt qu’il en sera temps. »

Le 15 mars, Danton et le député Delacroix sont partis en Belgique pour rencontrer Dumouriez.

Les Montagnards suspectent Danton de conspirer avec le général. Ne l’a-t-il pas toujours défendu ?

Danton, partisan de l’occupation, voire de l’annexion, de la Belgique a poussé Dumouriez à l’offensive. « Nous aurons des hommes, des armes, des trésors de plus », a-t-il répété.

Et Delacroix a dit, cyniquement, aux soldats : « Vous êtes sur un pays ennemi, housardez et dédommagez-vous de votre perte… Pillez, nous partagerons et je vous soutiendrai dans la Convention. »

On a même accusé Delacroix d’avoir patronné à Liège une fabrique de faux assignats.

Et ce sont ces Montagnards-là, qu’on envoie tenter de convaincre ou de « garrotter » le général Dumouriez ! Il leur suffit de quelques heures, pour comprendre que le général a choisi.

Il vient d’être battu – le 18 mars – par les troupes de Saxe-Cobourg, à Neerwinden puis à Louvain.

Il abandonne la Belgique, traite avec les Autrichiens, invite ses officiers, ses régiments, à marcher sur Paris, à en finir avec l’anarchie. Il veut s’opposer aux violences des Enragés : « C’est mon armée que j’emploierai… Plus de la moitié de la France veut un roi. »

Il reste à Danton et à Delacroix à regagner rapidement Paris, à apprendre que Dumouriez est passé à l’ennemi avec son état-major après avoir en vain essayé de convaincre ses troupes de le suivre soit à Paris, soit dans le camp autrichien.

Un jeune colonel, Davout, commandant les bataillons de volontaires de l’Yonne, a fait ouvrir le feu sur Dumouriez, et celui-ci, entouré de dragons autrichiens, entraînant avec lui bon nombre d’officiers, et surtout Louis-Philippe ci-devant duc de Chartres, n’a trouvé son salut qu’en galopant à bride abattue à travers champs !

À Paris, avant que cette trahison ne soit connue, c’est déjà le temps des suspects.

Les sans-culottes des comités de surveillance exigent des citoyens qu’ils produisent des « certificats de civisme, de garde montée, de quittance d’une fonction, de passeports visés… On a soumis l’entrée et la sortie de Paris à une très grande rigueur à cause de nombreux malveillants qui se sont glissés dans la ville et après lesquels on court de tous côtés. Si vous n’êtes pas en règle on vous prend pour un de ceux-là, et vous êtes arrêté comme malveillant, au moins comme suspect. »

On est traduit devant le Tribunal révolutionnaire, condamné le plus souvent. Les juges ne prononcent pas systématiquement la peine de mort. Mais la guillotine est en place. Au mois de mars 1793, on décapite une dizaine de condamnés à mort et les appels des Enragés de Marat à châtier les traîtres se multiplient. La peur s’insinue dans chaque conscience parce qu’on sait que la violence, la Terreur, apparaissent comme des recours face à une situation de plus en plus difficile. La mort rôde. Il faut vaincre et pour cela tuer ou mourir.

Ces jours-là de la fin mars 1793, on apprend que tout l’Ouest s’est soulevé. On s’y bat contre l’enrôlement des jeunes hommes, « pour le roi, pour LouisXVII » et « pour la vraie religion attaquée par les gueux de Paris ».

Aux premiers chefs, Cathelineau, Stofflet, issus du monde des « petites gens », paysans, artisans, s’ajoutent désormais des « aristocrates », en fait des hobereaux, comme Bonchamps, Lescure, d’Elbée, Charette, La Rochejaquelein.

Les paroisses se rallient, les petites villes tombent – Châtillon, Bressuire –, la Bretagne et la Normandie fermentent.

D’Elbée et Sapinaud qui commandent la « grande armée catholique et royale » en appellent à l’Angleterre et à l’Espagne, coalisées contre la République.

« Depuis un mois, écrivent-ils, nous sommes en état de contre-révolution, nos armées conduites par la Divinité et soutenues par nos valeureux habitants des campagnes ont déjà conquis le bas Anjou et le Poitou, où régnerait la tranquillité si nos villes capitales ne tenaient à un maudit esprit de révolution, que nous serions en état de réduire si nous avions de la poudre promptement. »

Cette situation lorsqu’elle est connue à Paris angoisse les députés, les patriotes, qui ont le sentiment d’être acculés, pris à la gorge, trahis.

Ils apprennent, avec retard, que le général Dumouriez en passant à l’ennemi, et comme gage de sa trahison, a livré aux Autrichiens les quatre commissaires de la Convention qui, accompagnés du général Beurnonville, qui fut ministre de la Guerre et son ami, venaient pour lui transmettre la convocation de la Convention à se présenter à la barre, devant elle. Dumouriez sait qu’il sera mis hors la loi, c’est-à-dire passible d’être aussitôt condamné à mort et exécuté.

La Convention s’indigne de la rébellion de l’Ouest, de la trahison de Dumouriez :

« La contre-révolution marche, s’écrie Barère, et nous ne marchons qu’après elle ; nous ne délibérons qu’après les événements. Il nous appartient de les prévoir, et de les prévenir. Vous ne devez plus discuter, vous devez agir… Laissez de côté les demi-mesures, déclarez-vous corps révolutionnaire. »

Les députés l’écoutent, réagissent en prenant l’offensive.

En quelques jours, à la fin mars, la Convention vote une série de décrets de mort pour ceux qui proposeraient la « loi agraire » – le partage des biens. Car il s’agit de rassurer les propriétaires menacés par les Enragés.

Mais morcellement et vente des biens d’émigrés.

Mais mise hors la loi et peine de mort contre tous ceux qui participeraient aux révoltes ou émeutes contre-révolutionnaires. Et création d’un Comité de salut public, surveillant les ministres, organe composé de neuf membres siégeant pour un mois puis renouvelés.